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Musique classique

 

Dans le langage courant, et surtout les marchands de cédé ou de mp3, classique désigne la musique savante occidentale quelque soit le style ou l'époque.

Pour l'histoire traditionnelle de la musique, le classicisme est une période comprise entre 1760 et 1830, soit entre les périodes dites rococo et romantique.

Ce sont là des concepts trompeurs, car ils ne renvoient pas à des régularités esthétiques réelles.

Il faudrait éviter ces spécifications trop globalisantes, et du coup trop étriquées, parce que tous les lieux de culture musicale ne sont pas uniformes. Par exemple, une fois qu'on a dit « classicisme » en musique, c'est 1760-1830, il faudrait préciser : « où », tant en aire géographique qu'en milieu  social. Mais surtout, dès qu'on veut « prouver » un mauvais concept comme « musique  classique », lui donner un corpus théorique, on ne peut que forcer le réalité, et échafauder de la rhétorique sur fond d'erreurs.

Plus une musique est datée, localisée, particulière, plus elle est universelle.

En-soi l'idée de classicisme en musique, n'est pas sans intérêt. Mais il ne peut être ni une période, ni universel. En effet, « classicisme », évoque l'apogée, l'épanouissemt codifié de pratiques humaines, un moment de perfection, d'aboutissement.

Il y a donc, dans le temps et dans les localisations géographiques ou sociales, nécessairement plusieurs classicismes : Le classicisme français à la cour de Versailles, le classicisme viennois avec Haydn, Mozart et Beethoven, ou le classicisme vénitien avec Vivaldi.


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Dans le langage courant, on comprend l'expression « musique classique », comme « grande musique » ou « musique savante ». C'est une question de contexte qui ne pose pas de problème de compréhension. Mais il serait préférable de parler de « musique académique ».

La musicologie scolaire envisage une période musicale dite « classique », qui s'étendrait de la mort de Jean-Sébastien Bach à celle de Beethoven. Cette périodisation est une erreur épistémologique. D'abord, parce qu'il faudrait localiser, tant géopolitiquement que socialement l'unité stylistique supposée. En fait, ce dont il est question est ce qu'on devrait appeler le « classicisme viennois », englobant l'œuvre de Haydn, Mozart et Beethoven. Mais on devrait parler du « Classicisme de Versailles », ou « de la cour française » pour les Lully, Rameau, Couperin etc., du classicisme vénitien, pour Vivaldi.

L'article de Pierre Fortassier (1920-1998) qui suit, n'est toutefois pas sans intérêt, et montre quelles opérations, quelles constructions, sont nécessaires pour prouver une « période classique » globale et généralisée qui s'étendrati de 1750 à 1827.

CLASSICISME (du lat. classicus, = de premier ordre), terme communément accepté pour désigner la période qui va des années 1750 à la mort de Beethoven. Il n'aurait pu prendre cette valeur historique s'il ne désignait, sur le plan conceptuel, certaines caractéristiques apparues précisément à cette époque. Tout d'abord, classique désigne « ce qu'on étudie dans les classes » ; c'est aussi, selon l'étymologie, « ce qui excelle », les deux sens se rejoignant. Dans le domaine musical, on range couramment sous la rubrique de mus. classique tout ce qui n'est pas folklore, jazz, variétés. C'est faire perdre à l'adjectif tout sens précis. Toutefois, la même langue usuelle emploie le terme pour désigner le modèle d'un genre (un classique de la chanson, du jazz, etc.), conservant par là son sens premier.

Littérature et musique. Si l'on veut préciser le concept, c'est à la littérature, et en particulier à la littérature française, qu'il faut se référer, l'école classique « ayant porté à un si haut degré de plénitude les vertus de l'esprit français qu'à son tour (après les classiques grec et latin) elle semblait atteindre la perfection suprême et fixer le plus pur de notre tradition » (R. Jasinski).

