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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte : la musique instrumentale en Allemagne de Beethoven à Schubert.

Les trios avec piano opus 70 (nos 5-6), de Ludwig van Beethoven

La musique de chambre de Ludwig van Beethoven.

Les trios avec piano : opus 1 (nos 1-3) ; opus 11 ; opus 70 ; opus 97.

beethoven

Écrits en 1808 et dédiés à la comtesse Erdödy, ces deux trios sont, eux, à marquer d’une pierre blanche. Jean Witold, qui leur accordait une place privilégiée au sein de la production beethovénienne, écrivait à leur propos : « Ils dépassent de loin, en substance, les aimables assauts d’éloquence ou de virtuosité d’œuvres similaires… » Il est vrai que, comme le suivant (trio « à l’Archiduc »), ce sont des œuvres de la pleine maturité, dans lesquelles le compositeur atteint un rare point d’équilibre et d’expression poétique.

Composé de trois mouvements de grande ampleur, l’opus 70 no 1 en majeur, souvent nommé Geister-Trio, « Trio des esprits » ou « des fantômes », parce que la substance thématique de son deuxième mouvement provient d’un cahier d’esquisses pour une scène de sorcières dans un opéra (Macbeth) jamais réalisé, en est sans doute l’illustration la plus remarquable. C’est une œuvre énigmatique, d’une extraordinaire densité poétique, entièrement  construite autour de son génial largo assai ed espressivo, longue évasion dans un monde nocturne traversé de visions fugitives et d’ombres menaçantes. Les mots, en vérité, ne sauraient exprimer les impressions ressenties à l’écoute de cette étrange « cantilène mélancolique sans forme très définie, aux contours anguleux et d’un sentiment indécis ».186  Un voile mystérieux enveloppe cette musique aux palpitations secrètes, où quelques frémissements de lumière alternent avec les moments d'assombrissement, et où, entre piano et cordes, le traitement harmonique lui-même crée un univers « impressionniste » plein de couleurs changeantes et de reflets fugaces. On en oublierait presque les deux mouvements extrêmes, qui sont pourtant admirables, notamment le premier, construit sur deux thèmes fortement contrastés, qui donne lieu à une remarquable « conduite polyphonique, avec l’alternance permanente de culminations dramatiques, de retraits ppp, de fugitives effusions cantabile ».187

Ludwig van Beethoven, Trio avec piano opus 70 no 1 (no 5) en majeur, « Trio des esprits », par Daniel Barenboim (piano), Pinchas Zukerman (violon), Jacqueline du Pré (violoncelle).

Bâti en quatre mouvements, tous de tempo relativement modéré, et sans véritable mouvement lent, l’opus 70 no 2 en mi bémol majeur, dans lequel certains ont vu une forme de retour à la simplicité haydnienne, n’a pas le même impact, bien qu’il soit lui aussi remarquable par la richesse de l’écriture et l’équilibre de la forme. Introduit par un poco sostenuto tout de recueillement, l’allegro ma non troppo initial, d’une inspiration généreuse, évolue dans un climat mêlant vigueur et mélancolie. Suit un premier allegretto d’une franche originalité avec ses martèlements obsédants et, tout aussi envahissante, la répétition quasi incessante d’une même petite figure rythmique. Très coulant au contraire, le second Allegretto « revient à la forme extérieure du menuet, bien qu’il s’agisse plutôt d’un intermezzo du genre de ceux qu’affectionnera Brahms. Articulé en périodes librement enchaînées, cet étrange mouvement, symétrique et détendu, centré sur l’élément mélodique, annonce la musique de Schubert, en particulier dans la section trio opposant, par une alternance de modulations typiques du futur Schubert, les cordes au piano, dans une harmonie d’abord à trois voix. Le finale (allegro), énergique, aérien, s’éloigne plus encore des conventions […] et semble conférer à l’ensemble l’élan rythmique, le poids expressif et l’invention d’une apothéose. Selon Czerny, le compositeur aurait utilisé dans ce finale d’authentiques mélodies populaires croates entendues lors d’un voyage en Hongrie. »188

Ludwig van Beethoven, Trio avec piano opus no 2 (no 6), en mi bémol majeur, par Eugene Istomin, Isaac Stern et Leonard Rose, Paris 1970.

plumeMichel Rusquet
3 décembre 2019

© musicologie.org

Notes

186. Tranchefort François-René, Guide de la musique de chambre, Fayard, Paris 1998, p. 71.

187. Ibid.

188. Szersnovicz Patrick, dans « Le Monde de la musique » (275), avril 2003.

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Mardi 3 Décembre, 2019 15:03