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René Dumesnil, Portraits de musiciens français, « Les maîtres de l’histoire », Édition d’histoire et d’art, Plon, Paris 1938, p. 49-54.

Déodat de Séverac

Déodat de Séverac. Cliché de Castéra.

23 mars 1921.

Son nom paraît rarement sur les programmes de nos concerts et moins souvent encore sur les affiches des théâtres lyriques. Déodat de Séverac, il est vrai, n’a laissé qu’un petit nombre d’ouvrages, car il est mort à l’âge de quarante-sept ans le 23 mars 1921, et il n’était point de ceux qui se hâtent d’entasser les unes sur les autres les feuilles de papier noircies. Il était de ceux, pourtant, qui ne laissent rien paraître qu’ils n’aient jugé digne de porter leur signature ; et son jugement ne le trompait pas. Nous vivons ainsi, insoucieux du patrimoine que nous ont laissé nos pères et nos aînés. Notre excuse est dans la richesse et l’étendue de cet héritage : ces trésors, de temps en temps quelque curieux qui les explore en tire un joyau. On savait l’existence et le nom de l’œuvre ensevelie sous la poussière d’une bibliothèque ; on s’étonne qu’un peu de soin suffise à la ranimer, à lui rendre ses couleurs fraîches ; on admire qu’elle soit demeurée tout près de nous... J’imagine que nous gardons ainsi pour le plaisir de nos fils ce Cœur du Moulin ou cet Héliogabale.

Les œuvres de Séverac sont d’un métal qui résiste à l'action du temps ; elles ont cette force interne qui les préserve de la rouille ; elles ne deviendront point des choses mortes et trouveront toujours accès au cœur et à l’esprit des vivants. Elles ont été conçues librement, dans la joie (parfois douloureuse) de créer ; elles ont jailli comme éclosent les fleurs et comme mûrissent les fruits, car elles sont elles-mêmes des fruits tout chargés de senteurs campagnardes, produits du terroir languedocien. Elles semblent garder en elles les couleurs de ce vaste paysage que l’on découvre des collines de Saint-Félix-de-Caraman quand on a les vallées de l’Hers et du Sor à ses pieds, les Pyrénées à l’horizon, la Montagne Noire devant soi. Il en est peu qui parlent un langage dont l’éloquence soit aussi dépouillée de toute recherche. Mais ces œuvres, si pareilles à ce pays de Lauraguais où grandit et vécut leur auteur, comme leur simplicité spontanée, si pleine de grâce naturelle, est pleine de trouvailles ingénieuses aussi ! Cette langue mélodique si fluide, et ses harmonies si fraîches, font parfois penser à Debussy : il n’y a cependant guère d’autre parenté entre les deux musiciens que celle-ci : ils sont l’un et l’autre aussi français, ils sont exactement contemporains. Ils ont donné l’un et l’autre le reflet de leur temps non point dans son aspect momentané, mais tel qu’il devait se fixer pour les temps futurs. Ils ont de même écrit chacun la musique qui, tel le miroir des eaux, reflète le ciel et les rives, le paysage qui le circonscrit. L’un, Claude, est Français de l'Île-de-France, et le Faune et Mélisande c’est sous les futaies du pays de Sylvie qu’il les surprend. L’autre est Français du pays occitan ; et ses Baigneuses sèchent au soleil du Roussillon les tresses dénouées de leurs chevelures, que, tout à l’heure, elles couronneront de pampres et de grappes vermeilles. Mais tous les deux sont du petit nombre des élus chez lesquels la postérité lointaine cherche et découvre ce qui donne à une époque son unité, ce qui constitue un style.

Toutes ces qualités de Séverac, on les a bien vues quand il a écrit Le Cœur du Moulin. La musique en est limpide et elle reste délicieuse aujourd’hui comme au soir déjà lointain où le 8 décembre 1909, l’Opéra-Comique la fit connaître. Séverac alors avait trente-six ans ; il était né à Saint-Félix-de-Caraman le 20 juillet 1873, d’une des familles les plus anciennes de ce pays. Son père peignait, et avait été élève des Beaux-Arts ; il était, de plus, bon musicien et ce fut lui qui devint le premier maître de Déodat. Après avoir achevé ses études au collège de Sorèze — dont les platanes ont abrité les méditations de Lacordaire — Séverac fit son droit à Toulouse tout en suivant les cours de solfège et d’harmonie au Conservatoire de cette ville. En 1896, il part pour Paris, et il est un des premiers élèves de la Schola où il a pour maîtres Albéric Magnard qui lui enseigne le contrepoint et Vincent d’Indy la composition.

