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12 janvier 2014, par Frédéric Norac ——

Une Lakmé aux limites du sublime à l'Opéra-Comique

LakmeLakmé, Opéra-Comique de Paris, janvier 2014. Lakmé (Sabine Devieilhe). Photographie © Pierre Grosbois.

La nouvelle production de l'Opéra Comique était impatiemment attendue. Depuis les Lakmé miraculeuses de Nathalie Dessay ici même en 1995, il n'était pas paru sur une scène française de titulaire du rôle capable de la faire oublier. Sur sa réputation et son disque Rameau, encensé par la critique, Sabine Devieilhe avait déjà conquis tout Paris avant même de paraître. Pour nous qui l'avions entendue dans le rôle en novembre 2012 à Montpellier, il n'y avait pas de doute possible, elle était bien la nouvelle Lakmé. Le triomphe était donc acquis, il ne s'agissait que de le justifier.

Un an plus tard, la chanteuse a encore affermi sa technique, notamment dans la maîtrise d'un suraigu qui a gagné désormais sa totale liberté. Pourtant ce qui captive, émeut, fascine chez elle n'est pas tant la virtuosité magistrale avec laquelle elle domine les colorature de son fameux air des clochettes que le naturel et l'évidence de son chant. L'émission est toujours d'une pureté, d'une totale délicatesse et lui permet de créer un personnage psychologiquement crédible où se mêlent candeur enfantine et maturité féminine. Dès lors, peu importe si la mise en scène la transforme au premier acte en une sorte Pocahontas plutôt qu'en fille de brahmane, c'est par son chant expressif et délicat qu'elle fait exister son personnage dont elle dessine un portrait vibrant.

LakmeLakmé, Opéra-Comique de Paris, janvier 2014. Lakmé (Sabine Devieilhe). Photographie © Pierre Grosbois.

Face à elle, Frédéric Antoun ne manque pas de qualités. La clarté de son articulation, la fouge et la jeunesse qu'il communique à Gérald font oublier une certaine étroitesse de la voix et une émission qui dénote ses origines de ténor di grazia, là où attendrait plutôt un véritable lyrique au timbre un peu plus rond. Mais il gagne en crédibilité au fil des scènes et ne mérite au final que des éloges. À force de vouloir être imposant et noble, Paul Gay se raidit et son phrasé manque de legato. Comme le timbre n'a pas la profondeur qui font les très grands Nilakhanta, c'est plutôt une composition qu'une incarnation que le chanteur nous offre mais tout de même d'un très haut niveau.

Ni Élodie Méchain au timbre charnu mais à la diction paresseuse, ni le Hadji au vibrato prononcé d'Antoine Normand ne laisseront de souvenir inoubliable. En Frédéric, Jean- Sébastien Bou paraît sous distribué et sa voix désormais un peu lourde pour ce rôle de quasi baryton-martin. Du groupe des Anglais, on distinguera surtout l'Eileen touchante de Marion Tassou car la voix bien fatiguée d'Hannah Schaer en Mistress Benson, met un peu de temps à se chauffer et c'est son beau talent de comédienne comique qui la sauve dans ce rôle de vieille Anglaise pincée. Le travail réalisé sur l'articulation est remarquable en tous points et s'il bride quelque peu les chanteurs, il donne une totale clarté aux interventions de chœurs.

lakmeLakmé, Opéra-Comique de Paris, janvier 2014. chœur accentus. Photographie © Pierre Grosbois.

L'orchestre des Siècles sous la direction de François-Xavier Roth offre une lecture fluide, dramatisée sans excès et parfaitement idiomatique de cette partition à l'orchestration raffinée dont il valorise la richesse des alliages de timbres.

La mise en scène de Lilo Baur ne dépasse guère le niveau de l'illustration et sa direction d'acteurs reste assez conventionnelle mais plutôt efficace. Sa relecture de l'exotisme fin de siècle offre quelques belles images dans la grande scène de la cérémonie de Dourga à l'acte II, élégamment chorégraphiée par Olia Lydaki. Assez maladroite dans les grands ensembles, elle trouve ses meilleurs moments dans les scènes intimes du dernier acte où le plateau, enfin débarrassé de tout ce qui l'encombrait jusque là — tertre au premier acte, silhouette d'un temple de métal dans la scène du marché — offre enfin un espace où l'action peut se déployer. Le berceau de lianes dans lequel se joue le dénouement est du plus bel effet et nous ramène enfin à l'essentiel : l'incarnation de l'héroïne par une jeune interprète d'exception qui par sa voix et son chant exceptionnels transcende ce rôle un peu désuet et le porte vraiment aux limites du sublime.

Prochaines représentations les 14, 16, 18 et 20 janvier. Spectacle diffusé en direct par France Musique le 18 janvier.

LakméLakmé, Opéra-Comique de Paris, janvier 2014. Lakmé (Sabine Devieilhe) et Gérald (Frédéric Antoun). Photographie © Pierre Grosbois

plume Frédéric Norac
12 janvier 2014
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