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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte —— La musique instrumentale de Beethoven à Schubert.

Les quatre impromptus D 899 de Franz Schubert

L'œuvre instrumentale de Franz Schubert ; la musiqe de piano : les sonates —— les pièces lyriques : Six Moments musicaux, D 780, opus 94, Allegretto en ut mineur, D 915, Quatre Impromptus, D 899, opus 90, Quatre Impromptus, D 935, opus 142, Trois Klavierstücke, D 946.

Ce premier cahier d’Impromptus, que Schubert composa très probablement entre l’été et l’automne de 1827, nous livre, tout comme le suivant qui lui est proche à maints égards, une sorte de quintessence de son art dans le domaine pianistique. Dans cette forme libre de toute contrainte, et dans un espace-temps plus lâche que celui des Moments musicaux, le musicien semble avoir trouvé le cadre idéal à l’expression de son génie naturel, celui qui fait tant merveille dans l’univers du Lied. On a d’ailleurs observé que ces impromptus s’apparentent souvent au Lied dans leur construction tripartite et dans leur écriture, et il y a lieu de penser que, dans l’esprit même de Schubert, le rapprochement allait plus loin : « Puisqu’un Lied est la plupart du temps une œuvre en soi, où tout doit être donné dans un temps limité et dans le cadre musical cerné par le texte à servir : climat, décor, couleur affective, contenu psychologique, pourquoi ne serait-ce pas possible pour une page instrumentale libérée d’un texte littéraire ? »43 D’où, peut-être, la magie singulière de ces deux séries d’Impromptus : à peine les a-t-on entendues qu’on a envie de les élire pour l’île déserte.

Parfaite illustration de cette proximité avec le monde du Lied, le premier de la présente série (allegro molto moderato en ut mineur), évoque une ballade chantée. Il part d’une sorte de marche funèbre, mélodie qui va être harmonisée, amplifiée, constamment renouvelée dans son expression comme dans ses éclairages (majeur / mineur), et restera omniprésente « sans que nous quittions ce climat doucement obsessionnel, litanique et incantatoire. C’est l’une des expressions suprêmes de Schubert-le-voyageur, tout imprégnée d’une sombre fatalité, que soulignent les triolets d’accompagnement, volontairement uniformes comme ceux du Roi des Aulnes, ou encore de lourdes basses en octaves, d’une majesté sépulcrale. »44

Dans le deuxième (allegro en mi bémol majeur), tout n’est en revanche que légèreté et fluidité : des gammes étincelantes, en triolets de croches égales, ondulent en grandes vagues sur un vaste registre du clavier et traversent tout un prisme de modulations, avant de faire place à un épisode central en si mineur, aux accents violents, qui créera d’ailleurs la surprise en s’invitant à nouveau, avec toute la lourdeur de ses accords martelés, à la fin du morceau.

Franz Schubert, Impromptu D 899 no 1 (opus 90), en do mineur, allegro molto moderato, par Radu Lupu (1983).

 

Franz Schubert, Impromptu D 899 (opus 90) no 2, en mi bémol majeur, allegro, par Mitsuko Uchida (1997).

Avec le troisième (andante en sol bémol majeur), qui reste un incontournable dans toute anthologie des plus belles pages romantiques pour piano, Schubert nous offre un de ses chants les plus limpides et les plus inspirés : maintenu presque constamment dans un délicat pianissimo qui ne fait que renforcer son caractère de nocturne, il déroule une sublime mélodie soutenue par un tissu ininterrompu de croches qui, dans l’ouate des bémols, en fait une effusion d’une irréelle beauté, juste contrariée, dans la partie centrale, par quelques accents plus ténébreux.

Le quatrième (allegretto en la bémol mineur / majeur), qui joue à merveille de l’ambiguïté majeur / mineur chère au musicien, renoue avec la fluidité et la légèreté du deuxième, mais avec un langage plus audacieux et une expression plus personnelle. Avant tout, on se laisse prendre aux « fraîches cascades d’accords brisés de sa partie principale, qui rappellent celles du Lied « Auf dem Wasser zu singen », et qui au bout de deux pages, ayant passé du mineur au majeur, tiennent lieu d’accompagnement à une ardente mélodie, énoncée au ténor par la main gauche. Mais les sensibles élisent d’emblée le trio (en ut dièse mineur), élégiaque et dolent, avec ce chant d’accords battus, ressassant une peine inguérissable et la creusant, ravivant sa blessure en soudains crescendos, pour retomber sans force. Rien n’est plus étrange, après un tel moment, que la reprise de la partie principale, de ses ruissellements, de ses chatoiements de lumière et d’eau. »45

Franz Schubert, Impromptu D 899 (opus 90) no 3, en sol bémol majeur, par Krystian Zimerman (1991).

 

Franz Schubert, Impromptu D 899 (opus 90) no 40, en la bémol mineur, par Rudolf Buchbinder (2013).

 

plumeMichel Rusquet
29 mars 2020

© musicologie.org

Notes

43. Massin Brigitte, Franz Schubert, Fayard, Paris 1977, p. 1208.

44. Harry Halbreich, dans Tranchefort François-René (dir.), « Guide de la musique de piano et de clavecin », Fayard, Paris 1998, p. 677.

45. Sacre Guy, La Musique de piano, Robert Laffont, Paris 1998, p. 2503.

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