Le mot classique n'apparaît qu'en 1825, doté d'un sens réactionnaire, par opposition aux idées et aux goûts du jour. Mais c'est le XVIIe siècle, qui avait consacré le siècle de Louis XIV, l'égalant à ceux de Périclès, d'Auguste, de Léon X ; et c'est grâce à lui que le classicisme musical héritera de certaines des idées esthétiques du Grand Siècle, en même temps que de toutes celles qui fermentent au temps des Lumières. Pour passer, en littérature, du classicisme au romantisme, il a fallu le bouillonnement d'un siècle et une révolution. Venu plus tard, le cl. musical fera l'économie de cet intervalle et, rattrapant le mouvement des idées, débouchera directement sur le romantisme : la Symphonie fantastique de Berlioz est contemporaine d'Hernani de V. Hugo. Ce parallélisme frappant fait pressentir d'autres similitudes. On a cru trop vite qu'il n'y avait aucun rapport entre classicisme musical et classicisme littéraire : c'est qu'on réduisait celui-ci à des schémas simplistes en le ramenant, par exemple, à un rationalisme sans nuance. En réalité, classicisme et romantisme – ou baroque – sont complémentaires, comme l'apollinien et le dionysiaque, tous deux présents, en proportions variables, dans toute œuvre d'art réelle. L'absence totale de l'un ruinerait l'œuvre, réduite soit à une forme vide, soit à un informe chaos. Ainsi tout cl., comme l'a dit Paul Valéry, suppose un romantisme surmonté. Il survient après une période riche, exubérante, comme son couronnement désiré, atteignant un point, dû à un concours de circonstances exceptionnel, où toutes les tensions antérieures s'équilibrent.

Les conditions qui régissent l'apparition du classicisme. expliquent ses traits essentiels : un art épris de grandeur (qui ne doit rien à la démesure), d'équilibre (entre raison et passion, volonté et destinée, individu et société), d'universalité (s'il va prendre ses sujets dans la mythologie ou l'Antiquité, c'est pour peindre l'éternel coeur humain), d'unité (point de mélange des genres), de clarté et de simplicité (il s'adresse à tous et fait sa joie duparler et de l'art populaires), de nature (soucieux de vérité, son horreur de l'artificiel va jusqu'au refus de paraître en tant qu'art) ; et loin de se préoccuper uniquement de l'application de règles, comme on l'a trop dit, il ne songe qu'au moyen – qui est un secret – de plaire et de toucher. On comprend qu'il préfère la litote, qui, à bien regarder, est le mode d'ex-pression le plus puissant puisque, à l'inverse de l'exagération, elle dit plus qu'elle ne semble dire. A quel point ces principes ont trouvé écho chez les musiciens, et d'abord les français, naturellement, deux citations suffiront à le montrer. « J'aime mieux ce qui me touche que ce qui me surprend », disait Fr. Couperin ; et J.Ph. Rameau : « Je tâche de cacher l'art par l'art même ».

Le classicisme musical. On a donc coutume de désigner sous le nom de classicisme, en musique, la période qui va, en gros, de la mort de J.S. Bach à celle de Beethoven (1750-1827), en distinguant comme une phase préparatoire ou préclassique les années 1750-1770 et comme l'apogée du mouvement la période suivante, qui voit s'épanouir le cl. viennois avec la maturité de Haydn, Mozart et Beethoven. Des trois grands classiques, Haydn est naturellement celui qui reste le plus près du baroque, Beethoven celui qui annonce le plus clairement le romantisme. Mais leur œuvre à tous trois reflète bien la mouvante réalité de leur temps, lourd d'héritages divers et riche de tendances divergentes, qui ne doivent pas faire perdre de vue ce qui lui donne son unité : le caractère sans précédent de sa mus. instrumentale.

