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Ibn Khaldoun
1332 - 1406

Wali al-din Abd al-Rahman ben Muhammad ; ben Ali Bakr Muhammad ben al-Hasan ; أبو زيد عبد الرحمن بن محمد بن خلدون الحضرمي

Né à Tunis le 27 mai 1332 ; mort au Caire le 17 mars 1406.

Sa famille est établie de longue date en Espagne, elle immigre en Afrique au milieu du 13e siècle.

Il étudie à l'Université Zitouna. En 1348 et en 1349, sa mère, puis son père périssent de la peste.

En 1352, il est rémunéré comme maître de la signature à Fez, importante position de calligraphe auprès du sultan, qu'il quitte rapidement pour gagner Biskra, puis Bougie en 1353 où il entre au service du sultan Abu Inan Faris. L'année suivante, il est à Fès, au service du sultan.

Il se marie à Tunis en 1354, avec la fille d'an ancien général et ministre.

En 1357, il est accusé de complot, et passe quelque temps en prison. En 1359, il soutient la prise du pouvoir par le sultan Abû Salîm Ibrâhîm. Il est récompensé par d'importantes charges administratives.

En 1362, il est au service du sultan Mohammed V al-Ghani à Grenade, qui le charge d'ambassade à la cour de Pierre de Castille, pour y conclure la paix. De retour à Grenade, le sultan le remercie en lui offrant les terres d'Elvira. À Grenade, il se lie avec le savant Ibn Khatib.

En 1365, il est chambellan du sultan de Bougie, Abû `Abd Allâh, puis en 1366, d'Abû al-`Abbâs qui s'est emparé de la ville. Il s'enfuit. Ses biens sont confisqués et sa famille inquiétée. Il refuse la charge de chambellan à lma cour de Biskra, et se consacre un temps à l'étude.

En 1370, il est chambellan de 'Abou Hammou Moussa à Tlemcen. Le pouvoir est défait dans une guerre contre Fès. Ibn Khaldum est arrêté alors qu'il tentait de fuir en Espagne, et entre au service du nouveau sultan.

En 1378, il enseigne à Tunis, et embarque pour Alexandrie en 1382, avant de s'installer au Caire. Il y est professeur à la médersa El Qamhiyyan et grand cadi. Il accomplit le pèlerinage de La Mecque en 1387.

Il est à Damas, avec une cour en déroute, quand Tamerlan s'empare de la ville, en décembre 1400. Les négociations sont difficiles, mais Tamerlan semble apprécier la présence d'ibn Khaldum, et le traite comme un hôte privilégié. Ce qui n'empêche pas la mise à sac de la ville et le massacre de la population.

En printemps 1401, il retourne au Caire, où il occupe de nouveau sa charge de cadi.

Les prolegonèmes (al « Mukkadima »), est le premier volume d'un vaste ouvrage : Le Livre des exemples, « Kitab al-Ibardan », dans lequel il résume ses expériences. Il tente de donner un sens philosophique à l'histoire et à intégrer des lois universelles.

La puissance de chanter et de faire de la musique est classée parmi les puissances fondamentales de la section 31. Mais les sujets musicaux sont éparpillés dans son ouvrage.

Lire des extraits (traduction Sloane : numérisation par Pierre Palpant, pour « Les classiques des sciences sociales »)

Des sciences intellectuelles (ou philosophiques) et de leurs diverses classes

Traduction Sloane, 2e partie, 3e section, 6

La troisième branche [des mathématiques]  est la musique (moucîki) ; elle nous fait connaître les rapports des sons entre eux et les rapports des tons aux tons, ainsi que la manière de les apprécier numériquement. Son utilité consiste à faire connaître les lois de la modulation dans le chant.

De l'art du chant

Traduction Sloane, 2e partie, 5e section, 31

Cet art consiste dans une modulation donnée à des vers rythmiques, en entrecoupant les sons d'après des rapports réguliers et connus (des gens de l'art), (modulation) qui tombe   exactement sur chaque son au moment où on le détache (des autres). Cela forme une note musicale. Les notes se combinent ensuite les unes avec les autres dans des rapports déterminés, et font plaisir à l'oreille par suite de ce rapport mutuel et de la nature   même de ces sons. En effet, la science musicale nous montre que les notes ont entre elles des rapports déterminés : l'une peut être la moitié ou le quart ou le cinquième ou le onzième d'une autre. Quand ces rapports parviennent à l'oreille, leur variété les fait passer (de la catégorie) du simple à celle du composé. Or, entre les rapports composés, il n'y en a d'agréables à entendre qu'un certain nombre, que les hommes versés dans la science musicale ont signalés, et dont ils ont parlé (dans leurs écrits).

