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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte —— La musique instrumentale de Beethoven à Schubert.

Ludwig van Beethoven

La symphonie no 9, opus 125, de Ludwig van Beethoven

Ludwig van Beethoven

D’une dimension totalement hors normes pour l’époque, avec son quatrième et dernier mouvement dépassant à lui seul les vingt-cinq minutes, d’une construction qui l’est au moins autant, avec en plus cette audace proprement révolutionnaire consistant à amalgamer les voix humaines et celles de l’orchestre dans le final : tout est exceptionnel dans cette symphonie avec chœurs qui représente une sorte de sublimation de l’art du compositeur. Bien sûr, sa célébrité et sa popularité doivent beaucoup au message universaliste de l’Ode à la joie de Schiller, que Beethoven semble avoir porté en lui toute sa vie, puisqu’il avait déjà projeté de le mettre en musique à l’âge de vingt-deux ans. Pendant bientôt deux siècles en effet, cette œuvre « a forgé dans la conscience publique un message autour duquel les hommes se retrouvent et s’unissent. Par-delà les symboles et les devises multiples, parfois même contradictoires, qu’ils ont librement voulu lire dans la « Neuvième », symbole de la Révolution française, ou des révolutions, symbole d’une Europe unifiée, d’une libre religion, d’une république platonicienne ou, simplement, appel, païen, chrétien, mystique ou rationnel, à l’amour et à la fraternité des hommes, se dégage son message universel, celui du perpétuel avenir d’une humanité veillant. »229  Mais cette symphonie si longuement mûrie, puisque ébauchée dès 1817 et achevée en février 1824, ne prend toute sa valeur que considérée dans l’intégralité de ses quatre vastes mouvements, seule façon de mesurer l’effort extraordinaire de création et de synthèse qu’elle représente, la grandeur incomparable de sa rhétorique, et la singularité de sa construction et de son organisation thématique, qui semblent obéir à un seul et même but : préparer l’explosion jubilatoire de l’hymne final.

La « Neuvième » s’ouvre dans le mystère d’un flottement tonal suggérant l’image d’un chaos originel, puis, très vite, « c’est le rythme qui prépare l’émergence en pleine lumière du thème principal, qui lui donne son profil, sa singularité, son efficacité et son élan. Le [premier] mouvement se présente à la perception comme un seul et immense développement d’un seul tenant, une trajectoire née de presque rien mais sans déviation, irréversible, et où les proportions sont orientées vers le resserrement et la progression de la tension. Au fur et à mesure de sa progression, la vision musicale s’articule à travers une masse d’énoncés aux contrastes acérés et de la plus extrême intensité… »230 Le molto vivace qui vient en seconde position, en réalité un scherzo aux proportions démesurées, conserve le même élan et la même unité organique. Des liens de rythme et de tonalité le relient à l’allegro initial, et son développement même, par son rythme binaire et son diatonisme mélodique, fournit déjà une anticipation de l’Hymne à la joie. Avec l’admirable adagio molto e cantabile, construit sur deux formes à caractère mélodique (adagio et andante moderato) étroitement imbriquées, l’élan fait place à la contemplation et à la méditation. C’est « le mouvement le plus secret et, musicalement, le plus accompli. Ses deux visages ne sont pas antagonistes, mais, comme deux expressions différentes d’un même être, ils s’éclairent tour à tour. Variations, ou plutôt strophes entrecroisées d’un poème qui oscille entre la nostalgie et la sérénité, sans se confondre, les deux temps, adagio et andante, projettent l’un sur l’autre leurs ombres et leurs clartés, incrustés l’un dans l’autre. »231 Puis, sans transition, le gigantesque finale est annoncé par un trait foudroyant des instruments à vent et des timbales, ouvrant sur une vaste introduction dans laquelle vont être tour à tour évoqués les mouvements antérieurs. Un dialogue saisissant s’instaure entre cordes graves et bois, que les cordes vont conclure en exposant pour la première fois le thème de l’Ode à la joie. Ainsi, « par les irruptions provoquées du souvenir, Beethoven résout génialement l’intégration organique du finale dans l’œuvre et, par les récitatifs, intentionnellement privés de parole, mais prégnants de parole dans leur structure musicale, il prépare l’apparition des voix, les intègre à l’orchestre. »232  Après quoi « l’irruption du chœur et des voix solistes, la musique « turque » alla marcia, les dissonances, les montées vers l’aigu, les extases sur de vastes accords pianissimo, les alternances et les fusionnements de l’orchestre, la double fugue explorent toutes les sphères possibles et permettent au compositeur de s’affranchir des modèles fournis par la cantate, l’oratorio ou l’opéra. »233 Tout cela, comme le souligne André Boucourechliev, au seul service de la glorification d’une idée, une idée qui, « éthique autant que musicale, dépasse le domaine de l’esthétique, pénètre dans celui de l’incantation collective : le finale de la neuvième symphonie, dans sa structure même, porte, au-delà des salles de concert, sa destinée d’hymne ».234

Ludwig van Beethoven, Symphonie no 9 en re mineur opus 125, par le Philharmonia Orchestra, sous la direction de Wilhelm Furtwängler (Lucerne 1954).
Ludwig van Beethoven, Symphonie no 9 en re mineur opus 125, par la soit Staatskapelle Dresden, sous la direction d'Herbert Blomstedt.

Les symphonies : no 1, en ut majeur, opus 21 ; no 2, en majeur, opus 36 ; no 3, « héroïque », en mi bémol majeur, opus 55 ; no 4, en si bémol majeur, opus 60 ; no 5, en ut mineur, opus 67 ; no 6, en fa majeur, « Pastorale », opus 68 ; no 7, en la majeur, opus 92 ; no 8, en fa majeur, opus 93 ; no 9, en mineur, opus 125.

plumeMichel Rusquet
1er janvier 2020
© musicologie.org

Notes

230.  Szersnovicz Patrick, dans « Le Monde de la musique » (270), novembre 2002.

231. Boucourechliev André, Beethoven, « Solfèges », Éditions du Seuil, Paris 1963, p. 118.

232.  Ibid., p. 119.

233.  Szersnovicz Patrick, op. cit.

234.  Boucourechliev André,  op. cit., p. 121.


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