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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte. II. Le xviie siècle baroque

Angleterre ; Allemagne & Pays-Bas - Italie - France - Espagne

La musique instrumentale d'Henry Purcell (1659-1695)

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Les compositeurs anglais les plus en vue du xxe siècle,  Britten en tête, l'ont clamé haut et fort : de tous les musiciens de l'histoire anglaise, Purcell est le plus grand. Manière de confirmer le sentiment des contemporains qui voyaient déjà en celui-ci l'« Orphée britannique ». Et mieux encore que tous les superlatifs, il est frappant de voir comme il a souvent été comparé à Mozart, disparu comme lui prématurément à l'âge de 36 ans, dont il partage bien des qualités : fibre théâtrale (jusqu'à une certaine tendance à « théâtraliser » la musique religieuse), facilité apparente de l'écriture, sensibilité extrême, profondeur humaine, fécondité (sinon précocité) et cette capacité étonnante à réussir (enfin presque…) dans tous les genres abordés.

Comme le divin Wolfgang, Purcell vint au monde dans un milieu très musicien, avec un père et un oncle qui occupèrent très tôt des fonctions importantes à la cour. À la différence des musiciens anglais de la génération précédente, il eut la chance de naître juste avant la restauration de Charles II, de sorte qu'il grandit au moment où les théâtres rouvraient leurs portes et où la musique retrouvait droit de cité, tant à la cour que dans les églises. Le hasard, et surtout le talent, se chargèrent du reste : il est admis tout enfant comme choriste à la chapelle royale, puis, dès l'adolescence, se voit confier le poste de conservateur-accordeur des instruments royaux, après quoi, fort de la formation reçue de son père, puis de professeurs éminents, parmi lesquels un certain John Blow, il deviendra organiste de l'abbaye de Westminster, Gentleman de la chapelle royale, compositeur à la cour et grand musicien de théâtre. « Sans intriguer, sans jamais se pousser du col, par la simple perfection de sa musique, il devient un compositeur indispensable, sollicité de toutes parts dans un Londres qui s'étourdit de musique. »1

Ce qu'on retient de lui en premier, à côté de ses œuvres religieuses, c'est sa production destinée à la scène, aussi riche qu'abondante, avec ce fleuron que constitue l'opéra Didon et Enée. Il est vrai que c'est la part la plus géniale, en tout cas la plus originale, de son immense catalogue. A côté, la production proprement instrumentale, finalement peu abondante, pourrait presque passer pour secondaire, mais on aurait grand tort de voir les choses ainsi : chez Purcell, tout appelle l'admiration et le respect, à quelque stade de son évolution on se situe.

S'agissant de sa musique, « on se demande surtout par quel miracle un compositeur qui écrivit pour une époque aussi différente de la nôtre nous émeut encore profondément aujourd'hui. La noblesse, la fraîcheur, la robustesse, l'humour, la fantaisie, la poésie, la tendresse, la sensualité, le sens du tragique, tout cela, la musique de Purcell nous l'offre avec une concision qui entretient sans cesse l'émotion. Mais ce qui rend l'œuvre de Purcell inaltérable, c'est la vérité profondément humaine des émotions qu'elle suscite. Purcell a compris les hommes, il les a aimés avec leur joie et leur désespoir, et c'est cela qu'il nous dit aujourd'hui encore, en toute simplicité. »2   Après cette citation, comment ne serait-on pas tenté de revenir au parallèle avec Mozart ?