Cette modulation des notes chantées est quelquefois accompagnée de sons entrecoupés que l'on tire d'objets inanimés, soit au moyen de la percussion, soit en soufflant dans des instruments faits exprès pour cet objet. L'accompagnement rend les notes encore plus agréables à l'oreille. De ces instruments, il y en a, de nos jours, dans le Maghreb, plusieurs sortes. Telle est l'espèce de mizmar   (ou zemer), que l'on nomme chebaba. C'est un roseau creux dont les côtés sont percés de trous en nombre fixe et dans lequel on souffle pour lui faire produire des sons. Il émet alors directement de son intérieur un son qui passe par ces trous et que l'on modifie en posant sur ces ouvertures les doigts des deux mains. Cela se fait d'une certaine façon connue des gens de l'art, et a pour résultat d'établir des rapports (mutuels). entre les notes. On continue de cette manière à produire une suite de rapports. Le plaisir que l'oreille éprouve provient de la perception des rapports dont nous venons de parler.

Un autre instrument de la même espèce est le zolami (hautbois). C'est un tuyau dont les côtés sont formés avec deux pièces de bois creusées à la main ; on ne le perfore pas au moyen du tour, parce qu'il faut ajuster exactement les deux morceaux dont il se compose. Il est percé de plusieurs trous. On souffle dans le zolami au moyen d'un petit tuyau qui y est attaché et qui sert à y conduire le vent. Le son de cet instrument est perçant ; on y forme les notes   en apposant les doigts sur les trous, ainsi que cela se fait avec le chebaba.

Un des plus beaux instruments de l'espèce nommée zemer s'emploie de nos jours et s'appelle bok. Il consiste en un tuyau de cuivre, long d'une coudée, et qui s'élargit de sorte que l'extrémité d'où sort l'air est assez évasée pour admettre la main légèrement fermée, comme elle l'est lorsqu'on taille une plume. On souffle dedans au moyen d'un petit tuyau qui y transmet l'air de la bouche. Il produit un son bourdonnant et très fort. Il a aussi un certain nombre de trous au moyen desquels on produit, par l'application des doigts, plusieurs notes ayant entre elles des rapports déterminés ; on l'entend alors avec plaisir.

Il y a aussi des instruments à cordes. Ils sont creux à l'intérieur : les uns, tels que le berbat et le rebab, ont la forme d'un segment de sphère ; les autres, comme le canoun  , ont la forme quadrilatère. Les cordes sont placées sur le côté plat de l'instrument et tiennent chacune, par son extrémité supérieure, à une cheville tournante, ce qui permet de les relâcher quand il le faut. On frappe les cordes avec un morceau de bois, ou bien on fait passer sur elles une autre corde attachée aux deux bouts d'un arc et frottée avec de la cire et de la résine. On forme les notes en tirant l'arc d'une main légère sur une corde ou bien en le passant d'une corde à une autre. En jouant des instruments à cordes, soit qu'on frappe les cordes, soit qu'on les frotte, on les touche avec les bouts des doigts de la main gauche afin de produire des notes justes et agréables à entendre.

Quelquefois on frappe avec des baguettes sur des instruments en forme de plats ; on frappe aussi des morceaux de bois les uns contre les autres, en observant une mesure régulière, ce qui produit encore des sons que l'on entend avec plaisir.

