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Liszt et la France

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Haine Malou & Dufetel Nicolas (direction), Liszt et la France : musique, culture, société dans l'Europe du xixe siècle. « Musicologies », Vrin, Paris 2102 [608 p. ; SBN : 978-2-7116-2369-3 , 48 €].

On ne peut que se réjouir qu'une maison d'édition aussi exigeante, tant du point de vue de l'éditorial que de la fabrication, ait confié la direction d'une (encore toute jeune) collection de musicologie à des personnes qualifiées et aguerries comme Malou Haine et Michel Duchesneau le sont.

Ce livre est l'aboutissement d'un tentaculaire colloque organisé en mars et avril 2011, sur les relations de Franz Liszt et de la France, sujet ouvert, comme l'indique le sous-titre du livre, à l'Europe musicale et culturelle du xixe siècle.

À ce propos, il manque d'emblée, en contre-sujet, un cadre épistémologique contraignant, définissant ce que sont cette France et cette Europe du xixe siècle, cette France-nation et ce bout d'Europe, berceau de Liszt, morcellé en états princiers. Ce qu'on vivait de cette culture française, colonisatrice pour Moussorgsky et libertaire pour Bartok. Ce qu'était ce passage obligé par Paris pour toute carrière artistique. Il me semble en effet qu'ici ou là on projette dans le passé des concepts contemporains, notamment cette idée d'Europe, qui n'est que géopolitique, mais aujourd'hui aussi un grand enjeu idéologique.

Ce livre (ce colloque, ces universitaires) me semble être touché par le regain positiviste — mais la musicologie française n'a-t-elle pas vu passer la « nouvelle histoire » autrement que comme une curiosité ? —, cette manière de croire qu'il suffit de choisir et de présenter de l'archive pour faire de l'histoire ou donner sens (manière savante, érudite et professionnelle dont on peut voir les défauts dans la caricature amateur qu'est la Wikipédia avec son illusion de neutralité). On pense à ce qu'écrivit Kant des cent chameaux chargés d'érudition aveugle. Pour que ça raconte quelque chose, il faut qu'il y ait un point de vue.

Ce livre aurait donc pu faire l'économie d'un tiers de ses pages sans rien perdre de ses qualités informatives. Tous ces articles sur les relations de Liszt avec Berlioz, avec Pauline Viardot, avec Bizet, avec Augusta Holmès (mais pourquoi pas Marie Jaëll ?), puisqu'on n'en tire aucune problématique. Les relations de Liszt (surtout épistolaires) avec ses contemporains français auraient pu être traitées en bloc. Quel intérêt peut-il se trouver à développer sur Liszt lecteur de Pierre Simon Ballanche, ou à consacrer dix pages sur le dépôt légal des œuvres imprimées de Liszt. Curiosité encore cet exercice d'Emmanuel Reiber qui sous prétexte de faire de l'« Esthétique historique » (peut-on imaginer une esthétique anhistorique ?), se demande ce que faisait Liszt avec le mot « romantisme », confondant les mots et l'histoire qui fabrique les mots et leur sens, les choses et comment on appelle les choses. Comme dans une bonne philosophie on explique les êtres par ce qu'ils sont et non pas par ce qu'ils pensent être, la question posée n'a pas grande pertinence. Alors que l'auteur doute à juste titre de la construction idéologique du romantisme par la mémoire collective, il ne propose aucune vision personnelle de ce qui se passe dans les arts au xixe siècle, et qu'on a nommé globalement romantisme — globalement à tort. On en revient à Kant : il faut une bonne philosophie pour donner la vue à l'érudition aveugle.

Il reste donc les deux tiers dont le livre tire sa valeur, c'est la loi inévitable du genre, surtout avec un tel nombre de communications (34). Nous avons particulièrement apprécié la présence de Jean-Jacques Eigeldinger, solide sur son terrain, la revue de presse musicale parisienne (1835-1847) de Rosalba Agresta, travail d'archive par excellence, éclairé par un savoir historique et un point de vue, la problématisation autour de la déstabilisation tonale (un sujet des plus actuels) sur la cohérence dans la durée de l'écriture Lisztienne par Bruno Moysan, les études proprement musicales.

Nous regrettons l'absence d'une étude « Liszt, Chopin, Alkan », qui aurait pu à notre sens resserrer bon nombre de problématiques abordées de manière un peu éparse, sur la musique, la virtuosité, le rapport au public, l'engagement social, le « romantisme ».

Jean-Marc Warszawski
26 février 2013


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