Document d'étude Références en musicologie http://www.musicologie.org ============================ Le compositeur Ysang Yun est né à la lumière en Corée au Sud te 17 septembre 1917, près ou port de Tong Yong. Son père était l'écrivain Kihyon Yun. 1933-1944 Etudes musicales en Corée et au Japon. II participe activement au combat pour l'indépendance de son pays, alors sous le joug du Japon. Résistant, il vit dans la clandestinité et sera fait prisonnier politique. 1944-1956 Travailleur social, il dirige un orphelinat et enseigne la musique dans les écoles, puis, il devient lecteur à l'université de Seoul. 1955 Prix Musical de la ville de Seoul. 1956-1959 Etudes de composition à Paris et Berlin Ouest, principalement avec Boris Blacher et Josef Rufer. Participation aux "Darmstàdter Inrernationale Ferienkurse". 1967 Enlevé à Berlin par les services secrets Sud Coréens, il est incarcéré dans son pays sous le régime "Park''. Passible de la peine capitale, il est condamné en première instance à la prison à vie. Après deux ans de détention, il sera libéré sous la pression et les protestations des plus hautes instances internationales politiques. De plus, 180 compositeurs et interprètes demandèrent au président de la Corée du Sud sa libération (parmi eux se trouvait Igor Stravinski). 1969-1970 Ysang Yun est nommé "Maître de Conférences" à l'Ecole Supérieure de Musique de Hanovre. 1970-1985 Professeur de composition à l'Ecole Supérieure des Arts de Berlin. Naturalisé allemand (1971), il participe à plusieurs organisations d'exilés coréens et à de nombreux congrès (aux U.S.A. et au Japon) de l'Internationale Socialiste pour la démocratisation de la Corée du Sud, et la réunification du pays divisé. Membre de l'Académie des Arts à Hambourg et Berlin Ouest. 1985 Docteur Honoris Causa à l'université de Tübingen. Quelques entretiens ont permis d'approcher cet homme qui marche sur un fil entre la musique traditionnelle coréenne dont il est imprégné et les techniques occidentales qu'il maîtrise parfaitement ; entre la Corée du Sud dont il est originaire et Berlin Ouest où il vit entre cet art absolu. sa musique. être auquel il donne vie, et les contingences humaines et politiques dont il a profondément souffert. GARAK (flûte et piano : 1963) ainsi que CASA (violon et piano), sont les premières oeuvres écrites par Ysang Yun en Europe. CASA (ou KASA) en coréen est une forme de récitatif chanté surtout avec voix de tète, alors que GARAK (ou KARAK) serait ici une "suite de mélodies à caractère expressif défini" selon la mystique bouddhiste... Ainsi l'image mélodique, linéaire, élégante se révèle telle l'illustration d'un paysage sur une aquarelle... La souplesse et l'intensité expressive si particulières à la flûte paraissent idéales au compositeur pour illustrer cette idée. Une mélodie aux mouvements resserrés est confiée tout d'abord aux instruments isolés. La seconde partie s'anime en articulations dramatiques et se contraint avec plus de flexibilité et diversité. L'oeuvre s'achève enfin dans l'émergence d'une méditation apaisée... Cinq études pour flûte (elles datent de 1974). Elles furent composées à des fins pédagogiques, mais nen sont pas pour autant de vulgaires exercices techniques. Chaque étude diffère des autres par sa conception et son caractère personnel. Une expressivité originale fait référence à tout un monde imaginaire, gravé dans la conscience mythologique est-asiatique. On peut les jouer séparément mais elles constituent bien un cycle. La disposition symétrique. l'emploi spécifique des différentes flûtes et les indications métronomiques soulignent ce souci d'unité. Les pièces extrêmes 1 (moderato) et V lallegrettol sont jouées par la grande flûte : les parties intermédiaires : Il (adagio) et IV (andante) sont confiées respectivement à la flûte alto et à la flûte basse. Enfin, la partie centrale III (allegro). en extrême contraste, utilise la flûte piccolo. Les indications de jeu sont également très différenciées et font parfois référence à la technique de jeu coréenne. Emploi des quarts de tons. sons multiphoniques. doubles trémolos. quasi pizzicati "avec des coups de cles simultanément". avec beaucoup d'air mais avec des hauteurs de son nettement reconnaissables". 'très bruiteux avec plus de souffle que de son". "seulement avec du souffle". "de manière à ce que les hauteurs ne soient plus discernables". etc. Auparavant Ysang Yun avait écrit "Glissées" pour violoncelle solo (1970) et "Pin" pour hautbois solo (1971). L'Octuor (1978) est une commande de Radio France sollicitée par l'ensemble 2E2M. La création eut lieu le 10 avril 1978 par nos solistes sous ma direction. Le contenu de cette oeuvre est purement musical. dans le sens où le son même en constitue la substance. sans aucune référence mythologique ni représentation concrète. Hormis une similitude de nomenclature (3 vents clarinette. cor, basson. 