Œuvres pour orgue

Au sein d'un catalogue global de plus de huit cents œuvres, l'orgue tient chez Purcell une place des plus anecdotiques, ce qui peut étonner de la part d'un musicien qui fut organiste à Westminster et à la chapelle royale ainsi que facteur d'orgue. En dehors d'un Trumpet tune qui a de longue date les faveurs des jeunes organistes et bénéficie d'une belle popularité grâce à quelques adaptations pour trompette et orgue, l'œuvre d'orgue de Purcell se limite en effet à quelques rares Voluntaries, au demeurant très réussis. Ainsi du premier (en ré mineur), « digne du meilleur Purcell,…remarquable tant par sa richesse formelle, rythmique et mélodique que par sa concision, … un véritable morceau de bravoure pour le xviie siècle. » Ainsi également du second, lui aussi en ré mineur (Voluntary for ye Duble Organ) :  « l'effervescence de cette pièce, éruptive bien que régulièrement tempérée, riche en accidents savoureux.… transmet un sentiment de vie étourdissant. » Quant au Voluntary on the 100th Psalm Tune (en la majeur), on ne saura sans doute jamais « si cette œuvre est de Blow … ou de Purcell : l'œuvre n'en demeure pas moins l'une des plus belles du clavier anglais du XVIIe siècle. »3

Trumpet Tune, Pavel Svoboda.
Deux Voluntaries en sol mineur et ut majeur, par Nicolas Zannin.

L'œuvre pour clavecin

Maigrichonne également, mais pas au même point : l'œuvre pour clavecin comporte d'une part les huit suites publiées en 1696 par la veuve du compositeur sous le titre A Choice Collection of Lessons for the harpsichord or spinet,et d'autre part une cinquantaine de pièces diverses issues de recueils collectifs publiés du vivant de Purcell ou d'un manuscrit autographe retrouvé à Londres en 1993.

Il est de bon ton de déprécier cette partie de la production de notre Orphée britannique, au motif qu'elle ne serait que facile et charmante, et partant, plus propre à séduire les amateurs de déchiffrage en chambre qu'à emballer les virtuoses et leur public. Il est vrai qu'elle n'est pas portée par une grande ambition, et il semble même qu'une bonne part de ce corpus, y compris les huit Suites, ait été écrite avec des visées avant tout pédagogiques. Mais elle a son prix : « elle a pour elle, outre sa simplicité, d'être variée, sensible, profondément mélodieuse ; elle ne discourt jamais, elle chante. Cette veine, qui est la marque du compositeur dans tous les domaines où il a exercé son art, des anthems aux odes, des opéras à la musique instrumentale, s'appuie sur un usage très personnel de la syncope et du silence ; le débit en est caractéristique, haché le plus souvent par une émotion réelle … »4

Et en effet, l'auditeur qui abandonnera tout a priori pour aller à la découverte des Suites résistera difficilement à leur séduction : « Purcell n'est jamais à bout de ressources pour trousser un nouveau prélude, tailler un nouveau patron aux mêmes danses. Et comme son art est ici dépourvu de tout orgueil, que le naturel dissimule le savoir, on savoure à loisir ces pages faciles, où tant de musique est enclose sous une apparence familière. »5

Suite n° 1 en sol majeur, Z 660, par Richard Egarr.
Suite n° 2 en sol mineur, Z 661 et Chaconne, Z T680, Terence Charlston.

De la même façon, l'auditeur curieux fera sa moisson de bonnes surprises, avec leur lot de poésie, en explorant peu ou prou les autres pièces pour clavecin, par exemple à l'écoute d'une certaine Chaconne en sol mineur, du Sefauchi's farewell, de tel ou tel Ground ou encore de cette Toccata parfois attribuée à Bach : « un long morceau brillant qui repose sur une extraordinaire variété de figures de virtuosité (gammes, arpèges, accords brisés, formules d'accompagnement rapides, superpositions de mains, mouvements contraires, etc.)6

Ground en ut mineur, Z D221 et Two in one upon a ground (chaconne pour 2 flûtes et continuo), Skip Sempe & Capriccio Stravagante.
New Ground, Z T682, Gustav Leonhardt.
Prélude en manière de chaconne, Z T681, Ernst Stolz.