Nous allons maintenant indiquer la cause du plaisir qui dérive de la musique. Le plaisir, comme nous le dirons ailleurs, est la perception de ce qui est convenable (à l'esprit) et qui peut être saisi par les sens  . Ce que l'on aperçoit est une modalité (des objets des sens). Quand la modalité est en rapport compatible et convenable avec la faculté perceptive, elle est agréable ; quand elle lui est incompatible et antipathique, elle lui cause une sensation désagréable  . Les choses qu'on mange sont convenables quand leur modalité est en rapport avec le tempérament du sens du goût. Le convenable, en fait de choses perçues par le toucher ou par l'odorat, est ce qui est en accord avec le tempérament de l'esprit cardiaque et vaporeux auquel le sens, dans ce cas, transmet la perception ; aussi les plantes odorantes et les fleurs à parfums doux sont elles plus agréables à sentir, plus convenables à l'esprit (cardiaque) que les autres, parce que le principe chaud y prédomine, principe qui est celui du tempérament de cet esprit. Quant aux perceptions de la vue   et de l'ouïe, celles dont les formes et les modalités conviennent le mieux à leur destination naturelle sont plus en accord avec l'esprit et lui sont bien plus compatibles que les autres. Si l'objet que l'on voit   a une juste proportion de forme et de contour, — ce qui dépend de la matière (constituante) de cet objet, — en tant qu'il ne s'écarte pas de cette juste proportion qui convient le mieux à sa destination et qui est exigée par sa matière constituante, — et c'est là ce qu'on entend par le terme beau et bon en parlant de toute chose perceptible, — si l'objet remplit cette condition, il est compatible avec l'esprit perceptif, qui en recueille alors avec plaisir des sensations qui sont en rapport avec sa nature.

Voilà pourquoi nous trouvons que l'amant, chez qui l'amour est poussé jusqu'à la folie, exprime l'intensité de sa passion en disant que son âme est mêlée avec celle de l'objet aimé. On peut encore expliquer cela d'une autre manière, à savoir que l'existence est commune à tous les êtres, ainsi que le disent les philosophes ; cela fait que vous voudriez être mêlé à l'objet dans lequel vous avez reconnu la perfection, de manière à ne former qu'un seul être avec lui.

La chose qui est le plus en rapport avec l'esprit de l'homme, celle dont la beauté des proportions est la plus facile à saisir  , c'est le corps humain. La perception de la beauté dans les contours d'une belle personne et dans les sons de sa voix est donc un des sentiments les plus conformes à la nature humaine. Chaque homme est porté par sa nature à rechercher la beauté dans   ce qui se voit et dans ce qui s'entend. Or les sons, pour être beaux, doivent avoir entre eux de justes rapports et ne pas être incompatibles les uns avec les autres. Expliquons nous : les sons ont plusieurs modalités ; il y en a de bas, de hauts, de doux, de forts, de vibrants, d'étouffés et d'autres encore. C'est de leur juste rapport entre eux qu'ils tiennent leur beauté. Ainsi, en premier lieu, on ne doit pas passer directement d'un son à celui qui lui est contraire, mais y arriver par degrés et en revenir de la même manière. Cela doit se faire aussi pour deux sons semblables : il faut absolument interposer entre eux un son dissemblable. Voyez les philologues : ils condamnent les combinaisons dans lesquelles une lettre se trouve jointe à une autre qui lui est incompatible, ou à une lettre qui s'articule par des organes trop rapprochés des siens. Cela rentre, en effet, dans la catégorie que nous venons de désigner. En second lieu, les sons (qui se suivent immédiatement) doivent avoir entre eux un de ces rapports de proportion que nous avons signalés au commencement de ce chapitre. On peut donc passer d'un son à sa moitié, ou à son tiers, ou à telle autre partie, pourvu que cette transition produise un de ces accords dont les hommes versés dans l'art de la musique ont établi et limité le nombre. « Si, pour employer leur expression, les sons ont un rapport mutuel dans leur modalité, ils conviennent à l'oreille et lui font plaisir. »

De ces rapports, les uns sont si simples que beaucoup de personnes s'en aperçoivent naturellement, sans avoir eu besoin de l'enseignement ou de la pratique. Aussi, voyons nous des individus saisir sur le-champ la mesure des vers qu'on récite, celle des danses, etc. Ce talent se désigne vulgairement par le terme midmar (manège). Il existe chez un grand nombre de ceux qui lisent le Coran : en récitant le texte de ce livre, ils donnent à leurs voix des intonations agréables qui ressemblent aux sons des instruments à vent. Leur débit est si beau et les diverses modulations de leurs voix sont si justes qu'on les écoute avec ravissement. Parmi ces rapports, il y en a de composés, qu'il n'est pas donné à tout le monde de saisir et dont les individus qui ne sont pas assez favorisés par la nature ne sauraient se servir, bien qu'ils sachent comment on les produit. Voilà en quoi consiste la mélodie, sujet que la musique entreprend de traiter, ainsi que nous l'exposerons après avoir parlé des autres sciences.