Il en eut un autre — et qui n’enseignait pas dans une classe — Debussy dont les premières œuvres et les recherches furent pour Séverac une révélation. Peut- être y eut-il conflit entre la nature de l’auteur du Chant de la Terre et l’enseignement de la Schola ; certains du moins l’ont dit. Mais l’amour du pays, l’inspiration terrienne, devaient lui suffire, à quelque école qu’il appartînt : quand on lit la partition du Cœur du Moulin on se convainc de son indépendance, et on comprend aussi ce jugement de Debussy, cité par M. Louis Laloy : « Séverac fait de la musique qui sent bon... »

Cette partition, pourquoi ne la reprend-on pas ? Est- il donc impossible de constituer un répertoire où reparaîtraient de temps en temps les ouvrages les plus remarquables des cinquante dernières années ? Bérénice, de Magnard, Le Cœur du Moulin, de Déodatde de Séverac, Salomé de Mariotte, Le Pays, de Guy Ropartz, sommes- nous donc condamnés à ne point les réentendre ces partitions qui prendraient avantageusement la place de tant d’autres si bien usées qu’elles pourraient demeurer dans le silence aussi longtemps qu’il faut pour retrouver — si c’est possible — la fraîcheur qu’elles ont perdue... Ou bien un infranchissable fossé sépare-t-il comme le prétendent certains (peut-être trop intéressés à le dire) les goûts du public et l’opinion des musiciens ?

Ce pauvre Séverac, si prématurément enlevé, avait choisi pour sujet de thèse, au moment de quitter la Schola, La Centralisation et les petites chapelles, en musique, et comme l’a dit fort bien Blanche Selva dans son livre sur Séverac, c’est son Credo artistique qu’il a donné sous cette forme de modeste travail de « sortie de classe » ; mais c’est aussi un charitable et clairvoyant avis. Il y a là des pages qu’il n’est pas mauvais de relire. Déodat de Séverac n’était point et ne pouvait être un « beau monsieur de Paris ». Venu du Lauraguais, il n’avait, après dix ans et plus passés dans la capitale, qu’une idée, et qui était de retourner dans son pays, d’y vivre, d’y puiser, comme un arbre par ses racines, la sève dont il allait nourrir sa musique. Hélas, faut-il qu’il paie la faute commise ? — car c’est une faute aux yeux de bien des gens, c’est une désertion que cet adieu à la capitale, à ses pompes et à ses combi­naisons. Il l’avait bien dit :

«  Tous les vrais amis de l’Art national reconnaissent le fait et se lamentent : mais s’ils sont unanimes à le déplorer, ils se gardent bien, hélas! de prêcher d’exemple! Ils fondent des ligues, ils donnent des conférences, ils organisent des congrès où des ordres du jour flétrissent à l’unanimité l’esprit centralisateur ; mais aussitôt après, les voici revenus par l’express le plus rapide au foyer même de l’épidémie qu’ils prétendent combattre. Il est si difficile, à les entendre, de vivre dans une ville de province ou à la campagne ! Les gens y sont si vulgaires, si ridicules ? Les musiciens actuels sont, à de très rares exceptions près, la proie de cet ennemi, et pour si éloignés qu’ils soient en apparence les uns des autres par les procédés de composition, ils sont tous plus ou moins ses victimes bénévoles. Ils font de la musique de Paris et pour Paris ; ils s’écartent ainsi progressivement et de plus en plus du génie propre aux diverses provinces où ils sont nés. »

Lui, bien loin de s’écarter de la sienne, s’en est rapproché chaque jour un peu plus et jusqu’au point de s’identifier avec elle en une communion parfaite. Sa musique est l’âme du Languedoc et de la Cerdagne. Son Chant de la Terre, son magnifique poème En Languedoc, ses mélodies, sont des pages de lumière dont l’éclat ne peut se ternir. Non, il ne faut pas que Paris ait l’air de garder rigueur à Déodat de Séverac d’avoir voulu demeurer ce qu’il était : un musicien.

Il a été autre chose, ou du moins ce parfait musicien a été de surcroît (ce qui n'est pas interdit), un psychologue, et qui a su mieux que personne parler de son art : « L’œuvre musicale, a-t-il dit, ne peut s’imposer à l’auditeur ni par son plan ni par sa méthode d’écriture, mais par les sentiments qu’elle fait naître en nous. Une œuvre qui ne s’élève pas au-dessus de la sensation physique ou qui ne s’adresse qu’au cerveau est condamnée à périr. Et ce sera justice ! Qu’importe qu’elle soit écrite verticalement ou horizontalement, ou avec ces deux moyens réunis, ou avec d’autres moyens nouveaux si on en trouve ! Mais il est nécessaire qu’elle dise bien ce qu’elle veut dire. Le défaut général de tous les milieux musicaux actuels est de prendre l’accessoire pour le tout, le moyen pour le but. Si les « avancés » ont une tendance trop exclusive au jeu, les autres croient trop au théorème et à l’épure. Les uns sont un peu futiles, les autres dissertent trop... Ce qu’il y a de regrettable, c’est que quand ils entendront une œuvre nouvelle, ils ne consentiront pas à l’écouter passivement et à s’abandonner à la musique corps et âme ! Non ! ils n'écouteront pas la musique, ils la re­garderont au microscope... Ils lui feront subir un interrogatoire, comme à un prévenu et lui appliqueront, sans recours, un des articles de leur code. C’est le régime du parti pris et de l’arbitraire. »

Pas plus que sa musique, la critique de Séverac n’a vieilli...

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Lundi 6 Janvier, 2020