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Yves Chartier, Professeur d'histoire de la musique à l'Université d'Ottawa : Documents pour servir à l'histoire de la théorie musicale.

Charlemagne, (742-814) Mandement sur l'instruction

Contexte

Lettre envoyée par Charlemagne à Baugulfe, abbé de Fulda en Germanie, entre 794 et 800. Bien qu'il ne soit pas un document d'histoire de la musique au sens strict du terme, ce document, avec le capitulaire de l'an 789, est considéré comme l'acte officiel de naissance de l'« instruction publique » au Moyen Âge, d'où son intérêt exceptionnel. Il a été rédigé sur les directives d'Alcuin, le « ministre de l'éducation et de la culture » de Charlemagne. La forme ou protocole de cette missive est modelée sur celle des actes de la chancellerie carolingienne. Nous avons cru bon d'en indiquer les principales parties (formulae) en marge.

Le texte

Charles, par la grâce de Dieu roi des Francs et des Lombards et patrice des Romains 2, adresse à l'abbé Baugulfe 3 et à toute sa communauté ainsi qu'à nos fidèles enseignants 4 confiés à ses soins, au nom de Dieu tout-puissant, ses aimables salutations.

Préambule

Que Votre Grâce, qui jouit de la faveur divine, sache qu'en accord avec nos conseillers nous avons estimé utile que les évêchés et les monastères soumis, par la grâce du Christ, à notre gouvernement, soient tenus d'offrir, outre l'observance de notification la règle monastique et la pratique de la sainte religion, l'instruction, y compris dans les lettres <profanes>, à ceux qui, grâce à Dieu, ont le talent d'apprendre, chacun selon ses capacités. Ainsi, de même que la règle monastique 5 régit les bonnes moeurs, ainsi l'enseignement et l'étude assidus régularisent et enjolivent la parole. Que ceux qui aspirent, par une vie exemplaire, à plaire à Dieu, ne négligent pas de lui plaire en parlant avec correction. Il est écrit, en effet : « Ou bien tu seras justifié par tes paroles, ou bien tu seras condamné par tes paroles » (Matt. XII,37). Quoique le bien agir soit préférable au savoir, le savoir précède néanmoins l'agir. Chacun se doit, par conséquent, de savoir ce qu'il désire accomplir : autant la langue s'efforce de célébrer les louanges du Dieu tout-puissant sans le péché du mensonge, autant et plus l'âme se doit de comprendre ce qu'elle doit faire (cf. Actes XXIV, 16).

En effet, si tous les hommes sont tenus d'éviter le mensonge, combien plus doivent-ils l'objurer, dans toute la mesure du possible, ceux qui ont été choisis à la seule fin de servir d'une façon toute particulière la vérité. Or, assez souvent au cours des dernières années, nous sont parvenus de plusieurs monastères des écrits qui témoignaient du zèle de leurs auteurs, par égard pour nous, envers les choses spirituelles: nous avons reconnu, dans la plupart des écrits de ces personnes, des idées justes, mais une façon barbare de s'exprimer. En effet, ce que la piété leur avait inspiré intérieurement avec justesse, extérieurement, en raison de leur manque d'instruction, leur langue ignorante était impuissante à l'exprimer (cf. Isaïe L,4).

D'où il arriva que nous commençâmes à craindre que, puisque la compétence [prudentia] dans l'expression écrite faisait défaut, cette même compétence devait faire défaut plus qu'il n'était acceptable dans la compréhension des saintes Écritures. Et ne sommes-nous pas unanimes à savoir qu'aussi dangereuses que puissent être les fautes d'élocution, bien plus dangereuses encore sont les fautes d'interprétation ? Voilà pourquoi nous vous exhortons non seulement à ne pas négliger l'étude des lettres notification <profanes>, mais encore à vous y consacrer avec zèle et avec un sentiment de très grande humilité qui soit agréable à Dieu, afin que vous puissiez plus facilement et plus correctement pénétrer le sens mystique des saintes Écritures6.

En effet, lorsque se rencontrent, dans les textes sacrés, des images, des tropes et autres figures de langage, il ne fait aucun doute que leur sens spirituel sera saisi d'autant plus rapidement par le lecteur, que celui-ci aura reçu, au préalable, une solide formation littéraire.

Dispositio

Qu'à cette fin, par conséquent, des hommes soient choisis qui possèdent et la volonté, et l'aptitude à apprendre, et aussi le désir d'instruire leur prochain. Et que cela soit fait avec une ardeur aussi grande que celle que nous employons à vous y inciter. Nous exigeons donc de vous, ainsi qu'il sied à des soldats de l'Église, qu'intérieurement vous soyez dévôts ; extérieurement, instruits et de moeurs irréprochables ; comme écolâtres, d'une élocution châtiée7, afin que toute personne qui, au nom de Dieu et de l'idéal de la vie religieuse (conversationis) cherchera à vous voir, de même que son regard sera édifié à votre vue, ainsi, ayant été instruite par le savoir qu'elle aura décelé chez vous, soit lorsque vous lisez <à voix haute> ou que vous chantiez8, elle puisse retourner chez elle satisfaite, en rendant grâces à Dieu tout-puissant.