5 cordes : 2 violons, alto. violoncelle. contrebasse! élargie à la clarinette basse qui en assombrit la couleur générale. cette oeuvre n'a rien de commun avec l'octuor de Schubert et encore moins avec celui de Paul Hindemith... Les deux familles instrumentales s'opposent et se réconcilient, convergent l'une vers l'autre tout en gardant leur personnalité, au gré du discours. La première partie (63 mesures) est caractérisée surtout par des vagues ascendantes des cordes, qui culminent sur un do dièse suraigu, note pivot présentée dans l'extrême grave par le basson dès l'introduction. La deuxième partie (mesure 64 à 117) se déroule dans un temps très étiré, telle une musique traditionnelle de cour coréenne. L'écriture se fait encore plus subtile. Mesures 80 et 81, j'y trouve des analogies avec mon oeuvre "Ondes, Espaces Mouvants"... Tous les appels confiés aux vents, ensuite, (parfois en octaves), sont d'une efficacité hallucinante... Suit une séquence principalement cadentielle. Elle est présentée en trois couples successifs : violon-clarinette / alto-basson / violoncelle-cor (mesures 118-182). Réapparaît ensuite une surface quasi éruptive des cordes, encadrée par deux transitions cadentielles de la contrebasse ; enfin se déroule une phase excessivement lente en écho de la seconde partie : les violons jouent des glissandi trillés suraigus alors que le violoncelle, pincé avec un plectre, évoque la sonorité âpre et pleine de la cithare coréenne : "Komun'go". On peut dire également que les deuxième et troisième parties seraient le centre d'une forme tripartite, à laquelle succéderaient une réexposition et une coda ; là où les instruments fusionnent à nouveau, étroitement unis, comme fondus les uns dans les autres. Le concerto pour flûte et petit orchestre (1977) est un véritable songe mis en scène, dont la flûte serait le personnage central. L'orchestre évoque les composantes du décor : un cloître, un étang, la nature environnante. II charge l'univers d'une atmosphère remplie de senteurs nocturnes, peuplée d'une obscure clarté... Une jeune fille, élevée dans le cloître, se consacre durant les heures de jour à la lecture des textes et prières bouddhistes. La nuit venue, une passion s'éveille en elle. La jeune fille se met alors à danser, portée par le désir, nue sous la lune qui jette sa lueur vers la statue en pierre de Bouddha à l'extrémité de l'étang... La jeune fille s'avance vers la statue que son imagination, habitée par l'émotion violente, transforme en homme extraordinairement jeune et beau. Elle l'entoure, l'étreint : la froideur de la pierre la ramène au réel. Reprenant sa danse, encore plus intense, l'adolescente demande ce qu'est vivre. Une phase méditative est enclenchée, s'amplifiant jusqu'à l'extase. L'émotion retombe, la jeune fille revient à elle ; tout sombre à nouveau dans le néant originel... A partir du premier son, les autres se sont enchaînés jusqu'au paroxysme, pour que tout disparaisse ensuite. Cette belle histoire est inspirée par un poème, fruit d'une longue tradition philosophique taoïste : le "Chonsang" sinocoréen ou le "Chemin de la Montagne Bleue" (1970) du poète Sin Sok'Chong, qui est réécriture du Chonsang Pyolgok" (apparu vers 1500). "je voudrais vivre dans les montagnes vertes"... L'emploi de la flûte est particulièrement significatif si l'on se réfère à l'importance accordée à cet instrument dans la culture coréenne. En effet, le rôle de la flûte est primordial : — dans la musique de cour, dont elle constitue la base avec le hautbois, — au coeur de la musique portée par le peuple grâce à sa simplicité (elle est fabriquée à partir d'un bambou percé de sept trous). Elle offre une grande multiplicité de jeu et s'accorde parfàitement à la danse. Elle est souvent le centre de cérémonies religieuses (comme le Shamman) et le thème fréquent de lavis est-asiatique o0 sont représentés des joueurs de flûte (prêtres bouddhistes le plus souvent) au milieu de paysages idylliques. Pour Ysang Yun, elle évoque également des souvenirs rattachés à son enfance, quand il écoutait et suivait les musiciens itinérants, de village en village. Elle reste l'instrument dont il se sent le plus proche. Avec la flûte, il parvient à reconstituer avec force les sons de toute sa culture, en se sentant aussi peu éloigné de la musique de cour (pur art musical) que de la musique populaire. Ses oeuvres procèdent de l'interprétation d'un coloris musical, d'une articulation mélodique et d'un climat rythmique, échos de mystères émanant des rites du peuple. Parmi la centaine d'oeuvre parues en Europe, on dénombre quatre oeuvres de théâtre musical (1965-1972) et cinq symphonies (1982-1987). Les événements intervenus dans la vie du compositeur l'ont poussé à créer, non seulement au niveau de son art, mais aussi de la conscience humaine universelle. Lorsque sa musique appelle à la liberté, à la paix sur terre, elle n'est pas limitée à un message politique. Née de la souffrance, des larmes et des rires,elle est révolte contre toute violence, toute brutalité, et — miracle de la création — elle se métamorphose en pure musique, libre de toute attache anecdotique, pour rejoindre et enrichir le domaine de l'expression, du lyrisme, des formes spécifiquement musicales... Le cri devient chant... Paul MEFANO avril 1989 La réalisation de cette notice a été facilitée en grande partie gràce à une interview récente du compositeur, à Berlin par Mademoiselle Deborah VANGELL.