L'âge baroque avait vu le règne de l'opéra et de l'oratorio. Certes, le cl. leur restera attaché. C'est même cet attachement qui donnera à sa mus. instrumentale une puissance expressive longuement préparée par l'opéra lui-même ; l'italien, par la parfaite harmonie réalisée entre la voix des « castrati » – en raison de sa puissance, de sa tessiture, de son agilité – et un orchestre dont le violon est l'âme ; le français, par le rôle capital qu'il confie à l'orchestre soit dans les choeurs et les danses, soit dans le commentaire descriptif ou psychologique qui accompagne le chant.

J.Ph. Rameau, peintre du coeur humain, épris d'exactitude et de vérité, a perfectionné la tragédie lyrique de Ph. Quinault et J.B. Lully, demandant à sa science harmonique et à son sens du timbre ces « couleurs », ces « nuances », ces airs « caractérisés » de chant ou de danse dont, à ses yeux, doit disposer le musicien de théâtre. La même précision se remarque dans sa mus. instrumentale, si proche de sa mus. dramatique. Et l'ouverture de Zoroastre (1749), premier opéra qui renonce au prologue lullyste, est, pour la première fois, en relation avec le drame qui la suit. Toutefois le genre reste encombré de trop de divertissements dansés, qui ralentissent l'action, et d'un merveilleux suranné, faiblesses que la fameuse -' querelle des Bouffons (1752-54) met en évidence. Résultat indirect : le renouveau de l'opéra-comique français qui, commencé avec Le Devin du village de J.J. Rousseau, illustré par E.R. Duni, Fr.A. Philidor, P.A. Monsigny, A.M. Grétry, N.M. d'Alayrac..., sera joué dans toute l'Europe et exercera une influence directe sur l'opéra allemand, de Mozart à C.M. von Weber. Rebondissement plus étrange encore : c'est en adaptant, dans les années

1755-64, des opéras-comiques français pour les besoins du public viennois que Chr.W. Gluck s'initie à la mus. française : il en suivra les principes pour accomplir à Paris, entre 1774 et 1779, sa réforme de l'opéra. Musicien moins riche de nuances, moins varié et vivant que Rameau, mais disposant d'un orchestre plus haut en couleur grâce à la présence des cuivres, génial dans la simplicité de son allure large et franche, excellent dramaturge, il réalise la formule la plus purement racinienne de la —* tragédie lyrique.

Ce n'est pourtant pas cette perfection toute classique qui donne son nom au classicisme musical, et pas davantage la mus. religieuse, les oratorios ou les opéras de Haydn, Mozart ou Beethoven :. quelles que soient la valeur et l'originalité de ces œuvres, elles s'inscrivent dans une tradition. La mus. instrumentale de cette époque est, au contraire, une création totale. C'est son extraordinaire essor, dû à une réunion de circonstances qui ne se retrouveront plus, qui détermine l'apogée caractéristique de tout classicisme. Idées, formes, matériel instrumental même, tout semble soulevé du même mouvement créateur, converger vers le même équilibre. Les idées qui par-courent l'Europe à cette date peuvent être ramenées à deux tendances également puissantes, dont les aspects contradictoires rendent encore plus vigoureux le dynamisme intrinsèque : raison et sensibilité, « Aufidârung » et « Sturm und Drang ». D'un côté, goût de la clarté, de la simplicité, de l'universalité, qui se retrouvera dans le classicisme musical, de la cassation et du divertissement à l'Hymne à la Joie de la 9' Symphonie ; de l'autre, revendication du « moi » singulier, besoin de confession et de justification, lyrisme personnel. Cette tendance, où l'âme allemande trouvera son expression la plus authentique, favorise l'épanchement musical, la recherche d'une communion où l'âme parle à l'âme et non plus l'acteur à son public : chemin qui mène tout droit au « Lied » allemand et, par Mozart et Beethoven, à la perfection de Schubert. Mais la mus. instrumentale peut elle aussi l'emprunter : le clavier devient le confident du musicien. Plus de 10 ans avant La Nouvelle Héloïse, C.Ph.E. Bach confie ses sentiments (« Empfindungen ») à son instrument préféré, le clavicorde. La nouvelle - sonate va doter la mus. instrumentale d'un pouvoir expressif égal à celui de la voix humaine.

