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Paris, Théâtre des Champs-Élysées, 8 décembre 2019 —— Frédéric Norac.

Mozart à l'Américaine, Le Nozze di Figaro vues par James Gray

Théâtre des Champs-Élysées, Le nozze du FIogaro. Photographie © Vincent Pontet.

Les chefs-d’œuvre, c’est bien connu, se portent tout seuls. Tant mieux pour James Gray qui sans doute l’a bien compris et a laissé la musique de Mozart prendre en charge la Folle Journée de Beaumarchais, génialement relue par Da Ponte. À tout prendre, c’est un moindre mal. Un décor construit « réaliste », fonctionnel mais pas très esthétique, comme on n'en fait plus chez nous depuis vingt ans (quatre en fait dont celui du troisième acte dans un style plutôt Art-Déco), de beaux costumes XVIIIe avec une petite touche espagnole (c’est du Christian Lacroix tout de même), quelques trivialités qui font modernes et pas mal de contresens : l’occorrente que va prendre le comte pour ouvrir le cabinet où se cache Cherubino n’est pas un pied-de-biche, mais une tenaille et un marteau. Le comte d’Almaviva n’est pas un vulgaire cambrioleur mais un Grand d’Espagne et bien que chauve il ne devrait pas se promener sans perruque. Ce n’est pas un soudard non plus et il n’a aucune raison de violer sa propre femme quand il la croit infidèle et qu’elle ne demande de toute façon qu’à se donner à lui. Quitte à être littéral, il faudrait essayer de comprendre l’époque. Il est bien difficile de distinguer dans cette mise en scène efficace mais peu subtile ce que le cinéaste a bien pu apporter de personnel, sinon peut-être cette touche d'humour un peu appuyée qui faisait glousser toutes les trois minutes une spectatrice enchantée derrière nous. Sa direction d’acteurs ne se voit guère et laisse plutôt l’impression que ce sont les chanteurs qui ont adapté leurs personnages à leur personnalité. Il est vrai qu'il débutait à l'opéra et qu'il a affirmé lui-même que les Noces n'étaient pas vraiment sa tasse de thé et qu'il aurait préféré un Don Giovanni.

Théâtre des Champs-Élysées, Le nozze du FIogaro. Photographie © Vincent Pontet.

Jérémie Rhorer, lui, connaît bien son Mozart et ses Noces. Il les a déjà dirigées, notamment à Aix en 2012. C’est souvent un peu vite et a l’inconvénient de ne pas laisser aux chanteurs le temps de donner de la voix mais globalement cela fonctionne et suffit à mouvoir le plateau.

Du côté de la distribution, une fois n’est pas coutume, on saluera d’abord d'excellents petits rôles, tous remarquablement caractérisés : l’Antonio de Matthieu Lécroart, le Basilio de Matthias Vidal, le Don Curzio de Rodolphe Briand, la Barbarina de Florie Valiquette et la Marcelline de Jennifer Larmore, hélas privée de son air du quatrième acte pour des raisons de timing sans doute. Dans le rôle-titre, Robert Gleadow manque de charme et ne chante pas suffisamment. Son baryton-basse pourtant bien timbré pâlit auprès de la basse colorée et puissante du Bartolo de Carlo Lepore dont la "Vendetta" est un exemple de style et d’articulation italienne. Remplaçant Sabine Devieilhe initialement prévue, Anna Aglatova ne pouvait que décevoir. Elle assure pourtant mais manque un rien de piquant et son air nocturne du dernier acte n’a pas cette touche extatique qui devrait nous élever au paradis du désir mozartien. Le Cherubino d’Éléonore Pancrazi, bien chantant, est un rien surjoué, mais c’est un peu la marque de fabrique de cette production. D’évidence, la Comtesse n’est pas un rôle pour Vannina Santoni. Si le médium charnu et chaleureux confère beaucoup de noblesse au personnage, notamment dans les récitatifs, dès que la tessiture s’élève, la chanteuse détimbre, perd la justesse et donne l’impression d’être sur le fil. C’est dommage car elle est scéniquement idéale d’élégance et de sobriété. Stéphane Degout est un Comte solide entièrement sur le versant autoritaire auquel on souhaiterait parfois un peu plus de nuances et de variété. Bref, un plateau de bon niveau, sinon absolument idéal et à qui au final le public de cette ultime représentation fait un triomphe.

Théâtre des Champs-Élysées, Le nozze du FIogaro. Photographie © Vincent Pontet.

Il faut dire que les Noces sont assez rares sur les plateaux parisiens où on ne les a pas entendues depuis 2010, ici même dans la production qui réunissait Jean-Claude Malgoire et Pierre Constant et la même année à l'Opéra Bastille, dans la reprise peu convaincante de la production mythique Giorgio Strehler.

Spectacle capté et retransmis sur France 5 le 14 décembre et sur  France Musique le 28 décembre.

Frédéric Norac
8 décembre 2019

© musicologie.org


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Mardi 10 Décembre, 2019 4:24