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Dijon, Auditorium, 9 octobre 2014, par Eusebius ——

Janine Jansen et le Chamber Orchestra of Europe dirigé par Lorenza Borrani

Chamber Orchestra of europe Le Chamber Orchestra of Europe à Lisbonne. Photographie © Coralia Galtier.

Les qualités rares du Chamber Orchestra of Europe sont connues, et son passage ici même il y a un an, avec Hilary Hahn, avait été un moment fort de la saison. Il nous revient, dirigé par Lorenza Borrani, avec Janine Jansen, familière de la formation qu'elle a elle-même conduite dès 2011. Deux excellentes violonistes.

Le programme s'ouvre par Le Tombeau de Couperin, de Ravel. C'est un défi que de commencer un concert par une œuvre aussi exigeante, techniquement et musicalement. C'est en un autre lorsque l'on sait que l'œuvre n'a pas été écrite pour une formation chambriste de 25 cordes. L'équilibre avec les vents allait-il en souffrir ? La plénitude des cordes ne risquait-elle d'en sortir amoindrie ?

Les vents — les bois étant les plus sollicités — extrêmement virtuoses, babillent à souhait, les couleurs, l'articulation et l'équilibre sont un modèle du genre. Et lorsque les cordes se font moins discrètes pour culminer au fortissimo annonciateur de la fin du prélude, nous sommes non seulement rassurés, mais aussi ravis. La formation, parfaitement chambriste, peut atteindre la dimension symphonique sans mal, tant est efficace la dynamique installée par Lorenza Borrani, qui dirige de son pupitre de premier violon solo. La Forlane est enchanteresse, stupéfiante de grâce et d'élégance raffinée. La précision, la souplesse, la conduite des voix (les 2 flûtes !) sont admirables. La magie ravélienne joue pleinement. Le Menuet nous surprend également par sa dynamique. Les cordes, malgré leur effectif restreint, atteignent une puissance ronde, une plénitude exceptionnelles. L'attaque fulgurante du Rigaudon, avec le beau solo de hautbois de la partie centrale, rien que du bonheur…

Le concerto pour violon en sol majeur de Mozart (K. 216), relève d'une toute autre esthétique, évidemment. Les éminentes qualités de l'orchestre et de la soliste, Janine Jansen, sont naturellement au rendez-vous. Mais, si leur jeu, leur connivence, la fantaisie qui préside au rondo final ont une séduction extraordinaire, l'amplitude de ce jeu, cette dynamique qui servaient si bien Ravel paraît ici déplacée, quelque peu exagérée. Les seules indications de nuances laissées par Mozart dans ce concerto se limitent à : p, f et cresc. Nous savons bien que les cordes de l'époque n'autorisaient pas la dynamique extrême des instruments modernes ou « modernisés »1. Même si la soliste et l'orchestre s'expriment avec naturel, servis par de beaux phrasés, le Mozart de 1775, celui du Re pastore, n'est pas celui du Sturm und Drang. L'adagio, véritable aria, est d'une intense poésie, le chant inspiré de Janine Jansen dégage une profonde émotion. Le finale nous permet de retrouver le Mozart enjoué, avec son allegretto central, sorte de gavotte tendre.

Alfred Schnittke, disparu en 1993, est maintenant fréquemment joué. Sa première sonate, pour violon et cordes, orchestration de la version originale pour violon et piano de 1963, enrichit l'orchestre d'un clavecin. Ses harmonies, son timbre et ses martèlements ajoutent à la palette expressive. La structure « classique » semble respectée et le langage fait appel à toutes les ressources glanées ça et là : sorte de synthèse de tous les procédés novateurs du xxe siècle. La brièveté de chaque mouvement, et quelques clins d'oeil interdisent la lassitude. L'allegretto et le largo, mouvements centraux, paraissent les plus intéressants. Même si l'ombre des grands aînés — Prokofiev et Chostakovitch — semble toujours planer, l'œuvre retient l'attention, défendue avec une singulière conviction par la soliste et l'orchestre.

La symphonie en mi bémol majeur (K. 543, no 39), de 13 ans postérieure au concerto de la première partie, porte la marque annonciatrice du romantisme et celle des tourments que traverse Mozart. Les trompettes et les timbales (baroques) se sont ajoutées à la formation : leur timbre caractéristique est le bienvenu. La belle introduction, imposante, solennelle, avec ses gammes ascendantes et descendantes, ouvre une œuvre manifestement dramatique. Les contrastes expressifs, même grossis, participent bien au caractère tourmenté, tendu du premier mouvement. L'andante con moto respire, la marche qui conduit à la modulation en fa mineur, éminemment sombre, les accents, c'est magistral. Le menuet est joué rapidement, malgré l'indication allegretto : un scherzo, qui anticipe les pratiques de quelques dizaines d'années. La musique l'autorise, certes, mais n'est-ce pas forcer le texte ? La grâce du menuet, la légèreté du Ländler (trio avec la clarinette) conservent cependant leur charme. On se croirait déjà chez Schubert… Le finale, joyeux, endiablé, est parfait. À noter l'humour de la clarinette qui, ponctuellement, singe l'articulation de la flûte en prenant quelque liberté par rapport au texte, mais avec fidélité à l'esprit. C'est aussi cela, Mozart.

Nous étions dans le registre de l'humour, nous y restons avec le Moz'art, de Schnittke.

Parodie débridée, happening, pochade ? C'est tout cela à la fois. Obscurité et lumière, abandons et déplacements, mesurés ou précipités, des musiciens, cette mise en scène participe à cette loufoquerie truffée de gags, citations, scordatura du second violon solo en jouant sur la corde de sol… La musique y trouve son compte, dépourvue d'autre prétention que de nous distraire. Les musiciens s'y livrent avec un plaisir communicatif. Une soirée mémorable par ses différentes facettes.

À retenir dès à présent : Radu Lupu sera le soliste accompagné par le Chamber Orchestra of Europe, dirigé par Jurowski le 30 mai prochain. Avec le 24e concerto en ut mineur de Mozart, la « Prague », Martinů et Janáček. Du bonheur en perspective.

Eusebius
11 octobre 2014

1. Lorenza Borrani joue habituellement un Galliano, et Janine Jansen un Antonio Stradivari, certes, mais que reste-t-il des originaux ? Montés avec des cordes métalliques, le barrage a dû être modifié, pour supporter la tension extrême, peut être, aussi,  l'inclinaison du manche … Tous deux sonnent merveilleusement, mais si leur couleur et leur égalité sont certainement l'œuvre de leurs illustres luthiers, leur singulière puissance leur était étrangère. Le Mittenwald que jouait Mozart l'atteste.


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