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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte —— La musique instrumentale de Beethoven à Schubert.

Franz Schubert : fantaisies, variations et diverses pièces pour le piano

L'œuvre instrumentale de Franz Schubert ; la musique de piano.

Wanderer-Fantasie D 760 (opus 15)

Dans la production pour piano à deux mains de Schubert, cette fantaisie en ut majeur, qui ne reçut son surnom de Wanderer-Fantasie qu’à la fin du xixe siècle, est bien la seule qui compte parmi les trois « Fantaisies » figurant à son catalogue. On peut en effet oublier la toute première, celle en ut mineur, D 993, une œuvre de jeunesse qui n’est qu’un démarquage de la fantaisie K 475 de Mozart, de même sans doute que celle en ut majeur, D 605-A, dite « de Graz », dont l’écriture donne à penser que, si elle doit un peu à Schubert, elle serait plutôt l’œuvre de son ami Hüttenbrenner.

Écrite en 1822 sur la commande d’un riche amateur viennois apparemment désireux de mettre en évidence ses qualités de virtuose, la Wanderer-Fantasie est une œuvre d’une puissance impressionnante qui, pour cette raison même, bénéficie d’une faveur toute spéciale de la part des interprètes « forts en doigts ». Ici, Schubert « bombe le torse et fait rouler ses muscles »50, donnant parfois l’impression, dans ces déchaînements de virtuosité qui, dit-on, excédaient ses propres moyens d’exécutant, de n’être plus tout à fait lui-même. Il faut cependant reconnaître à cette œuvre de grande envergure un premier mérite sur le plan formel : avec ses quatre parties enchaînées (allegro con fuoco, adagio, presto, allegro), toutes issues des transformations d’un thème nourricier unique, en l’occurrence une formule rythmique (une noire, deux croches) typiquement schubertienne, elle anticipe la structure cyclique et monothématique qui acquerra ses lettres de noblesse avec Liszt. En outre, au fil de ces pages qui, dans leur ensemble, ne sont pas les plus bouleversantes de leur auteur, on retrouve parfois le « vrai » Schubert que l’on aime. Ainsi, par exemple, de la petite valse qui surgit au milieu du presto, parfait moment d’intimité schubertienne, et, bien sûr, de l’adagio à variations qui a valu à l’œuvre son surnom. Son thème a été en effet emprunté au Lied « Der Wanderer » composé en 1816 et, derrière cette musique d’une expression si intense, on croit réentendre les paroles qui sous-tendaient cette mélodie aux couleurs funêbres : « Le soleil ici me semble si froid, les fleurs flétries, je suis las de la vie… je me sens étranger partout. »

Franz Schubert, Wanderer-Fantasie D 760 (opus 15), I. Allegro con fuoco ma non troppo , II. Adagio, III. Presto, IV. Allegro, composée en 1822, publiée en 1823, dédicacée à Em. Edler von Liebenberg-Zittin, par Sviatoslav Richter.

Variations

Dans le genre de la variation pour piano, le meilleur de ce qu’a laissé Schubert se situe dans ses œuvres à quatre mains. Pour autant, aucun fervent du musicien ne laissera passer l’occasion d’entendre, ne serait-ce qu’une fois, son unique variation sur une valse de Diabelli (D 718). En regard du monument édifié par Beethoven en réponse à l’invitation du fameux éditeur, la contribution de Schubert n’est qu’un « petit rien », mais, dans son ut mineur aux harmonies subtiles, ce morceau plein de mélancolie porte bien sa signature.

Franz Schubert, Variation sur une valse de Diabelli, en do mineur, D 718, par Paul Badura-Skoda.

Surtout, on a deux cahiers qui, bien que remontant à ses jeunes années (1815 et 1817), mériteraient d’être mieux connus : ce sont d’abord les dix variations en fa majeur, D 156, des variations qui, quoique purement ornementales, sont bien plus que des coquetteries virtuoses comme il s’en faisait tant à l’époque ; et par ailleurs les treize variations sur un thème de Hüttenbrenner, D 576, plus modestes que les précédentes, moins portées sur la virtuosité et les fioritures, mais riches d’une invention plus subtile encore, et en particulier les sixième et neuvième d’une musicalité plus profondément schubertienne.

Franz Schubert, Treize variations sur un thème de Hüttenbrenner, D 576, par Sviatoslav Richter, Enregistrement public.

 

Diverses pièces

Citons ici, dans leur ordre de composition qui s’échelonne de 1812 à 1824, diverses pièces dont aucune ne saurait être totalement négligée : l’andante en ut majeur D 29, issu d’une première tentative de quatuor à cordes, et déjà d’une gravité étonnante ; l’adagio en sol majeur D 178, petite merveille ouvrant une route qui, un jour, conduira aux impromptus ;

Franz Schubert, Adagio D 178, par Vladimir Feltsman.

Les deux scherzos D 593, le premier assez frivole, le second d’une expression beaucoup plus sombre ;

Franz Schubert, Scherzo D 593, no 2, par Radu Lupu.

l’andante en la majeur D 604, une très belle page, « à la fois rêveuse et ardente, vigoureuse et tendre »51;

Franz Schubert, Andante D 604, par Sviatoslav Richter, enregistrement de concert.

la marche en mi majeur D 606, une pièce étrangement tourmentée et tendue, habitée d’une forme de hargne ; enfin la mélodie « hongroise » D 817, cette mélodie au charme entêtant que Schubert, lors d’un séjour chez le comte Esterhazy, entendit chantonnée par une servante, et que l’on retrouvera dans le final de son divertissement « à la hongroise » pour piano à quatre mains.

Franz Schubert, Mélodie hongroise D 817 par Alfred Brendel.

 

plumeMichel Rusquet
2avril 2020

© musicologie.org

Notes

50. Bellamy Ollivier, dans « Le Monde de la musique  (242), avril 2003.

51. Massin Brigitte, Franz Schubert, Fayard, Paris 1977, 744.

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Mercredi 1 Avril, 2020 23:17