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Nice, 6 juin 2012, Jean-Luc Vannier

Turandot mis en espace à l'Opéra de Bucarest

Opéra en trois actes et cinq tableaux de Giacomo Puccini, créé le 25 avril 1926 à la Scala de Milan sous la direction de Toscanini, Turandot était donné dimanche 3 juin à l'Opéra National de Bucarest dans une version mise en espace par Viorica Petrovici. L'histoire de cette Princesse chinoise à l'éclatante beauté, mais angoissée à l'idée que son mariage puisse, comme pour l'une de ses ancêtres, lui faire perdre la voix, se termine par le sacrifice de l'esclave Liu, détentrice du secret identitaire du « Prince inconnu » et par la révélation de l'amour salvateur entre Turandot et ce prince nommé Calaf. Un scénario puccinien très psychanalytique où le nom prononcé sauve et réconcilie.

Turando, Bucarest, James lee et Silvia Sorina Munteanu James Lee et Silvia Sorina Munteanu © Opéra de Bucarest.

Malgré quelques poncifs largement éculés comme la projection sur fond d'écran de motifs ou de personnages chinois dignes de Tintin au Tibet, cette production roumaine n'a pas, du point de vue lyrique, manqué d'atouts. Outre le célèbre escalier de marbre que Turandot gravit et descend, les soins apportés à la mise en espace suscitent un engagement dramatique des chanteurs qui mérite d'être salué. Le succès de cette performance revient surtout au prodigieux travail du jeune chef d'orchestre Tiberiu Soare : nommé directeur musical de l'Opéra en 2005, celui qui prendra prochainement la tête de l'Orchestre symphonique de la Radio nationale roumaine, dirige sa phalange avec force exigence et précision qu'il double d'un engouement personnel destiné à guider le jeu des acteurs sur le plateau. Le tout sans sa baguette qui restreint, selon lui, « les possibilités d'expression des mains » pour aiguiller les instrumentistes autant que pour donner l'impulsion aux chanteurs. Une posture dont il raconte volontiers l'origine : il « oublia » un jour sa baguette à l'orchestre de la radio alors qu'il devait jouer le Lac des Cygnes quelques heures plus tard à l'opéra. On ne prendra pas de grands risques en pariant sur la carrière future de celui qui a déjà tâté, comme chef assistant ou invité, du London Philharmonic Orchestra, de l'Orchestre philharmonique d'Essen ou de l'Orchestre national d'Île de France.

Silvia Sorina Munteanu, James Lee, Lulia Isaev Silvia Sorina Munteanu, James Lee, Lulia Isaev © Opéra de Bucarest.

D'inégale valeur, la distribution des voix ne laisse toutefois pas indifférente. Dans le rôle du prince Calaf, James Lee triomphe aisément dans cette prise de rôle et reçoit une ovation méritée. Habitué des voix puccinienne et verdienne, ce jeune ténor sud-coréen qui déclare « s'intéresser au répertoire allemand » en général et « beethovénien en particulier », séduit par sa puissance vocale stable, son timbre coloré très envoûtant, ses notes charnues et sensuelles. L'air du début de l'acte III « Nessun dorma », difficile d'interprétation à force d'être trop connu, lui offre néanmoins la possibilité de montrer l'étendue d'un talent prometteur. Malgré quelques notes aiguës aussi métalliques que le tranchant personnage de la Princesse Turandot — elle fait décapiter ses prétendants incapables de résoudre l'énigme qu'elle leur soumet — la soprano roumaine Silvia Sorina Munteanu investit ce rôle avec un éclat vocal empreint de toute la maîtrise inhérente au rang impérial : son « Straniero, ascolta ! » à l'acte II ou son duo final avec Calaf « Principessa di morte ! » dans la dernière scène forcent l'admiration.

Liviu Indricau, Florin Simionca, Valentin Racoveanu, Jemes Lee Liviu Indricau, Florin Simionca, Valentin Racoveanu, James Lee. © Opéra de Bucarest.

Si elle déçoit un peu dans les deux premiers actes où sa voix faible semble parfois couverte par l'orchestre, la soprano Iulia Isaev éblouit dans son interprétation très émouvante du grand air de Liu à l'acte III « Tanto amore, segreto… Tu, che di gel sei cinta », air au cours duquel l'esclave se suicide pour ne pas révéler le secret du nom du Prince. L'on ne s'attardera pas sur la piètre performance de la basse Florin Diaconescu dans le personnage de l'Empereur Altoum, même si, comme le faisait remarquer le maestro après le spectacle, Puccini insiste dans sa partition sur la nécessaire « décrépitude » de cette figure. On réservera en revanche une mention particulière pour la très belle prestation des trois ministres Ping, Pang et Pong respectivement incarnés par le baryton Florin Simionca et les ténors Liviu Indricau et Valentin Racoveanu. Des félicitations qui seraient bien incomplètes si elles n'intégraient pas l'excellent travail des chœurs, très sollicités dans cette œuvre, et placés sous la responsabilité de Stelian Olariu.

Le maestro Tiberiu Soare © Opéra de Bucarest.

Une performance applaudie par un public plutôt âgé malgré quelques jeunes mélomanes. Dont une étudiante au premier rang qui profitait de la pause pour continuer sur son ordinateur portable à écrire sa thèse de doctorat en économie : c'est peut-être cela la nouvelle Roumanie.

Turando, Buicarest, scène finale Scène finale © Opéra de Bucarest .

Nice, le 6 juin 2012
Jean-Luc Vannier

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