La sonate classique et la forme sonate. Née en Italie, elle est écrite pour les instruments, par opposition à la cantate, destinée aux voix. On distinguait pendant l'époque baroque la « sonata da chiesa », de style sévère, généralement en 4 mouvements, et la « sonata da camera », suite de danses. Aux alentours de 1750, celles-ci sont abandonnées et la structure de la sonate comprend désormais, à l'image de l'ouverture italienne, 3 mouvements : « allegro », « adagio », « allegro » (l'introduction lente qui précède souvent l'« allegro » initial provient, elle, de l'ouverture française). Seul de toutes les danses anciennes, le menuet pourra s'y joindre, suivi d'un trio y remplaçant le 2d menuet baroque après lequel on reprenait le premier ; comme pour évoquer son origine, on l'écrira d'abord pour deux dessus et une basse, d'où son nom. D'où aussi sa moindre fréquence dans la sonate pour un ou deux instruments que dans la symphonie et le quatuor, où il devient

un morceau de caractère, souvent gracieux mais parfois sombre (j. Haydn, Quatuor à cordes op. 76 n° 2) ou dramatique, voire tragique (Mozart, Symphonie en sol min. KV 550 ; Quatuor en ré min. KV 421), avant de se transformer, sous la plume de Beethoven, en « scherzo », à la fois inquiet et brillant, d'un rythme souvent endiablé — l'élément démoniaque, comme on l'a dit, de son écriture instrumentale.

Cependant le legs le plus important de la danse à la sonate classique se trouve dans la carrure, découpage issu de la musique écrite pour être dansée et que la suite baroque s'ingéniait plutôt à dissimuler sous la floraison de mélismes dissymétriques. Le classicisme l'adopte résolument, tout comme l'homophonie, dans un but évident de simplicité et de clarté. Observée trop rigoureusement, elle peut engendrer pauvreté et raideur ; mais il en va tout autrement chez les maîtres qui savent la respecter sans s'y asservir. Il suffira de citer l'Allegretto du Quatuor op. 54 no 1 de J. Haydn : l'exposition présente un thème de 3 mesures, deux fois énoncées, la première fois précédées, la seconde fois suivies d'une mesure supplémentaire — agencement subtil, parmi une infinité d'autres, des 8 mesures habituelles. Cette liberté, cette invention perpétuelles, on les retrouve partout dans le vrai classicisme : aucune application mécanique de règles ; toujours un acte créateur original sait inventer la forme spécifique convenable à l'idée. Comment ne pas songer à l'alexandrin de Corneille, Racine, Molière, La Fontaine, toujours à l'aise pour couler dans 12 syllabes un rythme personnel et particulier à chaque vers ?

Si la carrure représente, dans la mus. instrumentale classique, l'héritage de la danse, la forme sonate réalise le désir passionné d'y atteindre à l'expression dramatique, apanage jusqu'ici de la voix et de l'opéra. Au contact de la voix, l'orchestre qui l'accompagne a pris le goût de cette expression ; et la symphonie naissante, avec un Sammartini et un Vivaldi, un peu plus tard à Paris ou à Mannheim, a transporté au concert les accents de l'ouverture ou du « recitativo obbligato » : la forme sonate va donner à cette vocation de la mus. instrumentale son épanouissement total. A son apogée, on la trouve dans le premier mouvement, variante savante de la forme rondeau (ABA), dite encore forme lied, affectée d'ordinaire au mouvement lent, le final étant souvent un « rondo » (ABACADA...). L'innovation essentielle, c'est l'invention d'un 2d thème, présenté à la dominante du ton principal (celui du 1" thème) au cours de l'exposition qui est reprise ; suit le développement, travail thématique sur des fragments de l'un ou l'autre thème : figures rythmiques, modulations éloignées du ton principal où l'on revient pour la réexposition, le 2e thème cette fois apparaissant dans le même ton que le premier. D'où l'instauration d'une tension d'autant plus forte que, le plus souvent, les deux thèmes sont de caractère opposé, le premier rythmique (masculin), le second mélodique (féminin) ; d'ordinaire, elle culmine dans l'éclatement du développement pour trouver son apaisement dans la réexposition. Avec ces thèmes caractérisés, pareils à des personnages antagonistes puis réconciliés, l'auditeur vit une sorte d'action comportant, comme au théâtre, une exposition, des péripéties, un dénouement. De plus, cette forme donne à l'esprit la satisfaction d'une unité

