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Théâtre des Champs-Élysées, 23 mai 2014, par Frédéric Norac ——

Patrizia Ciofi, sublime Aménaïde : « Tancrède »  de Rossini

TancrediPhotographie © Vincent Pontet-WikiSpectacle.

Si le « festival » Rossini du Théâtre des Champs-Élysées impose une évidence, c'est qu'il existe  une véritable filiation entre l'Otello de 1816, deuxième opéra de la  période napolitaine de Rossini (cf chronique du 17 avril) et ce Tancredi, créé en 1813 à la Fenice de Venise et premier coup de maître d'un Rossini de 21 ans dans le domaine de l'opéra séria.

Même enjeu dramaturgique, autour d'une héroïne, isolée dans un monde d'hommes pour qui elle n'est qu'un objet, en révolte contre l'oppression paternelle qui veut lui imposer un mariage contre son cœur, rejetée sur un malentendu par un amant aveuglé à la jalousie obtuse et menacée de mort par son rival. La seule différence c'est qu'ici la victime expiatoire sera finalement l'amant. Certes, la forme reste plus classique avec une certaine discontinuité due à l'usage du recitativo secco et une distribution des rôles plus proche des canons de la génération précédente mais les éléments de langage — structure des numéros, richesse de l'orchestration, vocalité — sont foncièrement les mêmes et annoncent les avancées que le compositeur imposera au melodramma dans ses années de maturité.

TancrediPhotographie © Vincent Pontet-WikiSpectacle.

À bien y regarder, Aménaïde est bien la cousine de Desdemona et au-delà du titre de l'opéra s'affirme comme le personnage central de ce premier chef-d'œuvre. Surtout quand elle est incarnée par une interprète de la trempe de Patrizia Ciofi. Nous avions le souvenir de sa prise de rôle dans la production de Pier Luigi Pizzi au Festival de Pesaro en 2004, qui nous avait fait dire que l'opéra aurait dû être rebaptisé du nom de l'héroïne. Faut-il dire qu'elle le surpasse ? Peut-être pas mais elle le renouvelle. Son engagement sans réserve suffit à faire oublier quelques légers accrocs dans un tissu vocal qui n'a plus tout à fait la même fraîcheur mais où la maîtrise des écarts, la capacité à modeler la longue phrase rossinienne, à y intégrer l'ornementation de façon organique, à surprendre par de soudains allègements de l'aigu, donnent au chant ce caractère aérien qui  suspend l'auditeur à chaque inflexion et lui vaut un triomphe sans réserve.

TancrediPhotographie © Vincent Pontet-WikiSpectacle.

La scène de la prison en ce sens est un modèle absolu d'expressivité et de bel canto, bien servie de surcroît par la mise en scène de Jacques Osinski qui l'installe dans l'espace glacé d'une salle d'interrogatoire avec pour seul accessoire une table et une chaise de formica où l'héroïne est abandonnée dans une pauvre petite robe noire.

Par comparaison, le Tancrède pourtant singulièrement crédible physiquement de Marie-Nicole Lemieux, paraît plus extérieur, moins impliqué. La voix est celle d'un authentique contralto colorature, virtuose, homogène sur toute la tessiture, tel qu'on en entend rarement. L'autorité ne manque pas — particulièrement sensible dans certains passages de récitatif — mais le personnage reste un peu en deçà et doit encore être approfondi. Les deux voix en tout cas se marient avec un bonheur évident en termes de couleurs et de musicalité.  Qu'est-il arrivé à Antonino Siragusa — autrefois ténor rossinien de premier plan — dont l'aigu instable, forcé et à la limite de la justesse vient ruiner sa grande scène de l'acte II pourtant phrasée avec un élégance remarquable et une clarté de l'articulation italienne que peut lui envier le reste du plateau ?

TancrfediPhotographie © Vincent Pontet-WikiSpectacle.

L'Isaura de grand luxe, Josè Maria Lo Monaco, le  Roggiero encore un peu vert de Sarah Tynan et l'Orbazzano de Christian Helmer à la noirceur de timbre et l'autorité bienvenues complètent ce plateau homogène porté par la direction énergique et très équilibrée d'Enrique Mazzola qui insuffle tout le dramatisme nécessaire à la partition de Rossini, bien servie par les subtiles couleurs des cordes et des bois du Philharmonique de Radio France en état de grâce. Il faut ajouter à cette réussite la qualité du chœur du Théâtre des Champs-Élysées remarquablement préparé.

La mise en scène de Jacques Osinski se bonifie au fil des scènes, dépassant la sensation de banalité qu'impose d'abord le choix d'une transposition dans un univers contemporain uniformément gris , dans les lambris de ce qui pourrait être un ministère ou une ambassade dans un pays totalitaire. Les transformations du décor de Christophe Ouvrard et les lumières raffinées de Catherine Verheyde  y sont pour beaucoup. Elles installent un climat à l'opposé du réalisme que semblaient annoncer les premières scènes et nous emmènent dans un univers onirique quasiment kafkaïen au gré d'images aussi fortes qu'étranges comme cette grande salle grise en fausse perspective en fond de scène qui s'éclaire de plus en plus tandis que le héros s'éteint. L'ensemble, associé  à une direction d'acteurs très approfondie, contribue à un spectacle efficace et cohérent salué au final par un triomphe amplement mérité.

Prochaines représentations les 25 et 27 mai - Diffusion sur France Musique le 31 mai.

plume Frédéric Norac
23 mai 2014

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