Clause finale

Tu ne négligeras point, par conséquent, d'expédier des copies de la présente lettre à tous tes suffragants9 et abbés coadjuteurs dans tous tes monastères, si tu veux mériter notre faveur. Qu'aucun moine ne dispense la justice à l'extérieur de son monastère, et qu'aucun ne se mêle de plaids ou de procès publics. [Legens valea]10

Notes

1. Texte traduit d'après l'édition de G. Pertz, dans les Monumenta Germaniae Historica, Leges I (Hannovre, 1835), p. 52-53. Autres éditions : A. Boretius, Monumenta Germaniae Historica, Capit. I, Legum II (Hannovre, 1881), p. 79 n° 29 ; P. Jaffé, IV, 383-384 ; P. Lehmann,"Fuldaer Studien. Neue Folge", in Sitzungsberichte der Bayerischer Akademie, Phil.-hist. Klasse, 1927, Abh. 2, p. 8-9 ; E. E. Stengel, Urkundenbuch des Klosters Fulda I/2 (Marpurg, 1956), 251-254 (cf. Historische Forschungen für Walter Schlesinger, Cologne-Vienne, 1974, p. 536-545. ; L. Wallach, Alcuin and Charlemagne : Studies in Carolingian History and Literature, Ithaca, Cornell University Press, 1959, p. 202-204, avec un abondant commentaire (chap. XI :"Charlemagne's De litteris colendis and Alcuin", p. 198-226).

Manuscrits : 1. Metz, Bibl. Mun. 226, XI e-XII e s., copie de la lettre originale envoyée à l'abbé Baugulfe. Manuscrit détruit en 1945 ; 2. Oxford, Bibl. Bodl. Laud. misc. 126, IX e s., copie de la lettre circulaire expédiée par Baugulfe à un monastère placé sous son autorité.

Traductions anglaises : 1. D. C. Munro, University of Pennsylvania Translations and Reprints VI (1900), p. 12-15 (n° 5) ; 2. F. A. Ogg, A Source Book of Medieval History, New York, 1908, p. 55-56 (n° 11) ; 3. M. L. W. Laistner, Thought and Letters in Western Europe, Londres, 1931, p. 152-153 ; 2 eéd., Ithaca, 1957, p. 196-197 ; Epistola de litteris colendis, in H. R. Loyn & John Percival, The Reign of Charlemagne:Documents on Carolingian Government and Administration, Londres, 1975, p. 63-64. Cf. aussi The New Cambridge Medieval History II (c. 700-c. 900), p. 622-653.

2. Charlemagne devint l'unique roi des Francs à la mort de son frère Carloman, en 771. Trois ans plus tard, à la suite d'une expédition en Italie, il coiffa la couronne de fer des Lombards en déposant leur roi, Didier, dont il avait épousé auparavant la fille."Patrice des Romains"est un titre honorifique qui lui fut conféré par le pape Adrien I er, en qualité de protecteur des États pontificaux.

3. Baugulfe fut le deuxième abbé de Fulda, en Germanie, de 780 jusqu'à sa résignation en 802.

4. oratoribus : enseignants ou prêcheurs, d'après les définitions de Raban Maur (De Institutione clericorum, XIX ; Migne, PL 107.307 C) et de Wilifrid Strabon (De exordiis et incrementis rerum ecclesiasticarum ; MGH, Capit. II, 485). Cf. Wallach, op. cit. p. 214.

5. Règle de S. Benoît, chap. 73.

6. Le Moyen Age distinguait quatre niveaux d'analyse, depuis le plus élémentaire jusqu'au plus élevé : le sens ou niveau littéral (morphologique), grammatical (syntaxique), allégorique (symbolique) et mystique (spirituel ou moral). Cf. le grand ouvrage du P. Henri de Lubac, Les Quatre Sens de l'Écriture, Paris, 1959-1964.

7. La nécessité de parler et d'écrire correctement est une préoccupation constante chez les écolâtres ("professeurs") carolingiens, et particulièrement chez les maîtres insulaires : cf., par ex., Aldhelme, abbé de Malmesbury (v. 640-710), lettre à son disciple Aethelwood (MGH, Auct. Ant. XV, p. 500 ; Lettre 8, vers 705) ; Bède le Vénérable, abbé de Jarrow (672-735), De Orthographia (Migne, PL 90.123-150) ; De schematibus et tropis sacrae scripturae (ibid., col. 175-186) ; Alcuin, Carmina n°94 (MGH, Poetae Lat. I, p. 320)."Charles a mis autant d'ardeur à supprimer les incorrections de la langue qu'à vaincre ses ennemis sur les champs de bataille"(Pierre Riché, Les écoles et l'enseignement dans l'Occident chrétien de la fin du Ve au milieu du XIe siècle, Paris, Aubier-Montaigne, 1979, p. 112). A la p. 353, Riché a donné une traduction partielle et assez libre de ce texte.

8. Rappelons que la lecture à voix haute des saintes Écritures et la cantillation (lectio solemnis) des psaumes constituaient les principaux devoirs des moines, selon la Règle de saint Benoît, chap. 47.

9. Auxiliaires ou suppléants d'un évêque ou d'un abbé.

10. Formule corroborative, héritée de la chancellerie mérovingienne, qui autorise que la lettre soit estampillée au sceau de Charlemagne après avoir été revue par un membre de sa chancellerie. Elle signifie quelque chose comme"Lecture faite, bon pour le sceau". Cf. L. Levillain,"La formule Bene valeat et le sceau dans les diplômes mérovingiens", Bibliothèque de l'École des Chartes 92 (1931), 5-15.


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Mardi 24 Janvier, 2023

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