qui se réalise non par appauvrissement mais par synthèse, sur-montant sans l'abolir la foisonnante richesse de sa propre pluralité.

La répartition de principe indiquée entre les mouvements de la sonate n'a cependant rien d'absolu. On trouve parfois la forme sonate dans le mouvement lent (Mozart, Sonate pour piano et violon en ré maj., KV 306) ou dans le final (Symphonie en sol min., KV 550). Et dans le premier mouvement, elle n'offre pas toujours un aspect régulier (dans la Sonate KV 306 déjà citée, le 1er thème, absent de la réexposition, ne reparaît que dans la coda) ; elle manque même parfois (le 1er mouvement du Quatuor op. 64 no 5, dit L'Alouette, de J. Haydn n'a qu'un thème mais dont la 2a' partie, passant à la dominante, joue le rôle de 2' thème, suivie d'un pont conduisant à une coda, elle aussi à la dominante ; lors de la réexposition, le pont mène cette fois à la coda dans le ton principal). On voit la souplesse de cette structure ; on voit aussi que ce qui subsiste, même en l'absence du 2d thème, c'est l'écriture thématique, éminemment caractéristique du classicisme : le thème y est l'affirmation de la primauté donnée à la mélodie, sous le signe de la simplicité, de la clarté, du naturel ; mais le travail thématique, qui s'accomplit au mieux au cours du développement, redonne vitalité et richesse à cette écriture.

Ici paraît dans tout son éclat le génie rythmique des classiques : le rythme, élément essentiel du thème, auquel il donne la netteté de son contour, s'affirme, s'exalte, se transforme dans le jeu le plus varié et le plus libre. Il en va de même de l'harmonie : le développement est le lieu de ces modulations hardies qui enrichissent une écriture résolument tonale (il faut attendre l'Adagio du 15e Quatuor de Beethoven pour voir apparaître le modal), la tonalité bien affirmée étant elle aussi un moyen essentiel de clarté mais devenu infiniment plus souple avec Haydn et Mozart, qui emploient le chromatisme et l'enharmonie, que chez leurs prédécesseurs. Même Beethoven, à ses débuts, usera d'une harmonie moins savante pour y venir progressivement, surtout dans ses dernières œuvres.

C'est à J. Haydn que revient l'honneur d'avoir porté à leur plein épanouissement le développement et le travail thématique. Mais l'adoption décisive du 2d thème est attribuée tantôt à W. Fr., tantôt à C.Ph.E. Bach, tantôt aux Italiens, tantôt aux Français ou à l'Ecole de Mannheim... En réalité, il semble que l'usage en apparaisse un peu partout en Europe, à peu près au même moment : comme le baroque ou le romantisme, le classicisme est européen. S'il culmine à Vienne, c'est que celle-ci est à la croisée des chemins. Ouverte à toutes les influences – française, italienne, allemande –, elle est comme le creuset où vont se fondre tous les courants : elle va relayer Paris, secoué par la tourmente révolutionnaire, comme capitale de la musique européenne.

