bandeau texte musicologie

Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte —— La musique instrumentale de Beethoven à Schubert.

La musique de chambre de Carl Maria von Weber  (1786-1826)

La musique pour piano ; la musique de chambre ; la musique concertante ; la musique symphonique.

Bien que peu nombreuses, les œuvres de chambre de Weber sont, à juste titre, parmi les plus prisées de son catalogue instrumental. « Outre le goût du panache et du clinquant, mêlés à des suggestions nocturnes ou fantastiques, on y trouve un sens très prononcé de la couleur instrumentale […]. On note dans ses œuvres instrumentales un mélange du style le plus expressif et du brio le plus étincelant, une combinaison assez unique d’éclat chevaleresque et de mystère, et cette netteté du dessin mélodique et rythmique qui le rend « original », mais en un tout autre sens que Beethoven. Weber possède une « manière » bien à lui, mais sans être rien moins qu’un maniériste. À cette netteté, à cette vivacité de la ligne mélodique s’ajoute la prédilection pour certains timbres. Tels Mozart, Schubert, Berlioz, Schumann, Brahms, Richard Strauss, Reger, Debussy, Bartok, Berg et Stravinsky, il avait le sens de la clarinette, comme d’ailleurs celui du cor, instruments de rêve et de mystère au plus profond de la forêt romantique. »12

Œuvres avec clarinette

Si Weber a si bien servi la clarinette (y compris dans ses œuvres concertantes), on le doit grandement à l’amicale complicité qui le liait, dans les années 1810, au célèbre clarinettiste Bärmann, et à la séduction qu’exerça sur le compositeur le nouvel instrument à dix clés dont disposait le virtuose. Il nous en reste trois fort belles partitions de chambre, dont deux ont leur (petite) place parmi les chefs-d’œuvre dédiés à l’instrument.

Il s’agit d’abord du Quintette pour clarinette et cordes en si bémol majeur (opus 34), auquel Weber mit un point final en 1815. On lui fait parfois le reproche d’être plus un concerto qu’une œuvre de chambre, et il est vrai qu’après une prometteuse introduction lente confiée aux seules cordes, on sent très vite que tout sera fait pour faire valoir le talent du soliste. Mais, tout au long des quatre mouvements ou presque, le compositeur y déploie généreusement les diverses qualités évoquées plus haut sous la plume de Patrick Szersnovicz. À cet égard, les deux mouvements intermédiaires atteignent des sommets : intitulé Fantasia, l’adagio ma non troppo, vrai moment de rêve sur lequel semble se profiler l’ombre du Freischütz, « peut apparaître comme l’une des plus belles pièces jamais écrites pour la clarinette, sorte d’air de concert faisant valoir, en une très longue phrase mélodique, tant la splendeur des sonorités que l’expressivité des différents registres et la ductilité du phrasé. »13   Quant au menuetto (capriccio presto), d’une imagination débridée et d’une invention rythmique étonnante, il offre un moment unique d’ivresse virtuose, de gaieté et d’humour.

Carl Maria von Weber, Quintette pour clarinette et cordes en si bémol majeur opus 34, II. Fantasia, par Eduard Brunner et le Hagen Quartett.
Carl Maria von Weber, Quintette pour clarinette et cordes en si bémol majeur opus 34, III. Menuetto, par Eduard Brunner et le Hagen Quartett.

Autre partition marquante, souvent considérée d’ailleurs comme la plus belle réussite de Weber en musique de chambre : le Grand duo concertant pour clarinette et piano en mi bémol majeur, opus 48. Des années 1815-1816, cette partition en trois mouvements n’est pas une sonate déguisée, mais bien plutôt une œuvre « théâtrale » mettant en jeu deux artistes virtuoses, dans une relation conduite avec une incroyable ingéniosité. D’un bout à l’autre, le compositeur nous entraîne dans son territoire d’élection, « un pays où la joie de vivre épouse la poésie, où la virtuosité se fait jeu lyrique raffiné et verdeur spirituelle, en un langage parfois curieusement préromantique bien qu’encore marqué d’une séduisante élégance classique. »14 Avouons-le, il est bien difficile de résister à cette invitation au voyage, et s’il fallait, dans le catalogue instrumental de Weber, élire une œuvre particulièrement représentative de son art, ce serait peut-être celle-là.

Carl Maria von Weber, Grand Duo Concertant opus 48, par Gervase de Peyer (clarinette) et Cyril Preedy (piao)n, 1961.

Également pour clarinette et piano, les sept variations sur un thème de Silvana (opus 33), que Weber écrivit en 1811 sur un thème issu d’un de ses récents opéras dont le succès devait rester sans lendemain, n’atteignent pas tout à fait les mêmes sommets. On y trouve néanmoins de beaux et grands moments de brio et de séduction, ce qui ne saurait étonner s’agissant d’une partition composée sous le coup de l’admiration pour le fameux Bärmann que Weber venait de rencontrer lors d’un séjour à Munich.