L'imam Malek désapprouva l'usage de la mélodie dans la lecture du Coran ; mais l'imam Chafêi le permit. La mélodie dont il s'agit ici n'est pas celle que la musique enseigne et qui s'apprend comme un art : l'emploi de cette dernière espèce en récitant le Coran est certainement défendu ; il n'est pas permis d'avoir le moindre doute à cet égard. En effet, l'art de la musique n'a rien de commun avec le Coran : pour lire tout haut le texte de ce livre, il faut ménager sa voix, de manière à pouvoir bien prononcer les lettres, surtout en allongeant les voyelles dans les propres endroits, en appuyant plus ou moins sur les lettres de prolongation, selon le système de lecture que l'on a adopté, et en remplissant quelques autres conditions du même genre. (Voilà pour le Coran.) Passons à la mélodie musicale : elle exige aussi que l'on ménage sa voix, afin qu'on puisse produire des sons ayant entre eux de certains rapports, ainsi que nous l'avons déjà dit en expliquant ce qu'il fallait entendre par ce mot. Mais, en observant les règles d'un de ces arts, on viole celles de l'autre, car ce sont deux arts opposés. Donc, avant tout, il faut s'en tenir à la récitation (cadencée) du texte coranique, afin de ne pas s'exposer à altérer le système de lecture que les anciens docteurs nous ont transmis. Il est donc absolument impossible d'employer simultanément la mélodie et le mode de récitation adopté pour la lecture du Coran.

La mélodie au sujet de laquelle les disciples de Malek et ceux de Chafêi ne sont pas d'accord est d'un genre tout à fait simple, celui que tout homme ayant l'oreille juste est porté naturellement à employer. Il varie alors les sons de sa voix   en observant certaines proportions que tout le monde, musiciens et autres, sont également capables de saisir. C'est au sujet de ce genre ci qu'on n'est pas d'accord. Mais il est évident qu'on doit s'en abstenir dans la lecture du Coran et que l'imam (Malek) avait raison. En effet, la lecture du Coran est faite pour inspirer l'effroi, parce qu'elle dirige nos pensées vers la mort et ce qui s'en suit ; elle ne doit pas servir à procurer du plaisir aux personnes qui recherchent la perception de sons agréables. Ce fut toujours ainsi (c'est à dire avec un sentiment de crainte respectueuse) que les Compagnons récitaient le Coran, ainsi que nous le savons par l'histoire.

Le Prophète, en prononçant cette parole, « Il a reçu en cadeau un des mizmar de la famille de David », ne voulait parler ni des tremblements de notes ni de la mélodie (proprement dite), mais de la beauté de la voix (d'un certain homme), de la manière dont il s'acquittait de la lecture (du Coran), du distinct emploi qu'il faisait des organes de la bouche pour articuler les lettres, et de la netteté de son énonciation.

Ayant indiqué en quoi consiste le chant  , nous dirons qu'il se produit assez tard dans toute société civilisée : il faut que   la population soit devenue très nombreuse, et qu'après être sortie de l'état pendant lequel elle ne cherchait que l'indispensable, elle passe par celui où elle essaye de satisfaire aux besoins qu'elle s'est créés, et qu'elle entre définitivement dans un état d'aisance parfaite, dont elle tâche de jouir de toutes les manières. C'est alors seulement que l'art du chant prend naissance, car personne ne le recherche, à moins d'être libre de tous les soucis causés par la nécessité de pourvoir à ses besoins, à sa subsistance, à son logement, etc. Il n'y a que les gens tout à fait désœuvrés qui désirent en jouir, afin de multiplier leur plaisirs.