Les instruments classiques. Même caractère européen dans l'évolution de la facture instrumentale, qui voit apparaître deux perfectionnements capitaux : celui du pianoforte, celui de l'archet. Le « continuo » reléguait le clavecin dans un rôle subalterne. A mesure qu'il disparaît et que l'écriture pour deux dessus et basse cède du terrain, le clavier reprend un intérêt propre, au point qu'un J.J.C. de Mondonville intitule en 1735

son recueil Pièces de clavecin en sonates avec un accompagnement de violon. Pendant qu'à l'opéra on finit par se passer du clavecin à l'orchestre, les sonates pour clavier, mêlant au –s style galant – décoratif et spirituel – celui de la sensibilité (« Empfindsamkeit »), appellent de leurs voeux un instrument plus apte à l'ex-pression des sentiments : vers 1770 le –s pianoforte devient l'instrument à la mode, et son nom en dit le mérite nouveau : alors que le clavecin ne permettait guère que des oppositions d'une phrase à l'autre, on va pouvoir désormais passer du « forte » au « piano » d'une note à l'autre.

D'autre part, alors que le violon, l'alto et le violoncelle ont atteint leur perfection dès les années 1600, l'archet n'a cessé depuis lors de progresser vers sa forme définitive, sa courbure en arc s'atténuant jusqu'à ces mêmes années 1770 où un luthier parisien, Fr. Tourte, le perfectionne et lui donne la cambrure que nous lui connaissons. Par l'appui de l'index sur la baguette, cette cambrure permet désormais l'accent soudain, le « sforzando », autrement dit ce jeu expressif qui suit les moindres inflexions de la phrase avec autant de variété que la voix vivante : c'est la même révolution qu'au clavier. D'où la nouvelle écriture orchestrale, ses indications dynamiques caractéristiques ; d'où aussi, tout opposées à la continuité propre au style instrumental du baroque, ces interruptions, si naturelles après un accent, et cette utilisation fréquente et expressive des silences.

La symphonie. Liée à la forme sonate, la symphonie est la création majeure du classicisme, à laquelle le génie de Haydn a donné, à partir des années 1760, tout son éclat. Née del' -s ouverture de l'opéra, elle va contribuer par sa propre perfection à l'orienter vers le –s poème symphonique : Beethoven écrira des ouvertures, telles Egmont ou Coriolan, qui se suffisent à elles-mêmes. Avec la symphonie est apparu un orchestre incomparablement plus riche que celui des baroques. La présence des cors, des timbales, des contrebasses, des bois par deux, y compris parfois (toujours chez Beethoven) les clarinettes, étoffe les cordes du quatuor, dotées d'un pouvoir expressif nouveau : d'où des possibilités de coloris inédites. Dans la période précédente, on s'attachait peu à la précision du timbre et l'on pouvait au besoin remplacer un instrument par un autre. Ce n'est plus le cas. Désormais, le timbre fait partie de l'idée et de son expression au même titre que la mélodie ou le rythme. Haydn, Mozart, Beethoven seront exemplaires pour l'instrumentation et l'orchestration. Le dernier disposera d'un orchestre plus foumi, mais l'habileté de ses prédécesseurs, avec un matériel plus réduit, ne le cède pas à la sienne.

Le quatuor à cordes. Cette souveraineté du timbre se retrouve dans cette autre innovation, le quatuor à cordes, issu de la sonate à 3 ou à 4 sans « continuo », et dans lequel s'illustrent au même moment Haydn et Boccherini. Le premier le mènera à sa perfection, faisant preuve d'une invention inépuisable dans l'utilisation des ressources expressives des cordes, depuis la Sérénade de l'op. 3 no 5 jouée « con sordini » parle 1°r violon avec accompagnement de « pizzicati » imitant la guitare, jus-qu'aux doubles cordes du 1er violon à effet de musette (op. 9 no 1, 1er mouvement) ou de fanfare (op. 76 no 2, final), en

