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Dijon, Auditorium, 8 décembre 2013, par Eusebius ——

Vérité des Messies ?

 

Andrew StaplesAndrew Staples.

On va au rendez-vous en traînant un peu les pieds. Par habitude, lassitude de l'œuvre ou par fidélité ? Une fréquentation régulière — des dizaines et des dizaines de rencontres — ne laissent guère de place à la découverte du Messie. Emmanuelle Haïm présentait le sien à Dijon, après Lille et Luxembourg, avant Lyon et le TCE parisien.

Singulières, sa gestique et sa battue nous sont familières. Mélange de souplesse féline et d'énergie autoritaire, sa direction demeure d'une efficacité redoutable et la réactivité des instrumentistes et des chanteurs est un modèle du genre. Le modelé qu'elle imprime à l'orchestre et au chœur parait inimitable.

Tim MeadTim Mead.

L'effectif du chœur est conforme à celui de la création londonienne : vingt choristes. Si les pupitres d'altos (avec 3 contreténors, au timbre séduisant) et de ténors sont les plus homogènes, jamais le chœur ne démérite. À côté de pages simplement propres, voire à l'expression insuffisante (Goodwill, du Glory to God ; He trusted in God, d'où la moquerie est absente, Let us break their bonds, trop sage) on retiendra des moments de pure beauté : And with his stripes2, d'une grande douceur, l'Alleluia, lumineux, flamboyant, contrasté à souhait, qui témoigne d'une réflexion et d'une exécution parfaitement achevées ; Since by man came death, poignant dans son dépouillement et ses contrastes, et, surtout l'Amen conclusif, retenu, dont la polyphonie est artistiquement tissée, toujours fluide et lisible.

L'orchestre, au basson près,  est la fidèle réplique de celui de cette exécution londonnienne . Peut-être un second basson n'aurait-il pas été un luxe (Haendel en avait quatre à Londres) : la couleur des basses aurait gagné en saveur. Deux solistes instrumentaux se distinguent : la trompette virtuose de Guy Ferber et le violoncelle magistral et habité du continuo de Felix Knecht.

Surprenante par sa banalité, la Sinfony, ouverture à la française, est dépourvue de majesté et de grandeur, requises par le sujet autant que par l'écriture. Le lissage rythmique du grave1, amenuise le contraste avec l'allegro moderato fugué. Pourquoi ? Emmanuelle Haïm partagerait-elle à son sujet l'opinion peu flatteuse du librettiste, Jennens ?

Ev'ry valley, et tout change: la beauté du timbre, la plénitude expressive du chant du ténor sont annonciateurs d'une interprétation renouvelée. Ce que confirme la progression qui introduit le premier chœur And the glory, the glory of the Lord.

Car, par-delà l'unité de conception qui préside à la réalisation, par-delà les qualités reconnues du Concert d'Astrée et du chœur, ce sont les solistes qui distinguent cette exécution. Peut-on une meilleure distribution ? Tous sont britanniques et familiers de Haendel. Bien que considérés comme de véritables spécialistes, chacun conduit une brillante carrière lyrique. Formés à la même école, proprement imprégnés de la tradition renouvelée de Haendel, leur unité stylistique est surprenante.

Ainsi, leur ornementation sobre, élégante est-elle un modèle de naturel.

Lucy Crowe au chant très pur, angélique lorsque le texte le requiert, à la technique infaillible vit son texte avec une rare conviction. Tim Mead, l'un des plus beaux contreténors de sa génération — on se souvient de son beau Ottone d'Agrippina et du Couronnement de Poppée — nous rappelle qu'Outre-Manche cette tradition vocale est ininterrompue. Son émission est en parfaite adéquation avec le style et la langue. Andrew Staples, brillant ténor, ample, au souffle long, n'est pas sans rappeler Dietrich Fischer-Dieskau jeune, tant par la qualité de son chant que par sa carrure et son maintien. Dans une tessiture évidemment différente.  Les quatre airs confiés à Christopher Purves sont splendides, d'une expression toujours juste et culminent avec les deux derniers : Why do the nations, air de rage, dont la puissance d'évocation entraîne l'adhésion sans réserve, et le célèbre The trumpet shall sound, triomphal, expression d'une joie pleine et communicative. Le créateur du rôle du Protecteur de Written on the Skin d'Arthur Benjamin, excelle tout autant dans Haendel que, manifestement, il adore, en témoigne son enregistrement des airs de basse du génial Saxon3. Nous attendons avec impatience le Saül de ce merveilleux chanteur.

Lucvy Crowe et Christopher Curves

Cette audition, malgré les quelques faiblesses signalées, imputables à la direction, se signale par son énergie, par force expressive, par sa transparence aussi : la vérité du texte et de la musique est illustrée mieux que jamais par une interprétation proche de l'idéal : un moment de grâce.

plume Eusebius
9 décembre 2013

1. Ne faut-il pas surpointer et réduire la croche au quart de durée ? Et articuler ?

2. Page plagiée par Mozart (qui venait d'achever la réorchestration du Messie pour Van Swieten), dans le Kyrie du Requiem

3. Chez Hyperion, le meilleur enregistrement qui soit !

On s'étonne par ailleurs du choix de la partition la plus volumineuse (bilingue), la plus lourde aussi (Bärenreiter), que les choristes portent à bout de bras. La Novello, pèse moins de deux fois moins pour une qualité éditoriale aussi satisfaisante.


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