Avant la promulgation de l'islamisme, l'art du chant était très répandu dans toutes les villes et toutes les métropoles des royaumes étrangers. Les souverains eux mêmes s'y étaient appliqués et s'en montraient très engoués. Cela fut porté à un tel point que les rois de Perse témoignaient une grande considération aux personnes qui cultivaient cet art et les recevaient à leur cour. Ils leur permettaient d'assister à leurs assemblées et réunions, et d'y chanter. Tel est encore le cas aujourd'hui chez les peuples étrangers de tous les pays et de tous les empires.

Les Arabes n'avaient d'abord (en fait de musique) que l'art des vers. Ils formaient un discours composé de parties étales les unes aux autres  , en établissant entre elles un rapport mutuel qui se reconnaissait au nombre de lettres mues et de lettres quiescentes qui s'y trouvaient. En opérant ainsi, ils produisaient un discours consistant en plusieurs parties, dans chacune desquelles il y avait un sens complet, sans qu'on fût obligé de passer à la partie suivante. Ces beït, car on les désigne par ce terme, conviennent parfaitement à la nature (de l'esprit humain), d'abord, parce que chacun d'eux forme une partie distincte, puis à cause de leurs rapports mutuels en ce qui regarde leurs fins et leurs commencements, et ensuite, par la netteté avec laquelle ils transmettent les pensées qu'on veut communiquer aux autres et qui se trouvent renfermées dans la composition même de la phrase. De toutes leurs façons de s'exprimer, ce fut la poésie qu'ils admiraient le plus ; ils lui assignèrent le plus haut degré de noblesse, parce qu'elle se distinguait spécialement par ces rap-ports mutuels dont nous avons parlé. Ils en firent le dépôt   de leur histoire, de leurs maximes de sagesse et de leurs titres à l'illustration ; ils s'en occupèrent afin d'aiguiser leur esprit en l'habituant à bien saisir les idées et à employer les meilleures tournures de phrase. Depuis lors, ils ont continué à suivre cette voie. Les rapports offerts par les diverses parties (ou vers) d'un poème et par les lettres mues et quiescentes ne forment toutefois qu'une seule goutte du vaste océan des rapports des sons, ainsi que le Kitab el Mousiki   nous le fait voir. Mais les Arabes ne s'aperçurent pas de l'existence d'autres rapports que ceux offerts par leurs poésies ; car, à cette époque, ils n'avaient cultivé aucune science ni connu aucun art ; ils n'avaient qu'une seule occupation : la pratique des usages de la vie nomade.

Les chameliers se mirent ensuite à chanter pour exciter leurs chameaux ; les jeunes gens chantaient aussi pour passer le temps. Ils faisaient des tremblements sur les notes et formaient des modulations. Les Arabes employaient le mot ghana (chant) pour indiquer l'acte de faire des modulations en chantant des vers ; pour désigner la récitation cadencée du Tehlîl (la profession de l'unité de Dieu) et la manière de psalmodier les versets du Coran, ils se servaient du terme taghbîr. Abou Ishac ez Zeddjadj   explique ainsi l'emploi de ce mot : « Il signifie faire mention du ghabir, c'est à dire, de ce qui reste, et désigne, pour cette raison, les choses de la vie future ». Quelquefois aussi, quand ils chantaient, ils établissaient un accord entre des sons différents. Ce renseignement est fourni par plusieurs auteurs, dont l'un, Ibn Rechîk, l'a inséré dans la dernière partie de son Omda. On nommait cet accord senad. La plupart (de leurs airs) étaient du rhythme appelé khafîf, celui dont on se sert dans la danse et pour marquer le pas quand on marche au son du doff (tambour de basque) et du mizmar (flûte). Ce rhythme excite l'âme à la gaieté et fait épanouir les esprits les plus sérieux. Chez les Arabes, il se nommait hezedj. De toutes les mélodies simples, celle ci est la première (et la plus facile) ; aussi l'esprit éprouve t il peu de difficulté à la saisir, sans l'avoir apprise ; de même qu'il saisit tout ce qui est simple dans les autres arts. Les Arabes ont toujours conservé (l'usage de chanter) ; ils l'avaient déjà dans les temps du paganisme, et ils s'y adonnent encore dans la vie nomade.