passant par les oppositions de registre, les puissants unissons, les effets « sopra una corda » (op. 20 no 6, trio), les croisements ou tel accord de quinte diminuée et sixte (op. 64 no 5, adagio) reposant sur le sol grave du 1er violon, succédant au sur la chanterelle. Mozart n'est pas moins soucieux de sa palette ; il suffit de penser à l'emploi qu'il fait de l'alto dans le trio d'allure populaire du divertissement KV 563 ou à ces mouvements lents des quatuors KV 458 et 465 dans lesquels les voix prennent une irréalité céleste qui n'appartient qu'à lui. Quant à Beethoven, c'est vraiment une richesse orchestrale insurpassée (puissance et variété) qu'il déploie à partir de l'op. 59.

La place de Beethoven. De Haydn à Beethoven, le centre de gravité de l'orchestre et du quatuor s'est déplacé vers le grave. Significatifs sont les Quintettes à deux altos de Mozart (1787), les Sonates pour violoncelle et piano op. 5 de Beethoven (1796), la séparation, fréquente chez Beethoven, entre les violoncelles et les contrebasses. De même, le piano de Beethoven s'emplit dès le début de sonorités violoncellistiques (voir la Sonate op. 10 no 3, Largo e mesto). Autant de signes avant-coureurs du romantisme, dont l'œuvre de Beethoven présente bien d'autres symptômes, en particulier dans le renouvelle-ment de la forme sonate qu'il associe à la fugue ou à la variation. Mais si Beethoven cherche un nouvel équilibre, il reste un constructeur, et son souci fondamental de l'architecture le maintient dans le classicisme : point de rhapsodie chez lui, même dans le 14e quatuor à cordes fait « de pièces et de morceaux dérobés çà et là », où la continuité du déroulement sonore, le plan tonal, les liens étroits qui unissent le dernier mouvement au premier assurent, par-delà une foisonnante diversité, le triomphe de l'unité. On croirait aussi que, rêvant toute sa vie d'écrire des opéras et presque toujours contraint de demander la réalisation de ce rêve à la mus. instrumentale, il a prévu le danger que courrait cette dernière à se séparer tout à fait de la voix, alors qu'elle ne vit que de son commerce avec elle ou de son souvenir : le danger de la virtuosité, condamnée à devenir rapidement gratuité, à perdre toute signification humaine. L'introduction des voix dans la 9e Symphonie rappelle à la mus. instrumentale ses origines, ses liens, sa mission.

Autre trait enfin, pour paradoxal qu'il paraisse, qui fait de Beethoven un classique : son optimisme fondamental. Malgré toutes les tristesses que leur a values la vie, Beethoven comme Mozart sont en définitive du côté de Haydn, de son équilibre, de son finale gai, spirituel, étincelant : aucune place chez eux pour ce qui sera, dans l'âge suivant, « le mal du siècle » ; de la souffrance, certes, mais qui n'a pas le dernier mot. Mozart, peut-être à certains moments le plus tragique des musiciens, est sans désespoir. Beethoven est un de ces caractères à la Démosthène que les épreuves et les difficultés galvanisent. Le finale de la 5e Symphonie, chant de victoire, a le même sens que celui du Quintette KV 516 de Mozart : « Durch Leiden Freude », il s'agit toujours de traverser la souffrance pour aller à la Joie, qui se conquiert.

Il y a de l'épique dans ce classicisme, et la recherche de la perfection artistique y est aussi un moyen de salut, pour autrui comme pour soi. C'est sans doute là son plus haut message, dont la lumière éclaire encore les âges suivants, à la recherche d'autres manières de sentir, de penser et de voir : ce qu'exprime le cri d'un Berlioz ou d'un Delacroix, romantiques, certes, mais illuminés par ce message, et qui entendent lui demeurer fidèles : « Je suis un classique ! ».

P. FORTASSIER


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