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18 juin 2012, par Frédéric Norac

Les Pêcheurs de perles à l'Opéra-comique : un maladroit travestissement

Malgré le génie dramatique du jeune Bizet, à l'œuvre dans une partition souvent surprenante par l'avancée de son langage, Les Pêcheurs de perles reste un opéra marqué par son époque. Les faiblesses d'un livret aux situations peu convaincantes, l'exotisme de pacotille qui l'encombre sont un lourd handicap à gérer pour le metteur en scène.

Les Pêcheurs de perles, Opéra-ComiqueNourabad (Nicolas Testé), Leïla (SonyaYoncheva), Zurga (André Heyboer). Photographie ©Pierre Grisbois.

Yoshi Oida a fait l'erreur de vouloir  échapper aux conventions de cet univers de pure fantaisie en y plaquant les oripeaux d'un folklore plus « naturel », en contradiction totale avec l'esthétique d'origine. Il en résulte une sorte de travestissement maladroit, où les costumes éclectiques —  entre Asie musulmane et Japon shintoïste — donnent un air déguisé aux personnages et aux situations. La ritualisation des scènes religieuses — intronisation de Leila, sacrifice des amants coupables — est en contradiction flagrante l'enjeu réel de ce livret : une histoire passionnelle d'amour, d'amitié et de jalousie mettant en scène l'habituel trio de l'opéra occidental.

La scénographie vaguement zen de Tom Schenk ne manque pas d'une certaine élégance, avec sa grande toile peinte à la Zao Wou Ki (période abstraite) en fond de scène et ses nacelles de bambou suspendues mais, au-delà de quelques moments au climat nocturne réussi, elle n'arrive pas à s'imposer comme un élément actif de la mise en scène.

Nadir (DmitryKorchak), Leïla (SonyaYoncheva)Nadir (DmitryKorchak), Leïla (SonyaYoncheva). Photographie ©Pierre Grisbois.

Quant à la chorégraphie d'inspiration butoh de Daniela Kurz, elle s'intègre bien mal à l'ensemble et paraît souvent hors de propos. Le pire étant sans doute ces plongeurs en fond de scène qui viennent parasiter un moment de pur lyrisme comme la célèbre romance de Nadir à l'acte I, laissant le sentiment que le metteur en scène ne pouvait faire confiance à la musique pour soutenir l'intérêt.

Très prometteur sur le papier, le trio des protagonistes laisse un peu l'auditeur sur sa faim, au-delà des quelques menus problèmes, imputables au trac de la première. En Nadir, Dimitri Korchak paraît souvent sur le fil dans cette tessiture lyrique pour laquelle il dispose certes d'un beau médium mais qui expose un aigu métallique, sans rondeur, souvent donné en force, et une mezza voce régulièrement détimbrée. Son Français à peu près incompréhensible dans les récitatifs et de plus en plus approximatif dans les airs au fil de la soirée compromet également la crédibilité de son incarnation, peu aidée par une direction d'acteurs d'une grande platitude.

Leïla (SonyaYoncheva), Zurga (André Heyboer)Leïla (SonyaYoncheva), Zurga (André Heyboer). Photographie ©Pierre Grisbois.

On attendait avec beaucoup d'intérêt André Hoeyber dans Zurga mais le baryton ne s'impose pas tout à fait dans ce rôle de premier plan. S'il communique une humanité vraiment touchante à son personnage, notamment dans son dernier air — sans doute un des plus beaux de la partition — son émission manque un peu de netteté et, partant de distinction et d'autorité. Sona Yontcheva reste le meilleur élément de la distribution. Voix sans doute déjà un peu lourde et corsée pour le rôle, mais maîtrisant toutes les exigences d'une écriture virtuose, avec un timbre très personnel, un superbe aigu et un engagement qui donne un relief inhabituel au personnage. Hélas pour elle, la mise en scène fait de Leila une sorte de bourgeoise guindée avec sautoir de perles, tailleur pantalon rouge et chignon sévère.

Nicolas Testé complète bien le plateau avec un Nourabad sonore et d'une belle autorité. Il faut louer aussi la qualité du chœur Accentus absolument impeccable et parfaitement compréhensible.

Zurga (André Heyboer)Zurga (André Heyboer). Photographie ©Pierre Grisbois.

Mais que dire de la direction de Léo Hussain à la tête du philharmonique de Radio France ? Souvent surdimensionnée, elle noie ces Pêcheurs qui ne sont au fond qu'un opéra comique dont les dialogues auraient été orchestrés, sous des déluges sonores avec des percussions omniprésentes et des cuivres tonitruants. De tels débordements paraissent bien inutiles dans une salle de la taille de Favart. C'est d'autant plus dommage que le chef prouve à plusieurs reprises sa capacité à nuancer et maîtriser la matière orchestrale. Certes l'opéra de jeunesse de Bizet porte la marque du grand opéra à la française et peut justifier un certain sens du spectaculaire mais il ouvre aussi la porte à ce renouvellement des genres dont Carmen sera l'aboutissement. A ce titre, il eut mérité un traitement plus délicat et plus équilibré.

Frédéric Norac
18 juin 2012


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