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22 septrembre 2006, Jean-Marc Warszawski —

Les collections d'instruments de musique (1re partie)

Les collections d'instruments de musique (1re partie), Musique • Images • Instruments : Revue d'organologie et d'iconographie musicale (8), CNRS Éditions / IRPMF 2006.

« Musique • Images • Instruments » est une des plus belles revues consacrées la musique que je connaisse. Parce qu'elle est consacrée aux instruments et aux images relatives la musique, qui sont de beaux objets, mais encore parce qu'elle est façonnée la manière d'une revue d'art.

Ce huitième numéro (et le neuvième venir)  est consacré aux collections d'instruments. Collections privées qui enrichissent de belles demeures, collections exotiques qui comblent le besoin tant d'étonnement,  que de connaissance positive, collections utiles, comme les réserves d'instruments pour les orchestres ou les lieux de concert, les instruments accumulés par les luthiers eux-mêmes,  les musiciens, bien entendu les collections patrimoniales publiques, et pourquoi pas la collection compulsive du passionné.

La revue n'est pas super catalogue de catalogues, mais offre une série de communications de spécialistes, ethnomusicologues, responsables de musées d'instruments de musique, archivistes ou paléographes, qui abordent quelques problématiques.

Ils s'interrogent sur la constitution, l'usage et le destin de diverses collections comme celle de l'électeur de Saxe, Dresde, luxueuse galerie d'art, regroupant,  un peu avant 1600 des œuvres d'art sujet musical, et de nombreux instruments vent, cordes et clavier, dont on nous livre un inventaire constitué en 1593. Quelques uns d'entre eux sont aujourd'hui conservés dans les collections nationales Dresde.

Autre collection disparue, celle de L'Ospedale des Mendicanti de Venise. Il y avait quatre institutions qui recueillaient les personnes en difficulté. On connaît l'Ospedale della Piet, celle ou Antonio Vivaldi fit ses débuts en 1703 comme maître de violon de jeunes filles orphelines. L'enseignement y était soigné, musique comprise. Les concerts y étaient renommés et financièrement avantageux. À partir de quelques archives et pièces d'iconographies, mais grâce surtout treize inventaires et de nombreuses factures de luthiers, on imagine l'orchestre des Mendicanti, son organisation, ses instruments de qualité fabriqués ou réparés par de grands noms de la lutherie.

Mais encore, on peut envisager une histoire de ces collections. Un panorama français sous le règne des Bourbons ( Henri IV-Louis XVI) est proposé. On y retrouve bien entendu les savants et curieux qui correspondent avec le père Marin Mersenne, boîte-aux lettres du monde scientifique du XVIIe siècle, comme Nicolas-Claude Fabri de Peiresc ou Pierre Trichet.

Un des auteurs remarque que  « L'esprit encyclopédique du XVIIIe siècle, parce qu'il diffusa une pensée concrète où l'application l'emportait sur la théorie, le présent sur l'éternel, renouvela cette approche du monde sensible. Les méthodes expérimentales développées alors dans tous les domaines des sciences et des arts accordèrent une place privilégiée aux innovations. Assujettie la raison, la curiosité était tout entière dirigée vers l'être humain qui en constituait désormais la fin suprême. » [p. 45]

Cela nous semble déj mis en œuvre au siècle précédent, où l'inadaptation de la tradition des textes d'autorité pousse faire l'expérience du monde concret et collectionner les objets curieux, les observations, les expérimentations plutôt qu'au commentaire devenu stérile des textes. Il nous semble que le XVIIIe évolue vers une muséographie utile, pédagogique, universelle. D'une collection qui serait plutôt destinée provoquer le questionnement, on passe des collections qui veulent apporter ou soutenir des réponses.

On découvre au long de cette assez longue période plusieurs types de collections parmi lesquelles culminent celles de Joseph Bonnier de la Mosson (1702-2204) et celles des princes de Conti, auxquelles un long article très documenté est consacré.

On constate que les instruments du domaine ethnographique (« exotiques ») sont sans doute ceux qui ont inauguré les collections publiques [p. 43]. Deux articles sont consacrés la connaissance des instruments de musique chinois en France et en Italie.

