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19 août 2013 — Jean-Marc Warszawski

Philosophie de la musique : imitation, sens, forme

philosophie de la musique

Muller Robert & Florence Fabre (éditeurs), Philosophie de la musique : Imitation, sens, forme. « Textes Clés », Éditions Vrin, Paris 2013 [310 p. ; ISBN 978-2-7116-2379-2 ; 13 €].

Cadré par les exigences d'une collection éditoriale, ce livre n'est pas directement philosophant ni centré sur la musique. Son objet est de réunir des textes congrus de philosophie de la musique. Le projet pouvant être fort vaste et fort généraliste, les auteurs ont resserré leur sujet sur la question de la signification (du sens donc de la forme), et de l'imitation comme la question est posée depuis les philosophes de l'Antiquité grecque jusqu'au XVIIIe siècle, non pas dans un sens naturaliste naïf, mais en cherchant à savoir de quoi la musique, si expressive qui nous touche tant dans une grande diversité d'émotions, est-elle le média.

Contrairement à la philosophie qui fait de l'histoire pour mieux en abolir les spécificités et engager un débat aux termes universalisants, ces textes ne sont pas mis en débat, mais exposés chronologiquement. En contrepartie, les auteurs introduisent chaque texte pour en donner les indications nécessaires à une lecture éclairée.

Le saut d'Aristote à Jean-Jacques Rousseau peut paraître assez vertigineux, mais la juxtaposition est tout à fait judicieuse. Si le philosophe des Lumières, grand connaisseur des textes anciens, souffre de la réputation d'être un doux naturaliste, il est aussi un formidable penseur, qui pose à propos de l'origine des langues (et de la musique), les bases passionnantes d'une théorie des signes que la sémiologie contemporaine de la musique a égarées dans des considérations philosophiques et scientifiques artificielles.

Il reste que la question de la signification de la musique a nourri des débats au cours des 2000 ans qui les séparent. Les pères de l'Église s'inquiétant qu'à l'office, la puissance de la musique, féminine et amollissante, puisse occulter le sens des paroles édifiantes, débat qui se continue tant dans le Moyen-Âge occidental, qu'arabe et moyen-oriental (souvent sous l'autorité des philosophes de la Grèce antique), dès le VIIIe siècle. Il se pose aussi dans la grande remise à plat du XVIIe siècle, ou peut-être on aurait pu trouver quelques pages de Descartes (de son traité de musique), ou quelques échanges épistolaires avec le père Marin Mersenne, propres à entrer — même par la fenêtre — dans le cadre et les contraintes de cette collection, voire encore Giovanni Artusi, pour lequel la seconda prattica de Monteverdi est un non-sens, parce que pour lui (et la doxa de l'époque) la forme est liée à une cosmogonie globale qu'il n'est pas imaginable de trahir.

De ce point de vue, la philosophie serait peut-être plus à même de maîtriser la longue durée de certains aspects de théorie musicale, que la musicologie plombée par un scientisme positiviste. On peut calculer et chiffrer tant qu'on veut les intervalles musicaux, chercher la pierre philosophale de la gamme parfaite, voire penser que la musique dodécaphonique, mieux sérielle sont des aboutissement fondamentaux, alors que loin d'approcher des essences, on ne pose que de la rhétorique sur des choix symboliques ancestraux. Il y a douze degrés chromatiques parce qu'il 12 mois dans l'année et sept degrés diatoniques parce qu'il y a sept jours dans la semaine. La théorie du dasátin, théorie modale persane, attribuée à Abrawiz Bahlabadh, dit « Barbad », personnage des V-VIe siècle ne dit pas autre chose : Il y a sept modes principaux, Il y a trente Lahn (forme de modulation), Il y a 360 Dastagh, parce qu'il y a sept jours dans la semaine, trente jours dans le mois et 360 jours dans l'année (quand on parle d'imitation et de sens).

Au regard des 2000 ans, Aristote–Jean-Jacques Rousseau, les quelques années qui séparent Boris de Schlœzer et François-Bernard Mâche, les deux auteurs qui concluent le livre sont imperceptibles du point de vue calendaire.

Pourtant, la juxtaposition n'est pas évidente. Ce à quoi répond Mâche, dans un texte incisif qui ouvre véritablement le débat philosophique en justifiant tout le livre, est une pratique diffuse, dont on ne peut avancer de texte consistant, une idéologie qui s'est imposée au petit bonheur la chance, sans avoir été fondée ni justifiée par un texte auquel se référencer, dans les retombées du structuralisme à l'apogée du positivisme et la foi en une universalité technologisante, où on finit par jouer avec les signes, comme des diseuses de bonne aventure.

Ce livre, à la lecture accessible pour tout honnête homme ou honnête dame, serait un excellent manuel pour musicologue.

Jean-Marc Warszawski
19 août 2013


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