Lors de la promulgation de l'islamisme, ils s'emparèrent (des plus grands) royaumes du monde et enlevèrent l'autorité aux Perses par la force des armes. Ils étaient alors tout à fait nomades et habitués aux privations, ainsi que chacun le sait ; mais ils possédaient les sentiments de la religion dans toute leur fraîcheur  , et cette aversion qu'elle inspire pour les choses de simple agrément et pour toutes les occupations qui ne servent ni à faire triompher la cause de Dieu, ni à se procurer la subsistance ; aussi méprisèrent ils le chant jusqu'à un certain point, ne le trouvant agréable que dans la psalmodie du Coran et dans cette manière de moduler les vers dont ils s'étaient fait un système et une habitude. Le luxe étant survenu avec les commodités de la vie et les richesses qui provenaient des dépouilles des peuples, les Arabes se laissèrent entraîner vers les plaisirs de la vie, la jouissance du bien être et les douceurs du repos.

Les chanteurs perses et grecs s'étant alors répandus dans le monde, (plusieurs d'entre eux) passèrent dans le Hidjaz et se mirent sous le patronage des Arabes. Ils savaient tous jouer de l'aoud (le luth), du tanbour (la pandore, du miezef (la harpe) et du mizmar (la flûte). Ils firent alors entendre aux Arabes des airs que ceux ci adoptèrent en chantant leurs poésies. Ce fut alors que Nechît el Fareci figura à Médine, ainsi que Towaïs   et Saïb Khather, client d'Abd Allah Ibn Djafer  . Quand ils eurent entendu les chansons arabes, ils les apprirent et les chantèrent si bien qu'ils se firent une grande réputation. Mabed  , Ibn Soreidj  , et leurs confrères eurent ceux là pour maîtres.

L'art du chant continua à faire du progrès et, sous la dynastie des Abbacides, il fut porté à la perfection par Ibrahîm Ibn el-Mehdi  , Ibrahîm el Mauceli  , Ishac, fils de celui-ci, et Hammad, fils d'Ishac. L'excellence de la musique sous cette dynastie et les beaux concerts qui se donnèrent à Baghdad ont laissé des souvenirs qui durent encore.

On mettait à cette époque tant de recherche dans les jeux et les divertissements qu'on inventa tout un attirail de danse, tel que vêtements, baguettes   et chansons composées exprès pour régler les mouvements des danseurs. Cela forma même une profession à part. On y employa aussi des choses appelées kerredj  . Ce sont des figures de bois représentant des chevaux harnachés, que les danseuses suspendaient à leurs gilets. Elles s'en revêtaient pour représenter des cavaliers qui couraient à l'attaque, qui battaient en retraite et qui combattaient ensemble. Il y avait encore d'autres jouets dont on se servait dans les noces, les fêtes, les réjouissances publiques et les lieux ont l'on s'assemblait pour passer le temps et pour se divertir. Toutes ces choses étaient très communes à Baghdad et dans les villes de l'Irac, et, de là, l'usage s'en répandait dans les autres pays.

(Ali Ibn Nafê, surnommé) Ziryab, avait été page au service des Maucelides  . Ayant appris d'eux la musique, il y devint si habile qu'il excita leur jalousie et se vit obligé par eux de passer dans le Maghreb. L'Espagne avait alors pour souverain l'émir (Abd er Rahman II), fils d'El Hakem, fils de Hicham, fils d'Abd er Rahman, le premier des Omeïades qui entra dans ce pays. Ce prince reçut Ziryab avec des honneurs extraordinaires : il monta à cheval pour aller au devant de lui, le combla de dons, de concessions et de pensions, l'admit au nombre de ses convives habituels et lui assigna une place honorable à la cour  . La connaissance de la musique, laissée par Ziryab comme un héritage à l'Espagne, s'y transmit de génération en génération, jusqu'à l'époque où les gouverneurs des provinces et des villes se furent rendus indépendants. Elle était très répandue à Séville ; et, lors de la décadence de cette ville, elle passa en Ifrîkiya et dans le Maghreb, pour s'introduire dans les villes de ces pays. On en trouve encore quelques restes, malgré le déclin de la civilisation et l'affaiblissement des empires africains.

