Yves Chartier, Professeur d'histoire de la musique à l'Université d'Ottawa : Documents pour servir à l'histoire de la théorie musicale.
1. Vous me demandez instamment, très chers frères, de vous fournir quelques règles relatives à la musique, mais seulement celles que les enfants et les gens simples sont à même de saisir, et grâce auxquelles ils pourront rapidement parvenir, avec l'aide de Dieu, à une parfaite maîtrise du chant.
2. Votre exigence ressort du fait que vous entendez et voyez par vous-mêmes que ce but est possible, et que votre conviction repose sur des prémisses certaines.
3. Résidant parmi vous1, en effet, j'ai assez enseigné, avec l'aide de Dieu, cette science à quelques-uns de vos enfants et adolescents2 pour que certains d'entre eux soient capables - en l'espace de trois jours, d'autres en quatre jours, voire pour d'autres encore en une seule semaine de pratique assidue de cette science, - d'apprendre par eux-mêmes un grand nombre d'antiennes, sans les apprendre à l'oreille de quelqu'un d'autre, mais seulement en observant les règles indiquées3 et, après quelque temps, de les chanter <à leur tour> sans hésitation.
4. Bien plus, après quelques jours seulement <de répétition>, ils étaient en mesure de chanter sans faute, à première vue et sans hésitation, tout ce qui était prescrit par la notation musicale : un tel résultat, les chantres ordinaires4 n'ont pu, jusqu'à ce jour, l'obtenir qu'à condition que la majorité d'entre eux s'entêtent vainement pendant cinquante ans à pratiquer et à étudier le chant.
5. Cherchant alors avec ardeur et avec la plus grande curiosité <de savoir si> notre méthode était applicable à l'ensemble du répertoire, et m'adjoignant un frère qui me semblait expert à comparer les chants entre eux5, j'examinai très soigneusement avec lui un antiphonaire grégorien6, mais n'y trouvai presqu'aucune exception aux règles <de la psalmodie> ; celles, toutefois, qui avaient été viciées par des chantres inexpérimentés furent corrigées tant sur le témoignage des autres chantres7 que d'après l'autorité de la règle8.
6. Nous n'avons cependant trouvé que très rarement, et seulement dans les chants prolixes9, des notes appartenant à un autre ton, c'est-à-dire des notes qui dépassent inutilement à l'aigu ou au grave l'ambitus normal <du mode>10.
7. Mais parce qu'on s'appuyait unanimement sur l'usage pour préserver ces chants, nous ne nous sommes pas permis de les amender.
8. Bien entendu, nous les avons désignés un à un, afin de ne pas laisser dans le doute ceux qui recherchent l'exactitude des formules <modales>.
9. Ce travail accompli, <les moines-chantres>, embrasés d'un grand désir, demandèrent avec les prières les plus pressantes, - tous les avis ayant été obtenus - que ces règles modales soient appliquées pour la gloire de Dieu et de sa très sainte mère Marie dans le vénérable monastère où ces événements se déroulaient11, et qu'aussi bien tout l'antiphonaire soit pourvu de formules modales à l'aide de signes distinctifs12.
10. Confiant, par conséquent, en vos mérites et en vos prières, et faisant miennes les recommandations très obligeantes de notre Père commun13, je ne peux ni ne veux me soustraire à ce travail.
11. Cependant, parmi les savants de ce siècle, l'enseignement de cette science est fort difficile et complexe.
12. Quiconque, toutefois, est résolu <à l'apprendre>, qu'il cultive et parcourre ce champ avec zèle.
13. Mais que celui qui croit n'avoir reçu de Dieu qu'un talent médiocre, qu'il se contente avec sérénité d'un simple fruit.
14. Et afin que vous compreniez mieux ces préceptes et les acceptiez volontairement comme nécessaires, que l'un de vous s'avance pour interroger ou pour dialoguer14 : dans la mesure où Dieu m'y aidera, je m'efforcerai de lui répondre.
1. C'est-à-dire à titre de membre de la communauté conventuelle : l'auteur anonyme de ce Prologue est moine.
2. Les pueri oblati confiés aux moines pour y être instruits dans les"choses divines et séculières", dès l'âge de six ou sept ans. Ils recevaient une formation à la fois religieuse, scolaire et musicale.
3. Celles données dans le tonaire.
4. Ceux non formés par la méthode pédagogique de l'auteur.
5. Pour en déceler les"fautes"ou variantes mélodiques.
6. Peut-être l'auteur de ce Prologue était-il plus familier avec l'antiphonaire ambrosien ou milanais - hypothèse acceptable dans la mesure où l'origine de ce traité peut être situé dans le diocèse de Milan même.
7. C'est-à-dire les chantres les meilleurs.
8. Les règles précisées dans un tonaire.
9. Les chants ornés ou mélismatiques, de type responsorial.
10. C'est le principe de l'extensio modi ou dépassement des limites normales d'un mode, qui est ici visée.
11. Peut-être s'agit-il d'un monastère camaldule, souvent placé sous le patronage de la Vierge.
12. Sans doute à l'aide de la notation alphabétique employée dans le Dialogue auquel ce Prologue sert d'introduction.
14. Allusion très nette au Dialogue qui suivra.
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Mardi 24 Janvier, 2023