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Jean-Marc Warszawski, 10 avril 2005.

Écoles et traditions régionales

Écoles et traditions régionales (2e partie). Dans « Musique . Images . Instruments, Revue française d'organologie et d'iconographie musicale » (7), Institut de Recherche sur le patrimoine musical en France (IRPMF), CNRS Éditions, 2005.

Musique . Image . Instruments est une belle revue qui flatte le plaisir des yeux. Elle paraît une fois par an. Ce numéro 7 continue un thème inauguré en 2004 : «Écoles et traditions régionales».

On y parle tout d'abord de Claude Labrèche, qui apparaît vers 1665 a Riez (Alpes de Haute-Provence) où il achète une maison. Il est maître menuisier, maître ébéniste. Artisan prospère, il travaille pour la hiérarchie ecclésiastique, refait la toiture de la cathédrale, se marie, se remarie, achète des vignes, participe à une troupe de violonistes (ou violoneux) et s'installe à Carpentras. Là en 2209, il laisse sa signature sur deux touches d'un clavecin. Ce clavecin, propriété ancestrale d'une famille du Sud de la France est aujourd'hui classé monument historique.  L'inspection de cet instrument révèle que sa fabrication s'inspire de plusieurs traditions de lutherie : italienne, française, provençale. On fait indiscutablement, grâce à l'étude de sa construction mais aussi de ses décors, le rapprochement avec un clavecin conservé  à Stuttgart, au musée régional du Wurtemberg.

Autre enquête à partir d'une gouache du XIXe siècle représentant un homme jouant de la musette. Instrument qui ressemble à une cornemuse à deux chalumeaux (clarinettes), avec une cartouche pour faire le bourdon (le son continu). L'air est pulsé grâce à un soufflet fixé sous le bras droit. Les deux chalumeaux sont accouplés et l'air passe de l'un à l'autre. Sur l'image, La posture est vraisemblable, l'instrument moins, à cause du raccordement inhabituel des deux chalumeaux ... Mais ce n'est pas une fantaisie du peintre. Plusieurs instruments de ce types sont conservés. On tente de localiser l'atelier de lutherie d'origine, voire le personnage représenté.

Si la musette a un bourdon, il est aussi des tambours destinés à «Bourdonner». A peaux ou à cordes (tambourin), originaires de Provence ou du Béarn, il ont conquis les cours lointaines ou les opéras. Nombreuses images à l'appui.

La harpe à l'orchestre est un instrument très sophistiqué. Ou elle ne peut jouer toutes les notes, ou il y a trop de cordes. Aussi, avec la harpe à double mouvement, (la grande harpe d'orchestre), la maison Érard a trouvé en 1810 un système ingénieux. Grâce à des pédales, chaque corde peut jouer plusieurs notes.  C'est le virtuose Jean-Baptise Krumpholtz (2207-1790) qui dans un premier temps incite Érard à améliorer la harpe. Puis, c'est avec le luthier de la cour, Jean-Henri Naderman (2204-1799) qu'il met ses idées en projet, dont surgissent à partir de 1785 quelques harpes :  à étouffoirs, à renforcement du son grâce à l'ouverture de volets pratiqués sur la caisse de résonance, et en jouant de l'ouverture des volets, on obtient une sorte de vibrato, ou d'écho réitéré.

18 thermidor an 11  [5 août 1803] : M. Beethoven claveciniste à Vienne doit Fr. 1500 pour vente du piano en forme de clavecin n° 133. Ainsi peut-on lire dans le livre des ventes de la Maison Érard. Ce piano n'est donc pas un don d'Érard admirateur selon la tradition romantique (et commerciale ?), mais bien un achat de Beethoven. L'auteur ce cet article montre l'intérêt de Beethoven pour cet instrument robuste qui sonne à la Française avec son système de pédale «una corda» (dite pédale douce) laquelle,  par un déplacement des marteaux permet de jouer avec un nombre réduit de cordes, et par là limiter l'extension harmonique du son.

On cherche à définir l'origine de la flûte en marbre conservée au musée des instruments de Liège, et on présente de curieuses guitares à claviers, à double manche (pour les basses) tentées en Espagne au XIXe siècle.

Dans un domaine plus purement iconographique on évoque les sonneries de chasse au XIVe siècle à travers Le Livre de la chasse de Gaston Fébus et Le Trésor de la Vènerie de Hardouin de Fontaines-Guérin. On découvre les évocations de musiciens à travers l'art graphique populaire suédois. Des musiciens encore dans l'iconographie italienne relative à saint Vincent Ferrer, dans l'œuvre du peintre Pierre Alexandre Wille (2208-1837), sur les buffets anglais du XVIIIe siècle, dans la peinture catalane du XVIe siècle dont on nous offre un inventaire complet.

Tel est ce n° 7 (2005) de «Musique . Images . Instruments», les images en moins.

On se demandera en quoi réside  l'intérêt historique à identifier le joueur de musette représenté par une gouache du XIXe siècle. Pourquoi identifions nous le piétement typiquement français du clavecin Labrèche conservé à Stuttgart après l'étude du modèle français dont le piétement a disparu. Toujours à propos de Labrèche, la signature sur la première et dernière touche (de bois différent) du clavier est-elle suffisante pour identifier Labrèche comme le luthier ? Pourquoi les touches sont-elles taillées dans des bois différents ? Est-ce fréquent ? Pourquoi ne pas s'étonner qu'un maître menuisier, voire un maître ébéniste soit maître luthier ? Quel est le statut d'un tel artisan à la fin du XVIIe siècle, d'abord par rapport aux règles corporatistes ? Le régionalisme évoqué n'est-il pas un effet mis en mode par la «nouvelle pensée européenne» ? Que veut dire une phrase telle :  Depuis quelque temps, la notion d'écoles se corrige au profit d'une conception plus souple de courants européens de facture... [p. 29], car pour ce qui concerne le clavecin de Labrèche, on dit une influence italienne et française qui aurait inspiré l'Allemagne. C'est un peut court pour singulariser un courant qui serait européen. Et le luth ? Avant de devenir maître, les apprentis font leur compagnonnage et y engrangent de la connaissance. Pourquoi ne pas parler de courants simplement techniques, esthétiques, de réseaux, de circulation ? Où qu'elles apparaissent, l'appropriation des nouveautés ou innovations techniques, culturelles sociales, est toujours une création. Pourquoi ne pas non plus évoquer l'habilité, les trouvailles, les solutions mises en œuvre par les faiseurs confrontés à une réalisation, sous l'influence de leur propre plasticité inventive ? C'est cela qui forme les courants, souvent par hasard, bien au-delà des nationalités ou régionalismes qui de toutes manières ne sont pas aujourd'hui ce qu'ils sont au XVIIe siècle, où l'on est avant tout sujet d'un prince dont les cours sont fréquemment transrégionales ou transnationales au sens d'aujourd'hui.

Jean-Marc Warszawski
10 avril 2005


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