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Le Corum, 19 juillet 2014, par Eusebius

Musique russe à Montpellier : un jeune dieu au panthéon des chefs

RouvaliSanttu-Matias Rouvali, Montpellier. Photographie © Marc Ginot.

Avec Renaud Capuçon, violon, le Choeur et l'Orchestre Philharmonique de Radio France, dirigé par Santtu-Matias Rouvali Festival Radio-France Montpellier Languedoc-Roussillon, Opéra Berlioz –

La vaste salle Berlioz du Corum affiche complet, de nouveau. Il est vrai que l'affiche à de quoi drainer un abondant public : Renaud Capuçon, trois chanteurs, les Chœurs et l'Orchestre philharmonique de Radio France, dirigés par le singulier  Santtu-Matias Rouvali, dans un programme de musique russe peu fréquentée.

La cantate Sept, ils sont sept, de Prokofiev, est rarement donnée. Peinture d'une humanité barbare, primitive, violente, dans le droit fil de la Suite Scythe, nous sommes aux antipodes de l'art ravélien illustré par les mêmes interprètes hier. Cette musique massive, archaïsante, dégage une formidable énergie, verticale, percussive, avec des rythmes, des mètres et des ostinati qui rendraient fades les Carmina burana, écrits quelques dizaines d'années après. Le ténor solo, Zach Borichevsky, a l'émission claire, ronde, puissante, bien projetée qui convient à l'ouvrage. Les chœurs sont splendides.

Créé par David Oïstrakh il y a une soixantaine d'années, le premier concerto pour violon, en la mineur, de Chostakovitch, malgré ou à cause de sa prodigieuse difficulté, a la faveur des grands interprètes. Le sombre nocturne qui l'ouvre, à la gravité affirmée permet au soliste de faire montre d'un lyrisme accusé. Ludique, puis grotesque, démoniaque, le 2e mouvement, sorte de sabbat exubérant, est irrésistible, avec ses progressions. La dynamique, la précision millimétrée des musiciens forcent l'admiration. Soliste et orchestre y brillent de façon éclatante. Suit la passacaille, énoncée comme un choral par les cordes graves, les cors et les percussions. Le chef accompagne chaque pupitre, modelant les attaques, les phrasés, les accents, les nuances, et le violon de Renaud Capuçon est magnifié par cette phalange extraordinaire. L'admirable et longue cadence n'aurait pas été désavouée par le dédicataire, David Oïstrakh : l'instrument sonne à merveille, la maîtrise et le sens musical de notre grand violoniste s'y épanouissent. Quant au finale, avec, évidemment, l'usage du DSCH, burlesque, il nous emporte dans son accélération de l'allegro au presto exalté. Un chef d'œuvre servi par les meilleurs musiciens.

Presque contemporaine, la vaste fresque Les cloches, de Rachmaninov, réunit l'orchestre le plus riche, avec célesta et piano, entre autres, le chœur et les trois solistes. Sorte de symphonie avec chœurs, à programme de surcroît, c'est une œuvre singulière qui porte toujours la marque du pathos russe, amplifié chez Rachmaninov. Les clochettes des traineaux, associées à la joie de la naissance, nous font entendre un orchestre animé, coloré, joyeux et notre ténor solo, dont la belle voix, sonore, longue et égale dans tous les registres, va dialoguer avec le chœur. Le mouvement suivant permet à l'orchestre de chanter avec lyrisme le mariage, illustré par la soprano Dina Kuznetsova, puissante, avec de très beaux mezza voce. Les épreuves, l'incendie et le tocsin, constituent les arguments du 3e mouvement. Hurlements, gémissements, embrasement, ruptures brutales, violence, cris, toute la palette expressive est mise à profit pour qu'après un bref apaisement, une fin paroxystique n'accable chacun Le chœur, largement sollicité confirme ses qualités rares. Enfin, complainte lugubre, le finale, sur le thème du glas mortuaire, aura pour interprètes essentiels le cor anglais, le baryton basse, l'excellent Juha Uusitalo, et les cuivres bouchés. Le chœur et l'orchestre soulignent avec majesté la paix retrouvée après les épreuves et la douleur. Œuvre magnifique dont il faut savoir gré au Festival de Radio France Montpellier de nous proposer une version qui devrait faire date.

La veille, ici même, Santtu-Matias Rouvali nous offrait l'une des plus belles interprétations d'œuvres orchestrales de Ravel et nous nous extasions. Le concert de ce soir confirme ses qualités exceptionnelles, dans un répertoire foncièrement différent. Sa gestique, qui pouvait prêter à sourire si on ne l'écoutait, d'une amplitude extrême, dansante chez Ravel, est ici chargée de force, de tensions et de sensibilité. Tel Bernstein jadis, dans un tout autre style, mais avec un engagement semblable, notre jeune prodige, à la tête de forces colossales, réalise le miracle de conduire chacun des interprètes à se surpasser, à répondre à chacune de ses attentes pour le résultat le plus convaincant. Un jeune et nouveau dieu au panthéon des chefs !

plume Eusebius
20 juillet 2014


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