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Par l'ouvreuse du festival d'été ——

Mozart : la liberté ou la mort : La vérité serait-elle ennuyeuse ? («Secrets d'histoire», magazine de France 2, présenté par Stéphane Bern)

Mozart

 

Autant l'avouer, je ne regarde pas la télévision : je me contente des concerts et spectacles où je suis requise en matinée et en soirée, fins de mois obligent. Sans le coup de fil d'une amie proche me signalant le passage d'une émission consacrée à Mozart, je l'aurais ignorée. Par honnêteté à son endroit, j'ai vu et écouté attentivement… et n'ai point résisté à l'envie de nourrir ma conversation de notes prises au vol.

55 minutes, c'est à la fois peu et beaucoup pour aborder Mozart et son œuvre. C'est beaucoup pour une chaîne comme France 2, particulièrement à une heure de grande écoute. Destinée au public le plus large, c'est une initiative évidemment louable.  Le contenu et son mode de présentation m'intéressaient davantage que l'enrichissement de mes connaissances1.  

Que ne ferait-on pour séduire son public ? « Secret » est dans le titre, donc du mystère, entretenu par les professionnels du genre, il y aura. Pourquoi pas si l'ensemble des légendes fabriquées de toutes pièces conduisait à éclairer sous un jour plus authentique la figure du musicien, et surtout, son œuvre, replacées dans leur contexte historique et culturel ? Il me faut vite déchanter, ce qui est un comble pour Mozart… Rien sur le mouvement des idées qui animait l'Europe du XVIIIe siècle, si ce n'est la franc-maçonnerie. Haydn oublié.

« Il vient de chez les anges » et autres sornettes sont débitées sans vergogne par tel ou tel plumitif maîtrisant son sujet autant que je suis versée dans l'art de la guerre. Il est faux de prétendre que l'enfant prodige était reconnu par l'Europe de son temps comme un génie. Rien sur l'intelligence musicale et pédagogique exceptionnelle de Léopold. Les amours de Mozart donnent lieu à de longs développements : l'anecdote relevant le plus souvent du feuilleton ou du roman de gare. Certes la correspondance s'y prête, mais est-ce vraiment essentiel ? La vogue du jeu à la fin du XVIIIe siècle, et les pertes qui contribuèrent à la déroute financière de Mozart justifient-elles cette longue digression ? La narration semble construite comme une tentative de démonstration du caractère inné du génie.

Quand conviera-t-on de vrais musiciens à une émission ayant la musique pour thème ? Sur celui d'aujourd'hui, les Badura-Skoda, Philippe Cassard, seraient tout sauf ennuyeux. Non, la vérité ne l'est pas, et c'est mépriser singulièrement son public que de vouloir lui faire ingurgiter des fadaises, anecdotes rarement authentiques, assorties de commentaires affligeants d'ignorance. Les images sont parfois somptueuses, et servent pour l'essentiel les intérêts de l'Office autrichien du tourisme. Salzbourg, qu'il détestait (ce qui est oublié), Vienne, qu'il n'aimait guère. Très peu sur Prague, qu'il adorait. Les séquences cinématographiques qui illustrent le propos sont évidemment des fictions, trop souvent caricaturales (Forman), et toujours insuffisamment documentées.

Affligeant, la relation du pseudo-conflit avec Salieri…où rien moins que « la vérité sur ce dérangeant rival » est annoncée. Un « laborieux » qui « soudoie un élève de Mozart, Süssmayr, pour lui communiquer les brouillons de son maître » ( ?). « Il n'est pas le seul à vouloir freiner l'ascension de Mozart »… le dénigrement, dénué de tout fondement, se poursuit. Même s'il est précisé ensuite, en quelques mots, que les deux musiciens firent du quatre mains, s'appréciaient et que Salieri accompagna le convoi mortuaire. La calunnia, la calunnia… chante Basilio dans le Barbier, n'est-ce pas ? La gestation douloureuse du Requiem, si elle détruit partiellement la légende — inventée par Constance, de l'homme en gris — demeure cependant vivace. Mozart n'a éprouvé que peu d'intérêt pour le Requiem. Qui osera l'écrire en français ? Si les parties écrites de sa main étaient l'œuvre d'un contemporain, elles seraient immédiatement qualifiées pour l'essentiel de plagiat, resucée de fugues de Haendel, copiées chez Van Swieten2. On fait dire cependant « Il se révèle incapable d'achever sa commande, comme en attestent les huit bouleversantes premières mesures du lacrymosa ». Pour être vrai, il aurait fallu dire que Mozart préféra écrire la Clémence de Titus le concerto pour clarinette et des pièces maçonniques.

C'était enfin l'occasion de faire entendre des extraits significatifs de l'œuvre de Mozart. Las, les extraits sont réduits à quelques dizaines de seconde chacun, parfois mal interprétés, et mêlés d'une musique insipide, indigne d'un documentaire consacré à Mozart (les œuvres ne manquent pourtant pas permettant de se passer d'une composition « originale », qui dérange singulièrement).

Ainsi, a été ajoutée une pierre à l'autel de saint Mozart, qui conforte l'hagiographie traditionnelle. Sa musique y survivra, évidemment, mais honte aux naïfs (Tubeuf, Lodéon, particulièrement) et aux polygraphes et baveurs en tous genres (ainsi la Ruggieri, semblable à elle-même) qui ont monnayé leur concours à cette entreprise malhonnête.

L'ouvreuse du festival d'été
2 août 2014

1. l'ouvreuse écoute beaucoup. Mais elle lit beaucoup, aussi, depuis son enfance où elle découvrit Wyzewa et Saint-Foix, jusque Einstein (Alfred !), les Massin, Robbins-Landon, Hocquart, Autexier… et combien d'autres encore ?

2. De Van Swieten on ne retient que la fameuse liqueur mercuriale (de Gottfried) susceptible d'avoir empoisonné Mozart. Pas une fois il n'est question de Gerard (le père) dont l'influence fut déterminante (redécouverte de Bach, par exemple).


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