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lundi 12 mai 2014

 

Youn Sun Nah :  Momento Magico (vidéo)

 

Feuilleton (33). Le voyage au Castenet. Une rencontre décisive

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J'étais déçu par cet échec, mais encore eut-il fallu savoir ce que l'on entend par échec J'étais plus que jamais victime de la confusion de mes souvenirs, ma théorie du trou noir se vérifiait. Certes, il n'y a pas de voie royale entre théorie et pratique. Pas même de voie du tout. Nous ne creusons que des chemins dont on ne sait pas s'ils se croiseront un jour, quelque part et comment. D'un bout le théorique, de l'autre la pratique. D'autant que sur ce fatras, il convient de greffer la question de l'utilité, qui peut-être théorique ou pratique. J'entends qu'une théorie peut ne pas avoir d'autre usage que celui de servir une autre théorie. Il est vrai aussi que ce sont les théories qui ont des applications pratiques directes nous sont les plus familières. Je ne perdais toutefois de vue qu'une pratique fondée sur une théorie des plus éprouvées n'est pas nécessairement une réussite. C'est le cas d'un biologiste qui s'empoisonne en expérimentant sur lui-même un nouveau médicament qui sauvera des milliers de malades. Il s'agit dans ce cas d'une expérience ratée qui ne remet pas en cause la théorie fondatrice. À quoi m'étais-je donc livré ? À une expérience théorique ou à une pratique pratique ?

Une pratique ne pose a priori pas de problème du genre assimilable à ceux auxquels je me confrontais. On fait comme ceci ou comme cela dans un but ou dans un autre. On corrige, on améliore, on recommence. L'expérience est une pratique particulière de mise en disposition théorique. Dans mon cas, il y avait un mélange des deux. J'avais tenté de produire une expérience dans une situation invraisemblable à laquelle j'étais moi-même livré. J'étais à la fois l'objet de l'expérience et l'expérimentateur. Le n'étais pas dans la situation de la canonnade verticale qui intriguait tant le maréchal Magnard. Une situation somme toute relative. Même si l'expérimentateur qui avait voulu s'asseoir sur l'affût après que le boulet fut tiré s'était fait défoncer le crâne, il n'aurait rien changé au problème de la balistique. Au contraire, les conditions de mon expérimentation étaient quantatives* dans la mesure où le premier des éléments expérimentaux était ma propre personne. Je ne pouvais pas faire un geste, ne pas avoir une pensée qui n'affectât, si j'ose le dire pompeusement, mon expérience humaine.

Ma théorie du trou noir était juste. Je n'avais seulement pas pris garde à ma situation quantative. Les images que nous nous construisons sont des miroirs orientés vers le monde. Nous en redressons l'emprunte presque par instinct. Narcisse, trop attiré par l'attraction de lui-même, avait un instant perdu cette aptitude. Il se vit ainsi à l'envers, c'est-à dire mort. Dans mon cas, cet instinct m'avait joué un tour déplaisant. Il m'avait conduit à corriger une image qui dès son origine était à l'endroit. Car tout se passait entre moi et moi.

Il ne reste pas moins que mon exercice d'anamnèse avait exactement aboutit à mes prévisions théoriques. C'est-à dire à une densification de ma mémoire. Malheureusement, j'avais inversé les retombées pratiques. Je pensais pouvoir rétablir le contact avec la réalité, mais le trou noir créé autour de mademoiselle Durufflé et du maréchal Magnard a empêché la manifestation de souvenirs compressés. Par contre, c'est un souvenir sauvage, c'est-à dire vide et sans pesanteur qui avait surgit. J'avais intégré la présence d'Uldaric au Castenet, la fondation de son monastère, la construction de sa maison au surplomb de la Dormone et l'acquisition de cette maison par Jean-René Létyclite Magnard. Je ne pouvais interdire la formation d'un souvenir conceptuel dérivé, celui du terrain non bâti.

