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Théâtre des Champs-Élysées, 19 octobre  2019 —— Frédéric Norac.

Magie noire aux Champs-Élysées : Le Freischütz par la Cie 14:20 et Laurence Equilbey

Le Freischütz au Théâtre des Champs-Élysées. Photographie © Vincent Pontet.

Paris n’avait pas vu le Freischütz, du moins dans version originale, depuis la production d’Achim Freyer au Théâtre du Châtelet en 1988. Cette nouvelle production, venue de Caen où elle a été créée en février dernier, était donc très attendue. Pour recréer l’esprit du Romantisme allemand dont l’opéra de Weber est sûrement l’œuvre la plus emblématique, la Compagnie 14:20 s’est surtout concentrée sur le climat fantastique de l’œuvre plutôt que sur ses aspects pittoresques. C’est dans une nuit noire et hantée où les êtres réels et les esprits se confondent par la magie de la vidéo et des lumières que Clément Debailleul et Raphaël Novaro ont choisi de mettre en scène le cauchemar de Max, le tireur plein de doutes qui se voit obligé de recourir aux forces du Mal pour ne pas perdre sa fiancée. Ici l’illusion est reine. Réalité, rêve et fantasme se confondent dans des jeux de miroirs et de tableaux fantomatiques en grisaille, qui trompent le spectateur et imposent aux personnages des visions auxquelles ils ne peuvent échapper, tel le rêve où Agathe se voit morte et que l’optimisme d’Ännchen ne peut parvenir à dissiper. On est ébloui par la virtuosité avec laquelle les metteurs en scène font apparaître ou disparaître un groupe entier de personnages ou suggèrent d'inquiétants arrières plans. Mais il est vrai que ce n’est pas sans un rien de confusion, car, à force de multiplier les leurres, la mise en scène finit par perdre le spectateur et tout dans cette vision à la fois minimaliste et profuse ne fait pas sens. Le recours à la vidéo notamment dans la scène de la Gorge aux Loups est une grande réussite, car elle permet au visuel de se fondre dans la montée en puissance musicale mais les trucages et la pénombre systématique demandent aussi un certain effort oculaire qui finit par fatiguer. L’idée de faire incarner Samiel par un danseur aussi virtuose soit-il et défiant la gravité grâce à un étonnant jeu de suspension, ne suffit pas à offrir à ce personnage démoniaque le potentiel de terreur qu'il devrait provoquer. Les balles maudites symbolisées par des boules lumineuses qui se jouent derrière Agathe à chacun de ses airs sont un peu superflues et au mieux parasitent deux des grands moments de la partition. Au final lorsque se dissipe enfin le brouillard maléfique, il ne reste plus qu’un univers gris et sans relief et la conclusion malgré quelques beaux mouvements d’ensemble finement chorégraphiés, et l'apparition quasi irréelle de l'Ermite, reste assez platement morale et les deux velums miroitants comme une rivière sous la lune qui se déploie à l'avant-scène et dont on se demande ce qu'ils peuvent bien symboliser.

Le Freischütz au Théâtre des Champs-Élysées. Photographie © Vincent Pontet.

À la tête de son orchestre Insula, sur instruments d'époque, Laurence Equilbey donne une lecture toute en finesse de la partition qui privilégie la qualité des timbres et la richesse des coloris sur la brillance instrumentale pure, avec des bois et des cuivres d'une grande délicatesse, en parfait accord avec la vision estompée de la mise en scène. Le plateau vocal est sinon idéal, du moins de très haute volée, dominé par le somptueux soprano lyrique de l’Agathe de Johanni van Oostrum aux aigus d’une suavité captivante et au phrasé d’une belle sensibilité. Lui fait pendant l’Ännchen piquante de Chiara Skerath dont le timbre est peut-être trop proche du sien et déjà un peu corsé pour ce rôle léger, mais qui offre les quelques sourires de cette version très sombre. Stanislas de Barbeyrac trouve en Max un rôle à la mesure de son ténor central, désormais très élargi et qui semble le promettre à des rôles plus dramatiques encore du répertoire allemand. Le Kaspar de Vladimir Baykov possède toute la noirceur voulue pour son rôle de malfaisant cynique. Christian Immler s’impose avec toute la noblesse nécessaire dans le rôle épisodique de l’Ermite et Daniel Schumtzhard donne beaucoup de relief à celui d'Ottokar. À un petit manque d’énergie près dans le chœur des Chasseurs de l’acte III, le chœur Accentus est absolument exemplaire de clarté et d'homogénéité.

Le Freischütz au Théâtre des Champs-Élysées. Photographie © Vincent Pontet.

Au final, si la distribution se taille un succès mérité, la mise en scène est reçue de façon mitigée par un public qui, sans doute, attendait une vision plus conforme aux connotations folkloristes du livret. Mais souvent, à Paris, plus que le consensus, la contestation est le signe d'un spectacle original et de qualité.

Prochaines représentations au TCE les 21 et 23 octobre puis à Rouen les 15 et 17 novembre.

Spectacle enregistré et diffusé sur France Musique le 9 novembre à 20h.

Captation réalisée par Arte pour diffusion en 2020.

 

Frédéric Norac
19 octobre 2019
 


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