La musique est le dernier art qui se produit dans les sociétés civilisées, parce qu'elle est un de ceux qui naissent lorsque l'empire est parvenu à un haut degré de prospérité. Elle ne s'y montre qu'à une seule condition : la population de l'endroit doit être désœuvrée et aimer les divertissements. Elle est aussi le premier art à disparaître quand la civilisation est entrée dans son déclin. Dieu est le Créateur.

À propos des prophètes

1re partie, 6e discours prémiminaire (extrait)

Il se trouvait, dit on, parmi les Israélites un prophète qui, 206 pour se préparer à recevoir les révélations célestes, écoutait de la musique exécutée par des voix très belles et très douces. Bien que l'authenticité de cette tradition ne soit pas suffisamment constatée, elle n'en a pas moins un certain air de vérité. Au reste, le Tout-Puissant accorde à ses prophètes et à ses envoyés les distinctions qu'il lui plaît.

De l'influence de l'air sur le caractère

Qui traite de l'influence exercée par l'air sur le caractère des hommes. (extrait). 1re partie, 4e discours préliminaire.

Nous avons tous remarqué que le caractère des Nègres se compose, en général, de légèreté, de pétulance et d'une vive gaieté : aussi les voit on se livrer à la danse chaque fois qu'ils en trouvent la moindre occasion ; de sorte que, partout, ils ont une réputation de folie.

Le passage à la vie sédentaire

Dans les empires, les habitudes de la vie sédentaire remplacent graduellement celles de la vie nomade (extrait). 1ère partie, 3e section, 13

Se trouvant dans une grande aisance, ils se livraient aux plaisirs avec une ardeur extrême et, entrés dans la période du luxe et de la vie sédentaire, ils recherchèrent tout ce qu'il y avait de mieux en fait de comestibles, de boissons, de vêtements, de logements, d'armes, de chevaux, de vaisselle, de musique, de meubles et d'ustensiles de cuisine. Leur amour du luxe dépassait toutes les bornes et se montrait surtout aux noces, aux fêtes et aux festins.

À propos des débauches Yezîd

Sur le droit de succession dans l'imamat (extrait). 1ère partie, 3e section, 29

[...] Ici se présentent plusieurs questions que nous sommes obligé d'examiner et d'éclaircir. On nous objecte d'abord les débauches de Yezîd pendant qu'il était khalife. A cela nous répondrons : Il faut bien se garder de croire que Moaouïa eût connaissance de la perversité de son fils. Il était trop honorable, trop homme de bien pour fermer les yeux sur un tel défaut. Nous savons d'ailleurs qu'il reprocha vivement à Yezîd d'aimer la musique vocale, et qu'il la lui défendit. Or l'amour de la musique est bien moins répréhensible que celui de la débauche, et les docteurs varient d'avis sur la légitimité de cet art

Sur les emblèmes de la royauté et les marques distinctives de la souveraineté : les drapeaux et la musique

2e partie; 3e section, 6 (extrait)

Le lecteur sait à quel point la musique affecte ceux qui l'entendent. C'est pour cette raison que les peuples étrangers font jouer des instruments de musique sur le champ de bataille, et n'emploient ni tambours ni trompettes. Les musiciens entourent le roi, comme faisant partie de son cortège, et jouent avec un tel effet, qu'ils animent les guerriers à courir au devant de la mort. Chez les Arabes (nomades de l'Afrique), nous avons vu que, dans leurs guerres, le récitateur marche en tête du cortège (qui entoure le chef), en chantant des vers, afin d'exciter le courage des guerriers ; et il en résulte qu'ils se précipitent à l'envi sur le champ   de combat, pour s'élancer chacun contre son adversaire. Le même usage se retrouve chez les Zenata, peuple (berber) du Maghreb : leur poète marche en avant de la colonne et chante à faire tressaillir les montagnes ; il oblige ainsi à courir au devant de la mort ceux qui n'y pensaient même pas. Ils appellent ce chant tazouagaït  . Ces effets sont le résultat d'un sentiment de joie que l'on éprouve dans l'âme et qui réveille le courage avec autant de force que le vin, liqueur qui inspire aussi un sentiment de joie.



Érits relatifs à la musique

al-Mukkadima ( «Les prolegonèmes » )

Manuscrits

Éditions

Bibliographie

Jean-Marc Warszawsk
Novembre 1995-2002
30 Juin 2009
Révision le 13 septembre 2010

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