Tout en méditant de la sorte, j'avais regagné les rives de la Dormone, je m'accoudais une seconde fois au parapet du Pont-l'Abbé. Je n'étais pas fou. Je savais que le monde s'agitait autour de moi. Un monde qui justement portait bien des caractères de déraison. Des automobiles roulaient certainement sur la chaussée du Pont-l'Abbé. Je me comportais ni plus ni moins comme ces passants qui devaient flâner dans les rues de la Chaise-Dieu. J'aurais pu imaginer que cette abbaye flambant neuf et la pierre nouvelle était en réalité devenue une ruine moussue. Mon comportement ne paraissait pas extravagant aux yeux de mes contemporains. Ils ne s'étaient pas empressés de me soigner, voire de m'interner, de m'affliger de quelque médecine efficace à rendre le sens de la vision. Tel était mon cas. J'avais perdu ce sens. J'étais incapable de corriger la perception des événements, de trier, de classer. Les effets correcteurs des miroirs que je tendais au monde ne fonctionnaient plus.

Une énorme canonnade déchira l'air au point qu'une caresse de fraîcheur passa sur mon visage. Je levai les yeux vers l'abbaye dont les courtines seront plus tard construites par Vauban. A cet instant, le ciel s'affaissa en une grêle intense. Je gagnais prestement la Landrover et fonçait droit sur les orages.

La formation de souvenirs dérivés, adjacents, conceptuels, en tant que compléments logiques nécessaires à la vraisemblance me tracassait. Il avait été tout à fait sain d'imaginer un terrain nu avant que n'y soit bâtie une maison. Mais cela indiquait que la mémoire produisait elle-même ses propres souvenirs fonctionnels, afin de compléter ses enchaînements sémantiques. Cela signifiait aussi que plus la théorie de trou noir s'avérera vérace, plus ses applications seront impossibles.

Ma progression était considérablement ralentie. Il n'y avait plus, à proprement parler de routes, au sens moderne du mot et dans la mesure où ce mot avait encore quelque sens. Il ne se présentait plus ce que l'on pouvait nommer une voie roulante, avec un revêtement lisse et dur, pourvue d'une signalisation à peu près claire des lieux et des directions. Je roulais sur des chemins défoncés et pierreux, parfois si étroits qu'il m'était plus facile d'emprunter les bordures des prés, quand les fossés et les haies ne me l'interdisaient pas. Je traversais peu de villages. Mais les grappes de masures que je dépassais étaient visiblement surpeuplées.

Les orages qui étaient devenus mes principaux repères n'étaient pas aussi fréquents que j'aurais aimé qu'ils le soient. Bien entendu, je m'orientais aussi à l'aide des cartes routières et des quelques instruments de navigation qui équipaient mon véhicule. Je pouvais reconnaître les vallées, les massifs, les rivières, les gros bourgs. Alors que j'étais encore comme perdu dans mes souvenirs et que je préparais mon voyage, j'avais appareillé la Landrover pour un raid africain. Je me félicitais à présent de ce qui avait été sans doute, à ce moment, une conduite absurde Je n'avais pas encore entamé mes réserves de carburant, et plus d'une fois je m'étais réjoui de l'efficacité des grilles et du treuil quand il s'agissait de sortir des bourbiers. La Land était parfaite pour affronter les chemins accidentés, leur terre battue souvent ravinée, ou les caillasses saillantes. Je me demandais si elle n'était pas mieux conçue que les hommes pour parcourir l'histoire.

J'étais arrêté près de Génolhac, à une quarantaine de kilomètres au Nord d'Alès. J'avais fait une ample provision de pommes en maraudant dans les vergers, mon thermos débordait d'eau puisée dans l'onde d'un ruisseau. À cette occasion j'avais vérifié que le reflet de mon visage, bien que miroitant à la surface de l'eau sous les effets scintillants du soleil, était bien à l'endroit. Je supposais donc que j'étais devenu adulte, que ma mémoire avait assimilé tout ce qui lui était utile pour ne plus avoir besoin d'accéder à la réalité formelle du monde. J'attendais les prochains orages empreint de la plus grande des sérénités, assis sur une grosse pierre, au pied d'un acacia au tronc duquel je m'étais adossé. Je dévorai mes pommes l'une après l'autre. La faim était mon seul tourment.