Fantasias for the viols

Vraisemblablement écrites en 1680, ces quinze Fantaisies (dont deux intitulées In nomine) pour trois, quatre, cinq, six et sept violes constituent les derniers feux d'un instrument qui avait été tout particulièrement vénéré par les musiciens anglais. Ces œuvres sont « célèbres aussi bien pour leur beauté rigoureuse et la hauteur de leur inspiration que pour leur archaïsme formel : c'est l'Angleterre héroïque et mélancolique de Dowland, de Coprario, de Gibbons, qu'exalte le jeune compositeur, non quelque Versailles-sur-Tamise dont rêverait la cour. »7

Défi personnel ? Commande ? On ne saura sans doute jamais les raisons qui ont poussé Purcell à s'essayer à cette forme bien traditionnelle et largement dépassée de la musique anglaise. Mais qu'importe : on a là des chefs-d'œuvre fascinants, d'une pureté de ligne, d'une plénitude sonore et d'une intensité expressive telles que, servie par des interprètes inspirés, cette musique emporte l'auditeur « vers des sphères envoûtantes où le temps semble suspendu au bon plaisir de Purcell. »8  Et ce, alors même que, par sa complexité et son modernisme, l'écriture de ces pièces laisse perplexes les plus fins spécialistes, certains d'entre eux n'étant pas loin de mettre ces pièces sur le même plan que L'Art de la fugue de Bach, voire les derniers Quatuors de Beethoven… L'évidence dans la complexité, n'est-ce pas le comble de l'art ?

Fantasia VI, par Hespérion XX (Jordi Savall).
Fantasia VII, Hespérion XX (Jordi Savall).
Fantasia on one note, Ricercar Consort (Philippe Pierlot).

Sonates pour violon

Changement d'ambiance, ou plutôt d'esprit, avec ces sonates composées peu de temps après les Fantaisies. Un premier recueil, publié en 1683 et comportant douze Sonnata's of Three Parts for Two violins and Bass : to the Organ or Harpsichord, annonce clairement la couleur : « l'auteur s'est dûment appliqué à bien imiter les plus illustres maîtres italiens, surtout pour répandre le goût du sérieux et de la gravité d'une telle musique parmi nos compatriotes, désormais appelés à honnir la frivolité et les balleries de nos voisins » (autrement dit : des Français). Et un second recueil, publié en 1697 par la veuve du compositeur sous le titre de 10 Sonatas in Four Parts for Two violins and Bass : to the Organ or Harpsichord, et réunissant des œuvres composées à la même époque que celles du premier recueil, poursuit dans le même esprit.

Rappelons le contexte : « Depuis la restauration de la monarchie en 1660, la musique a pris un nouvel essor, encouragée par un roi bien décidé à oublier ses années d'exil et de pauvreté et rêvant d'une cour aussi fastueuse que celle de son cousin germain Louis xiv. Nombreux sont les musiciens étrangers venus chercher fortune dans la capitale anglaise :  violonistes allemands et italiens, compositeurs et danseurs français, chanteurs italiens, qui tous apportent un savoir-faire différent, des techniques nouvelles dont les Anglais vont profiter. »9 Et si Charles II a eu un faible pour les artistes français, au point même de tenter de débaucher Lully, les Italiens, avec Matteis comme figure de proue, se sont fait une solide place à Londres, de même que les partitions les plus novatrices de leurs compatriotes, telles les sonates de Vitali, voire l'opus 1 de Corelli de 1681.

C'est donc dans le moule italien de la sonate en trio que Purcell a voulu inscrire ces 22 sonates qui sont souvent plus développées que leurs modèles, avec parfois six ou sept mouvements successifs, et qui affichent volontiers leur filiation à travers des indications de tempo à l'italienne. Mais même si les traits italiens abondent tout au long de ces sonates, la personnalité et la profonde originalité du musicien s'affirment à chaque instant, de sorte qu'on y a vu une brillante acclimatation de la musique italienne aux brumes londoniennes. « La plus stricte polyphonie à l'anglaise n'en est pas absente et quelques fugues archaïques y sont disséminées, mais on peut être ébloui par la manière dont, spontanément, le jeune Purcell a assimilé le style italien (invention mélodique généreuse, diversité rythmique) tout en conservant au discours une sombre densité héritée du répertoire anglais pour viole. »10   Un commentaire qui visait les douze sonates du premier recueil mais qu'on pourrait étendre aux dix autres publiées à titre posthume, incluant la fameuse Golden Sonata en fa majeur (n° 9) et surtout la saisissante Sonata en sol mineur (n° 6) en un seul mouvement.