Carl Maria von Weber, Sept variations sur un thème de Silvana, opus 33, par Jon Manasee (clarinette) et Jon Nakamatsu (piano).

Autres œuvres de chambre

Parmi les autres partitions de chambre laissées par Weber, deux valent d’être spécialement mises en évidence. Nous citerons en premier la plus tardive des deux, le trio pour flûte, violoncelle et piano en sol mineur (opus 63), que le musicien écrivit en deux temps (1813 pour le mouvement lent, 1818-1819 pour les trois autres). On peut lui trouver quelques faiblesses, quelques facilités même. Néanmoins, ce trio, œuvre préromantique par excellence, ombrée parfois d’une touchante mélancolie, est un magnifique petit drame pastoral, plein de fraîcheur et d’un merveilleux équilibre instrumental. On s’attachera en particulier aux trois premiers mouvements : l’allegro moderato, « par son caractère romantique au sein d’une forme classique, s’avère peut-être le plus réussi des allegros de sonate écrits par Weber »15 ; le bref scherzo, avec sa flûte virtuose, brille d’une légèreté aérienne ; et, dans l’émouvant andante espressivo, titré « Plainte du berger », qui imprime son caractère au reste de la partition, « une flûte agreste (semplice) exhale, en un thème-lamento, la tristesse d’une âme « romantique ».16

Carl Maria von Weber, Trio pour flûte, violoncelle et piano en sol mineur opus 63 par Vadim Sakharov, Irena Grafenauer et Clemens Hagen.

Autre partition digne d’attention : le quatuor pour piano et cordes en si bémol majeur, qui s’est vu attribuer le numéro d’opus 8, sans grand rapport avec la date de son achèvement (1809). Point d’ombres « romantiques » ici : l’œuvre a été écrite essentiellement dans une veine sereine et gaie, avec un piano qui s’adjuge un rôle concertant des plus brillants, et elle reste encore largement dans la descendance de Mozart ou de Haydn. Ses deux mouvements extrêmes se signalent par l’abondance des idées, jusqu’à l’excès dans le presto final qui prend des allures de pot-pourri d’opéra, mais c’est surtout le bel adagio (ainsi que le bref trio du menuet) qui retient l’attention, car on y trouve des tournures nettement plus personnelles, avec des modulations et des élans dramatiques qui viennent troubler la sérénité du mouvement.

Carl Maria von Weber, Quatuor pour piano et cordes en si bémol majeur opus 8, Allegro con fuoco, Adagio ma non troppo, Menuetto: allegro, Finale : presto, par Alexander Melnikov, Isabelle Faust, Boris Faust et Wolfgang Emanuel Schmidt.

Beaucoup plus modestes, mais pleines de charme et de légèreté, les six petites sonates pour piano et violon opus 10,  que Weber écrivit en 1810 à la demande d’un éditeur, avaient un caractère pédagogique que confirme bien leur appellation initiale de Sonatines progressives pour piano, avec violon obbligato, dédiées aux amateurs. Aujourd’hui, ce sont moins les violonistes que les flûtistes qui s’emparent à l’occasion de ces oeuvrettes derrière lesquelles se cache un sourire tendre et frondeur et qui ne visent qu’au plaisir de l’instant, empruntant ça et là à des mélodies traditionnelles venues d’Espagne, de Pologne, de Russie ou de Sicile, ou encore reprenant (dans la cinquième) un thème de l’opéra Silvana pour en tirer quelques variations.

Carl Maria von Weber, Sonate opus 10 n°2 en sol majeurpar Isabelle Faust & Alexander Melnikov.

Mentionnons aussi les neuf variations sur un air norvégien pour violon et piano (opus 22). D’une charmante simplicité, ces variations écrites en 1808, dont trois sont confiées au piano seul, ont le mérite d’échapper un peu aux conventions du genre, telles que pratiquées à l‘époque.

plumeMichel Rusquet
20 janvier 2020
© musicologie.org

Notes

12. Szersnovicz Patrick, dans « Le Monde de la musique » (275), avril 2003.

13. Tranchefort François-René, Guide de la musique de chambre. Fayard , Paris 1998, p. 929.

14. Hamon Jean, dans « Répertoire » (115), juillet-août 1998.

15. Tranchefort François-René, op. cit., p.930

16. Ibid.


rect_acturect_biorect_texterect_encyclo


À propos - contact |  S'abonner au bulletinBiographies de musiciens Encyclopédie musicaleArticles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale | Colloques & conférences |  Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.

Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil,☎ 06 06 61 73 41.

ISNN 2269-9910

bouquetin

Samedi 26 Février, 2022 14:25