La campagne s'étalait silencieuse. Les grincements assourdissants des grillons saturaient l'air suspendu à la chaleur de midi. Il s'agissait tout à fait de ce phénomène qu'Aristote décrivit si bien, à propos de la musique de l'univers. Le vacarme des planètes tissait, dans son infinie continuité, un manteau de silence. Les grillons assuraient leur partie dans ce concert devenu silencieux par tant de persistance. Si bien que je n'entendis plus de ce silence que les accidents. Les échos lointains du bétail, le soudain et bref froissement provoqué par un battement d'ailes dans les feuillages, la stridence aiguë révélant le vol d'un moustique, le bourdonnement têtu des mouches, les claquements lents et réguliers du pas d'un cheval sur l'empierrement d'un chemin… Le cheval ne tarda pas à paraître, monté par un moine malingre.

Ses cheveux, très bruns et coupés courts, clairsemés au niveau des temporaux, ornaient une tonsure naturelle sur le haut du crâne. Son nez, court et sec comme un bec de rapace était assorti à de petits yeux ronds et noirs. Ses joues mal rasées ajoutaient à l'inexpressivité misérable de ce visage vidé par le vagabondage. Sa bouche, tendre et mobile démentait cette première impression de sécheresse qui émanait de cet homme.

Il arrêta sa monture à grand renfort de jurons, tout près de la Landrover. Il sauta prestement à terre, ajusta une longe dont il noua l'extrémité libre au pare choc avant de mon camion. Des fontes, il sortit un sac à picotin, puis se ravisa. Il renfouissa le sac. Le cheval, un élégant alezan noir aux reflets bleu nuit, broutait l'herbe fraîche qui bordait le chemin. Le moine malingre flottait dans son surplis blanc, serrée à la taille par une solide ceinture de cuir ouvragé. Il se tourna vers moi, m'observa un instant, s'approcha et s'accroupit près de moi. Dans le fond, j'étais adulte et rien ne pouvait plus m'étonner. J'avais trouvé cet endroit propice au repos, je n'avais certainement pas le monopole ni de l'idée, ni de l'envie, ni du lieu. La scène du cheval attaché à la Landrover laissait toutefois place pour une certaine irréalité qui malgré tout me chatouillait. Même si le moine n'y avait vu qu'une branche, une barrière ou un piquet, le geste de passer et nouer une corde à un pare choc n'avait techniquement rien de similaire à le faire autour d'une branche ou d'un piquet. Pourtant, ses gestes avaient été assurés et précis.

— Je ne peux pas m'asseoir mon fils. J'ai le cul en feu. Il est complètement couillon de chevaucher quand on a des hémorroïdes, mais comment  faire autrement ?

 

À suivre...

Manuel Decocq, Pierre Millet, Jean Michel Trotoux : Ana Kap

ana kap

Ana Kap, Manuel Decocq (violon), Pierre Millet (Cornet long, bugle, jouets, platine vinyle), Jean Michel Trotoux (accordéon), Petit Label 2014 PL (kraft 042)

 

Par Alain Lambert ——

« Âne à cape » selon le dessin rébus sérigraphié sur la couverture du cédé, puis défini ensuite plus loin en ces termes : Ana kap, c'est Nino Rota qui prend un café sur les bords de Marne, une cave de jazz enfumée, squattée par des danseuses étoiles de l'opéra d'Oulan Bator, Yvette Horner au bras de James Bond, lors du bal annuel du Grand Orchestre du Consulat Helvétique Oriental (alias le G.O.C.H.O).

Ana Kap, entre jazz et cirque, musette et balkans, voilà bien des airs (seize entre 1'10 et 8'12) sortis pour une dizaine de la besace du trompettiste Pierre Millet, que les amateurs de Renza Bô reconnaîtront toit de suite avec son style pétillant et acrobatique (à noter deux thèmes phares de Renza Bô à redécouvrir ici par le trio : L'enfant lire et L'oeil tranquille). Mais aussi de celles de l'accordéoniste Jean Michel Trottoux ou du violoniste Manuel Decocq.

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