Encore une fois on évoque Marin Mersenne, qui dans son  Harmonie Universelle de 1636 décrit des instruments de musique non européens.On sourit, au passage, par les jugements et explications des voyageurs européens du temps, on s'intéresse leur circulation car, sous forme de recopiage, ils se retrouvent dans divers ouvrages. La figure centrale est le jésuite Joseph-Marie-Amiot (1718-1793) de Pékin, partir de 1751, échange une abondante correspondance sur la musique chinoise avec la France et fournit des instruments, des dessins, des traductions. Destin singulier que celui de ce religieux, théoriquement en mission d'évangélisation, qui se fait passeur, puis avocat, et en définitive devient Chinois.

On s'attache l'œuvre d'un autre jésuite, Italien cette fois, Filippo Bonanni. (1638-1725). Il est chargé de l'administration du Museo del Collegio Romano en 1676,  et publie en 1722, en affirmant connaître peu de choses sur les instruments de musique, le Gabinetto Armonico, dans lequel de nombreux instruments sont décrits et dessinés, y compris en situation de jeu. L'auteur de l'article piste les sources utilisées pour les instruments chinois.

La seconde partie de la revue nous offre des notes et des documents, comme son intitulé nous l'indique. On décrit l'évolution du vocabulaire qui désigne le fabricant d'instruments de musique : faiseur, facteur, luthier. On rappelle, par un article étoffé et abondamment illustré, l'importance du serpent dans la musique d'église jusqu'au XIXe siècle.

Nous sommes quelque peu réservé quant l'intérêt de l'étude acoustique de la Trompette marine pour confirmer que l'instrument n'a pas volé nom, mais intrigué par le problème du chevalet vibrant.

Une collection d'actes officiels concernant quelques événements, sont les seuls ou rares vestiges témoignant de la vie passée de quelques musiciens et fabricants d'instruments et d'accessoires aux XVII et XVIIIe siècles.

Un dense article nous fait connaître Hainz Stefan Herzka, psychiatre suisse et collectionneur passionné de clarinettes, qui souhaite transformer cette collection privée compulsive en un bien public utile. Malheureusement, il nous semble que les problématiques ne soient pas tout fait bien posées ou hiérarchisées et qu'on a du mal décoller de l'anecdotique et éviter l'éparpillement. Peut-être y a-t-il au départ trop de matière : l'histoire de cette collection, et la manière de procéder aux acquisitions, le portrait psychologique indispensable, et le problème des institutions. C'est un peu dommage, parce que ce texte aurait pu ouvrir le dossier : tout y est.

Qu'est-ce que collectionner ? C'est tout de même une opération qui donne réfléchir. Rapport au temps qui passe qu'on veut retenir ? Est-ce l'envie de tout posséder ? Mais on fait en même temps la démonstration que ce n'est pas possible. Tout posséder, c'est aussi posséder le tout, la vérité finale. La collection en ce sens est une quête, mais une quête qu'on sait dès le départ infinie, infinissable. La vérité de la clarinette en général est autant dans un seul instrument que dans tous ceux qu'on peut rassembler.

Donner des raisons rationnelles cette collection en change-t-il le sens ? En tout cas, elles obligent des choix, des classifications, des justifications. On comprend donc qu'il y ait des difficultés caser les clarinettes de Hainz Stefan Herka dans une institution publique. Mais pour lui, prendre de la distance avec sa passion, penser ( tort) la faire partager ou l'offrir aux autres, la transformer en bien utile ( partageons les jouissances, disait Babeuf) est, pour parler philosophe, un signe d'apaisement, comme l'histoire semble arrêter son mouvement au musée, comme les instruments d emusique y perdent leur voix.

Apaisement aussi pour Nicole Lallement qui publie la dernière partie de son inventaire des tableaux sujets musicaux conservés au musée du Louvre, entrepris voici 6 numéros.

Jean-Marc Warszawksi
22 septembre 2006
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Les collections d'instruments

Notes et documents


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