Sonata in 3 parts no 3 en re mineur, Z 792,London Baroque.
Sonata in 3 parts n° 9 en sol majeur, Z 797, Purcell Quartet.
Sonata in 4 parts n° 6 en sol mineur, Z 807, New Trinity Baroque (Pr. Gosta)
Sonata in four parts n° 9 en fa majeur, Z 810, « The Golden Sonata » par London Baroque.

Autres œuvres de chambre

Outre une Sonata for trumpet and strings, Purcell a laissé quelques autres pièces généralement destinées à des formations comparables à celle de ses sonates pour violon : quelques ouvertures d'une inspiration très française, une poignée de pavanes d'une belle densité, des fantaisies (dont la Fantazia : three parts on a ground), une Suite à 4 en sol majeur ainsi qu'une fort belle Chacony à 4 en sol mineur.

Fantazia of three parts on a ground, Z 731, Hespérion XXI (Jordi Savall)
Chaconne a 4 en sol mineur, Z 730, par Capriccio Stravagante (Skip Sempe)
Pavane en sol mineur, Z 752 pour 3 violons et continuo, London Baroque
Pavane en la majeur, Z 748 pour 2 violons et continuo, Purcell Quartet.

Ayres for the Theatre

A côté de quelques pièces orchestrales directement issues de certaines œuvres de scène (Sonata « while the sun rises » de The Fairy Queen, Symphony de The Indian Queen …), nous disposons, toujours grâce à Mrs Purcell, d'un important recueil de suites pour orchestre paru en 1697 sous le titre A Collection of Ayres, Compos'd for the Theatre, and upon other Occasions. En treize suites, ce recueil « rassemble quelque 128 danses, ouvertures, tunes et airs tirés des quatre grands dramatick operas représentés entre 1690 et 1695 (Dioclesian, King Arthur, The Fairy Queen et The Indian Queen) mais aussi de neuf pièces de théâtre auxquelles Purcell contribua au cours des mêmes années (The Married Beau, The Old Batchelor, Amphitryon, The Double Dealer, Distressed Innocence, The Gordian Knot Untied, Abdelazer, Bonduca et The Virtuous Wife). » 11

En composant ces treize suites dont nombre de morceaux sont issus de pièces vocales, le musicien ne visait sans doute qu'à divertir. On ne saurait donc trop attendre de cette partie de son catalogue. Pourtant on ne cesse d'être admiratif de la qualité de son écriture, et, au-delà de la variété mélodique et rythmique de ces suites, on ne sera pas surpris de retrouver ici et là cette touchante sensibilité qui est la marque du compositeur.

Chaconne (de The Fairy Queen), Jordi Savall.
Suite from Kinbg Arthur, par Freiburger Barockorchester.
Symphony (Act IV de The Fairy Queen), Les Arts Florissants / William Christie.
Rondeau (d'Abdelazer), English Chamber Orchestra / Raymond Leppard.
Music for the Funeral of Queen Mary,Baroque Brass of London.3

Notes

1. Claude Hermann, dans « Le Monde de la musique » (185) février 1995.

2. —, op. cit. 

3. Citations empruntées à Michel Roubinet, dans Gilles Cantagrel (dir.), « Le guide de la musique d'orgue » , Fayard, Paris 2003, p. 640-641.

4. Guy Sacre, La musique de piano, Robert Laffont, Paris 1998, p .2170 .

5. —, Guy Sacre, op. cit., p. 2171.

6. Adelaïde de Place, dans Fr. R. Tranchefort (dir.), « Le guide de la musique de piano et de clavecin », Fayard, Pars 1998, p. 582 .

7. Ivan A. Alexandre, dans « Diapason » (412), février 1995.

8. Claude Hermann, dans « Le Monde de la musique » (188), mai 1995.

9. —, Ibid., (185), février 1995.

10. Jean-Luc, dans « Diapason » (399), décembre 1993.

11. Ivan A. Alexandre, dans « Diapason » (422) janvier 1996.

Notice biographique musicologie.org

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