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Nouvel Olympia à Tours, mercredi 20 août 2014, par Flore Estang ——

Concert-récital « La Lune blanche », Paul Verlaine mis en musique, un pari audacieux et réussi

Devant plus de 200 spectateurs, s'est déroulé à Tours un concert original : le programme, conçu par le jeune pianiste Yohan Hereau, avec l'aval du célèbre baryton François Leroux, consistait à faire entendre dix-sept mélodies déclinées sur le même poème de Verlaine, la fameuse Lune blanche, extraite de La Bonne chanson (1870), qui a fait couler tant d'encre. Maintes fois analysé, ce court poème garde son mystère et inspire toujours autant les musiciens. Commande a été faite à huit compositeurs et, ainsi, huit créations ont enrichi le répertoire de la mélodie française, alternant, durant le concert, avec des versions de compositeurs plus anciens et célèbres (Reynaldo Hahn, bien sûr, mais aussi Massenet, Chausson, Fauré et Stravinsky !).

Concert d’ouverture de l’Académie Francis Poulenc (Tours), 20 août 2014.Concert d'ouverture de l'Académie Francis Poulenc (Tours), 20 août 2014. Photographie © Abdelkader Naji.

À l'orée de ce concert, la première mélodie chantée est de Noël Lee, en hommage au célèbre pianiste-accompagnateur décédé en 2013, co-fondateur de l'Académie Francis Poulenc. Suit le savoureux duo pour baryton et mezzo de Jules Massenet, composé seulement un an après la publication du recueil de Verlaine en 1871. Avec une pulsation régulière de notes répétées, la troisième mélodie, de Graciane Finzi rappelle, par contraste avec des évènements sonores au rythme irrégulier, que le temps s'écoule, inexorable, malgré les évènements de la vie. Déstructurant le texte par les intervalles périlleux confiés aux chanteurs, mettant en valeur un mot, une phrase, elle crée une poétique sonore personnelle, un espace acoustique original.

Retenons, avec les huit courtes œuvres créées pour l'occasion, une grande variété de choix musicaux et la richesse du matériel compositionnel, inspiré par les modes de jeux des fameux initiateurs de la musique « contemporaine » : intervalles dissonants, sons non chantés, exagérations de consonnes ou de voyelles, une esthétique expérimentale, issue en partie des modèles incontournables du xxe siècle, de Berio (Sequenza III) pour la liberté vocale, à Stockhausen (Scorpio) et ses intervalles très disjoints, en passant par Boulez (Pli selon pli, Improvisation sur Mallarmé ou Le Soleil des Eaux). L'ajout d'un carillon par David Lacroix (2013) évoque les percussions bouléziennes ponctuant le discours chanté.

Le pari est réussi pour ce Récital-Verlaine, le programme alternant les quatre tessitures vocales lyriques avec de jeunes chanteurs professionnels et prometteurs : Raquel Camarinha, soprano à la technique sûre et à la double culture franco-portugaise, Robert Expert, contre-ténor au falsetto facile et à la rigueur qu'on pourrait qualifier d'américaine, Enguerrand de Hys, vaillant ténor à la présence rayonnante, et bien sûr François Leroux, qui a chanté sur toutes les grandes scènes lyrique, entre autres Pelléas puis Golaud, mais a également fondé il y a dix-huit ans, avec générosité et passion, le Centre international de la mélodie française, dont, chaque année, ce récital d'ouverture est le fleuron, et l'Académie Francis Poulenc la vitrine.

Marie-Christine BarraultMarie-Christine Barrault, l'Académie Francis Poulenc (Tours), 20 août 2014. Photographie © Abdelkader Naji.

Depuis une quinzaine d'années, Marie-Christine Barrault s'est spécialisée comme récitante, passionnée par les rapports texte-musique.  Elle accompagne les musiciens sur scène avec sa présence bienveillante et, dans une expression juste, donne un aperçu personnel de la « musique des mots ». Sa présence rayonnante, sa diction exceptionnelle, son sens théâtral enrichissent les textes lus d'un je-ne-sais-quoi badin, ironique et tendre, qui correspond à merveille aux poèmes de Verlaine. L'alternance de textes lus et de musique, conception aujourd'hui habituelle de nombreux récitals, propose au public attentif un renouvellement acoustique qui facilite l'écoute et la concentration.

La structure même du récital a été motivée par la notion de contraste. On aurait pu envisager une évolution chronologique de la présentation des mélodies, de Massenet (1871) à Philippe Bodin (2013), par exemple. L'alternance choisie des différentes époques est un choix heureux, le mode d'écoute étant différent entre une pièce plus romantique et tonale (Chausson, Massenet, Hahn) dans laquelle le texte de Verlaine est repris intact, et un répertoire plus contemporain. Alors que les compositeurs contemporains de Verlaine déroulent une mélodie souvent tonale, dans laquelle l'auditeur peut anticiper sur les harmonies suaves et souples, la musique contemporaine focalise la concentration sur les timbres, les couleurs, les contrastes et l'expression créant l'émotion. Ainsi, la musique et le jeu des interprètes doivent sonner « justes » comme pour l'expression théâtrale, et faire accéder le spectateur à une découverte artistique, un bonheur vibrant, une connivence avec les acteurs-chanteurs.

Durant le concert, de petits moments plaisants et originaux ont ému le public, traversé par des rires discrets, lorsque, par exemple, Enguerrand de Hys interpréta, avec une certaine malice naturelle, la mélodie de Christophe Aefan : le chanteur choisit un jeu à la fois vocal et théâtral qui se prête admirablement à la partition. Les couleurs timbriques des consonnes du poème sont exploitées par le compositeur à des fins expressives ; les sifflantes et les percussives sont exagérées ; les voyelles deviennent prétextes à vocalises et à mélismes. Le texte lui-même, devenu prétexte,  disparaît derrière ce découpage, mais l'esprit général est maintenu par la présence vocale et scénique des artistes, le pianiste frappant directement avec la main les cordes du piano ouvert, le chanteur couvrant sa bouche de la main. Dans une autre mélodie, Vincent Bouchot (2013) a demandé à la soprano se pencher vers l'intérieur du piano à queue pour chanter ses aigus fortissimo. L'effet est magnifique, les résonances de l'instrument se mêlant à  la voix ronde et chaude. Le talent de chaque interprète est mis à contribution dans des solos et duos contrastés. On peut regretter parfois l'aspect « gratuit » de telle difficulté vocale, sans que l'idée, la signification musicale, soient perceptibles à l'auditeur. La musique, au service de l'expression, de l'émotion, peut procurer un sens supplémentaire au texte et modifier poétiquement celui-ci. Elle peut également détruire cette signification si subtile et engendrer l'ennui. En permanence, les interprètes y sont vigilants, comme un funambule sur sa corde raide. La prise de risque n'est pas un vain mot dès que l'on monte sur scène.

Flore Estang
20 août 2014

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