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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte.

III. Le temps de Bach : France - Italie - Allemagne - Autres nations.

La musique instrumentale d'Antoine Forqueray (1672-1745)

Antoine Forqueray

L'homme était, dit-on, absolument exécrable, mais le gambiste était prodigieux : encore enfant, il s'était produit devant le roi qui en avait été ébloui et qui, à partir de 1689, allait faire de ce jeune prodige un de ses musiciens attitrés à la cour. On en a donc fait le rival de Marais à la viole, mais il semble que Louis xiv lui-même ait trouvé les mots pour les mettre d'accord, en disant que l'un jouait « comme un dieu » et l'autre « comme un diable ».

Comme compositeur, il ne fut pas aussi prolifique que Marais mais il aurait tout de même écrit quelque trois cents pièces pour la viole. Le conditionnel s'impose ici car Forqueray, s'estimant seul capable de les jouer, s'opposa toute sa vie à leur publication. Et ce n'est que grâce à son fils Jean-Baptiste (1699-1782), lui-même excellent gambiste, que l'on doit d'en connaître une petite partie, puisque celui-ci en publia une trentaine deux ans après la mort du compositeur. « Etait-ce pour rendre un hommage posthume à un père irascible et violent qui le fit interner à Bicêtre par jalousie musicale ; pour tenter de remédier à l'espèce d'oubli dans lequel était à l'époque tombée la viole ; ou, plus banalement, pour vendre sa musique en tirant profit de la célébrité d'Antoine ? Toutes les hypothèses sont admissibles, outre les questions d'attribution qui agitent quelquefois le monde musicologique. »1

Pièces de viole avec la basse continue

C'est donc en 1747, et sous ce titre, que Forqueray fils fait paraître un livre contenant cinq suites de pièces destinées à être jouées par deux violes et un clavecin. Et s'il s'agit pour l'essentiel de pièces composées par M. Forqueray le père, on y trouve aussi, dans la troisième suite, trois pièces dues à la plume de Jean-Baptiste. De plus, rien n'interdit de penser que celui-ci a pu apporter des modifications à la musique de son père, une hypothèse qui, aux yeux de quelques uns, mérite d'autant plus d'être considérée que les similitudes de style sont frappantes entre les deux écritures.

Quoi qu'il en soit, nous avons là des pièces de tout premier intérêt et, derrière leurs titres les plus divers, d'une grande variété d'esprit et de caractère. Parmi elles, des hommages à de grands confrères (Leclair, Rameau, Couperin), mais aussi des moments d'espièglerie (La Portugaise), de tendresse et de grâce (La Buisson), d'éclat théâtral (La Jupiter), voire de dépaysement instrumental (La Mandoline). Tout cela dans un langage très personnel où perce la fougue du musicien, un langage qui « compte parmi ce que l'époque a conçu en France de plus passionné, l'un de ceux pour lesquels l'épithète de baroque paraît le mieux convenir. »2

La Laborde ; La Forqueray (Suite I), par Jordi Savall, Christophe Coin et Ton Koopman.
La Portugaise (Suite I), par Nima Ben David.
La Couperin (Suite I), Petr Wagner et Premysl Vacek
La Léon (sarabande de la Suite V), Frères Kuijken et Gustav Leonhardt.
Jupiter (Suite V), Frères Kuijken & Gustav Leonhardt.

Pièces de clavecin

Ces pièces de clavecin, qui ont acquis une réputation enviable et justifiée, sont les mêmes que les pièces de viole évoquées ci-dessus. Publiées avec celles-ci en 1747, elles furent mises en Pièces de Clavecin par Jean-Baptiste Forqueray afin sans doute de les rendre techniquement plus abordables et de réactiver l'intérêt du public pour ce répertoire familial à un moment où la viole vivait son déclin.

On soupçonne fort ledit Jean-Baptiste d'avoir confié à sa femme, l'excellente claveciniste Marie-Rose Dubois, le soin d'effectuer ces transcriptions, au demeurant superbement réalisées ; on remarquera en particulier avec quel soin elles s'attachent à conserver la tessiture grave de pièces initialement pensées pour la viole. A côté d'une écriture riche et audacieuse qui donne parfois à ces pièces une puissance presque orchestrale, ce chant si original, souvent dans les profondeurs du clavier, n'est sûrement pas pour rien dans la popularité qu'elles ont acquise auprès des clavecinistes.

La Bellmont (Suite I), par Christophe Rousset.
La Couperin (Suite I) ; La Leclair (Suite II), par Gustav Leonhardt.
La Mandoline (Suite II).
La Rameau ; La Guignon (Suite V), Christophe Rousset.
La Sylva (Suite V), Gustav Leonhardt.

Biographie d'Antoine Forqueray dans Musicologie.

Notes

1. Adelaïde Deplace Diapason (420), novembre 1995.

2. Marc Desmat, Le Monde de la musique (244), juin 2000.

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Dimanche 31 Mars, 2024