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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte —— La musique instrumentale de Beethoven à Schubert.

Les trois premières symphonies de Franz Schubert

Symphonies nos 1, 2 et 3 (D 82 – 125 et 200)

Symphonies nos 1 (D 82), 2 (D 125) et 3 (D 200) ; no 4, « Tragique », D 417 ; no 5, D 485 ; no 6, D 589 ; no 8, « Inachevée », D 759 : no 9, en ut majeur, D 944 : ébauches ; ouvertures.

Franz Schubert

Ces trois premières symphonies, écrites entre 1813 et 1815, « paraissent marcher de pair et former une suite. Elles se ressemblent par la composition classique, par l’entrain, par l’allure vive et légère, par la brièveté. On y trouve déjà un chromatisme surprenant et de ces audaces harmoniques dont Schubert sera plus tard coutumier. Au rebours de ce que font les débutants, elles offrent plus de charme et d’invention dans les mouvements rapides que dans les andante et les adagio. C’est que Schubert a encore peu de vie intérieure, mais de la fougue juvénile en surabondance. […] Schubert ne pouvait rester dans ces jeux, dans cette insouciance et dans ces éclats de rire, mais il est heureux pour nous qu’un musicien de seize à dix-huit ans ait écrit de telles œuvres : elles sont l’expression de la jeunesse ingénue et passionnée. »118

Il ne saurait être question en tout cas de sous-estimer ces premiers essais. Dès la première (D 82 en majeur), qui, à en juger par le soupir de soulagement qui fut celui de Schubert au bas des dernières mesures de la partition, avait mobilisé de sa part beaucoup de temps et d’énergie, on sent un musicien qui a lu et parfaitement assimilé ses classiques, au point de « penser le plus naturellement du monde à partir d’un vocabulaire qui est celui de ses maîtres, [et qui entend démontrer avec éclat son savoir-faire musical] : l’œuvre est parfaitement réalisée, nette, sans bavure, polie comme un sou neuf ; cinq ans d’éducation musicale parmi les petits chanteurs, deux ans de travail avec Salieri aboutissent à ce bel objet de proportions parfaites, chef-d’œuvre de l’apprenti. »119 Détail significatif : pour bien marquer son souci d’architecture générale, notre jeune homme va jusqu’à rappeler le second thème du premier mouvement dans un des thèmes du finale. Autre point très remarquable, surtout dans le premier mouvement : l’importance des bois et des vents en général, utilisés avec un sens déjà très aigu (et assez personnel) de la couleur orchestrale.

Franz Schubert, Symphonie no 1, en majeur, D 82, I. Adagio - Allegro vivace ; II. Andante ; III. Menuetto; IV. Allegro vivace, par le Chamber Orchestra of Europe, sous la direction de Claudio Abado.

Une caractéristique qu’on retrouve dans la deuxième (D 125, en si bémol majeur), écrite pour le même effectif orchestral (avec toutefois deux flûtes au lieu d’une). Celle-ci fait un peu mieux apparaître la personnalité propre du Schubert symphoniste, que ce soit par la souplesse de l’utilisation des lignes mélodiques, par la science de la couleur orchestrale déjà évoquée, et par un climat parfois empreint de lyrisme discret. « Son premier mouvement ne se dégage pas encore d’une certaine convention, mais c’est le plus audacieux sur le plan des modulations et de la forme. Après un andante à variations lumineux et idyllique, puis un menuet curieusement énergique, le presto vivace final trouve son unité dans sa structuration rythmique plus que dans l’originalité de son évolution tonale. »120 Conclusion brillante et dynamique, en tout cas, d’une œuvre qui témoigne des nouveaux progrès réalisés par le compositeur.

Franz Schubert, symphonie no 2, en si bémol majeur, D 125, I. Largo - Allegro vivace, II. Andante, III. Menuetto; IV. Presto, par la Staatskapelle Dresden, sous la direction d'Herbert Blomstedt.

Légèrement plus courte que les deux premières, plus incisive également, la troisième (D 200 en majeur) dégage une étonnante impression de fraîcheur, due sans doute à son unité d’élan et de rythme, et au moins autant à l’importance, encore accrue, qu’y prennent les instruments à vent. Si elle est relativement brève, c’est « parce que les deux thèmes de son premier mouvement, beaucoup plus rythmés et incisifs que dans les symphonies précédentes, entraînent toute l’architecture de la symphonie dans un même dynamisme rapide et désinvolte. »121  Tout va effectivement très vite, après l’adagio maestoso introductif, dans cet allegro con brio parfaitement équilibré etdébordant d’ardeur juvénile. L’allegretto qui suit, avec sa section médiane délicieusement éclairée par le chant de la clarinette, ne traîne pas non plus, mais prend le temps de libérer une atmosphère de tendre lyrisme. Et, après un menuetto vigoureux, « le finale, presto vivace à 6/8, renoue avec la gaîté du début, avec un thème caracolant, d’un élan irrésistible, suivi d’un second qui évoque les clins d’œil de l’opéra bouffe. Quoi de plus spirituel et de plus élégant que ce dernier mouvement d’une brillance toute méditerranéenne (le rythme endiablé de la tarentelle n’est pas loin), pour clore cette troisième symphonie de jeunesse ? »122

Franz Schubert, Symphonie no 3, en majeur, D 200, I. 1. Adagio maestoso, II. Allegretto, III. Menuetto, IV. Presto vivace, par le · Wiener Philharmoniker, sous la direction de Carlos Kleiber.

plumeMichel Rusquet
14 mai 2020
© musicologie.org

Notes

118.  Schneider Marcel, Schubert, « Solfèges », Ed. du Seuil, Paris  1957, p. 143-144.

119.  Massin Brigitte, Franz Schubert, Fayard, Paris 1977, p. 539.

120. Szersnovicz Patrick, dans « Le Monde de la musique » (170), octobre 1993.

121. Massin Brigitte, op. cit., p. 55

122. Parouty Michel, dans Tranchefort François-René (dir.), « Guide de la musique symphonique », Fayard, Paris 2002, p. 691.

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Symphonies nos 1 (D 82), 2 (D 125) et 3 (D 200).

Symphonie no 4, en ut mineur, « Tragique », D 417.

Symphonie no 5, en si bémol majeur, D 485.

Symphonie no 6, en ut majeur, D 589.

Symphonie no 8, en si mineur, « Inachevée », D 759.

Symphonie no 9, en ut majeur, D 944.

Ébauches de symphonies

Ouvertures


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