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17 mai 2014, Opéra de Dijon, Auditorium, par Eusebius ——

Le Nozze di Figaro ou une folle journée ?

di nozze di figaroLe Comte (Thomas Bauer) et Suzanne (Maria-Virginia Savastano). Photographie Opéra de Dijon © Gilles Abbeg.

Dans la mise en scène signée Richard Brunel, reprise du festival d'Aix-en-Provence de 2012, nous arrivent ces Noces de Figaro, dans une distribution heureusement renouvelée dans sa quasi-totalité1. À défaut de servir la musique, qu'elle contrarie parfois, elle se révèle cohérente, inventive et ingénieuse. Après plusieurs affaires retentissantes (DSK, Tron…) où pouvoir et sexe s'enchevêtraient, le choix a été fait de transposer l'action dans le monde contemporain. Le Comte est un haut magistrat, entouré de son personnel, et n'échappe pas au conflit d'intérêt puisqu'il doit juger une affaire (le mariage promis par Figaro à Marcelline) dont les conséquences ne lui sont pas étrangères.

Pourquoi pas ? Encore qu'il ait bien fallu modifier les textes de certains récitatifs (Da Ponte ne connaissait pas les « stagiaires »), certains accessoires (le lit que mesure Figaro à son entrée en scène s'est substitué à la chambre, le bonnet de la Comtesse devient le bonnet… de son soutien-gorge). Filtre et miroir déformant, cette lecture, pour légitime qu'elle soit, réduit sensiblement la portée du livret et de la musique : la contestation, la fraîcheur et l'aspect bouffe de certaines scènes sont réduits à la portion congrue. Un décor atone, des costumes très communs2 nous privent de couleur. L'autre parti-pris relève du mouvement : la vision cinématographique de Richard Brunel conduit à des modifications ou changements constants de décor. Le système a été conçu à cet effet, puisque les pans de murs s'assemblent, s'articulent, pivotent tout au long de l'opéra pour créer de nouveaux cadres, en accord avec l'ambiance souhaitée. Le problème est que cette agitation permanente contrarie trop souvent la musique : comment écouter avec attention un air lorsqu'autour du chanteur tout change, même avec des machinistes-acteurs discrets ?                

Les voix sont remarquables. Suzanne (Maria-Virgina Savastano) recueille tous les suffrages : une émission fruitée, articulée à souhait, une présence scénique en font le personnage central, déluré, volontaire, sensuel. Son Figaro (Riccardo Novarro) ne démérite jamais, même contrarié par les tempi de ses airs du 1er acte. C'est un grand baryton qui incarne son personnage à merveille, servi par une voix puissante, bien timbrée, toujours intelligible. Chérubin est confié à Olivia Vermeulen, dont la jeunesse, la fraîcheur et les espiègleries ravissent. Si ses airs, bien connus, sont un régal, il en va de même dans les ensembles, en particulier dans son duo du 2e acte avec Suzanne. La comtesse de Sarah-Jane Brandon, instable dans son Porgi amor, ce que sa grossesse peut expliquer, ravit dans le Dove sono : voix longue, parfaitement maîtrisée, dont l'émotion est vraie. Thomas Bauer, après Wagner et Bach, nous revient en Comte. Un bien bel homme, séduisant, auquel manque seulement un peu de l'expression de l'autorité que sa fonction et son rang imposent. Belle voix, dont le timbre continue de séduire, même si son italien n'est pas d'origine garantie. Si Bartolo (Paolo Battaglia) a l'âge et l'émission fatiguée du rôle, Marcelline (Anna Maria Panzarella) paraît trop jeune, vocalement et scéniquement, ou alors Figaro doit avoir l'âge de Chérubin ! Problème de direction d'acteur, ou choix délibéré de la soliste, on ne sait. Basilio (Emanuele Giannino) est admirable, tant par la voix, claire, puissante, parfaitement projetée, que par le jeu dramatique. Barberine (Magali Arnault-Stanczak), malgré la brièveté de ses interventions et de sa cavatine L'ho perduta du 4e acte, est une révélation. Les seconds rôles (Antonio, Curzio) ne déméritent point et participent pleinement à l'esprit d'équipe qui anime la distribution. Les chœurs sont remarquables, même contrariés par certaines chorégraphies imposées.

Cherubino (Olivia Vermeulen). Photographie Opéra de Dijon © Gilles Abbeg.

La direction de Jonathan Cohen n'acquiert sa pleine efficacité qu'après le premier acte, parfois brouillon, imposant alors des tempi trop rapides, qui correspondent à l'agitation que la mise en scène impose. Ce sera ensuite une progression constante qui permettra d'atteindre une réelle beauté musicale qui culminera au 4ème. Les ensembles, parfaitement réglés, dont la direction est très attentive, contribuent à la réussite musicale de cette production.

Au total, un beau spectacle, quelque réserve que l'on puisse formuler sur la mise en scène et la direction d'acteurs, servi par d'excellents chanteurs, pleinement engagés, et un vrai mozartien à la baguette.

Eusebius
18 avril 2014

1. Seuls demeurent Anna Maria Panzarella (Marcelline) et Emanuele Giannino (qui incarnait alors Don Curzio, alors qu'il est maintenant Basilio).

2. Le bureau fonctionnel sent Ikea ; les costumes Kiabi et la fripe.


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