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Paris, Opéra-Comique, 13 mai 2019 —— Frédéric Norac.

La sublime Manon de Patricia Petibon

Manon, Opéra-Comique de Paris. Photographie © Stefan Brion.

Qui est la Manon de Massenet ? Une innocente enfant, pervertie par les hommes et son goût de la vie et de l’argent faciles, ou une rouée que sa soif de plaisir entraîne dans une chute irrémédiable ? Dans cette production, venue de Bordeaux où elle a triomphé en avril dernier, Olivier Py ne décide pas mais il dresse le portrait d‘un être multiple dont chaque métamorphose au fil des actes offre une image crédible et se résout au final dans l’émergence d’une figure bouleversante de femme martyre, créature de misère usée par la vie, qui apparait à Des Grieux dans la robe de lumière qu’elle portait au moment de sa gloire et qu’il couronne dans un ultime geste d’amour et de soumission, avant de s’enfuir dans les ténèbres du fond de scène.

La crudité de la mise en scène, baignée dans une ambiance de débauche systématique, parfois jusqu’à saturation, offre un écrin violemment bariolé à l’extraordinaire incarnation de Patricia Petibon. Dès le premier acte, le décor est planté. Nous sommes dans un hôtel de passe où l’héroïne, en nuisette sous son pudique manteau de novice, devient le jouet à demi consentant d‘un groupe d‘hommes avides, sous les yeux complaisants de son cousin Lescaut (Jean-Sebastien Bou) tandis que le trio féminin (Poussette, Javotte et Rosette, transformées en pures et simples prostituées) vide sa valise des vêtements civils dont leur future compagne n’aura plus besoin.

Manon, Opéra-Comique de Paris, Manon (Patricia Petibon). Photographie © Stefan Brion.

Au deuxième acte, la jeune femme amoureuse qui trahit Des Grieux (« pour son bien ») dans un « Adieu à la petite table » presque murmuré, image de sa « fragilité », paraît d’une totale sincérité de même que la pécheresse repentie hautement théâtrale de Saint-Sulpice ou la triomphante courtisane du Cours-la-Reine, tout comme la dominatrice cynique en travesti masculin de l’Hôtel de Transylvanie.

Patricia Petibon incarne toutes ces femmes avec une totale évidence, tour à tour naïve, coquette, séductrice ou pathétique, éblouissante au plan vocal comme au plan théâtral et déployant à plaisir tout l’éventail des registres et toutes les nuances exigées par ce rôle complexe qu’elle porte à un niveau d’incandescence digne d’une Lulu ou d’une Traviata.  Face à elle, le Des Grieux de Frédéric Antoun n’en peut mais, il paraît un peu piétonnier, probe et convaincant certes dans les aspects dramatiques du rôle mais un peu moins dans le lyrisme, faute d’un timbre plus séduisant.

Le reste de la distribution entièrement francophone ne mérite que des éloges jusqu’au plus petit rôle tant sont caractérisés avec une totale évidence la galerie de personnages — le Guillot de Damien Bigourdan, le Brétigny de Philippe Estèphe et le Des Grieux père de Laurent Alvaro — qui fait l’arrière-plan social du drame, avec un soin tout particulier apporté au mélodrame auquel, pour la plupart, sauf dans les ensembles, ils sont cantonnés.

Dans la fosse, Marc Minkowski joue également le jeu d’un certain « vérisme » en insistant dès l’ouverture sur la verdeur des timbres et privilégiant le théâtre sur la pure musicalité ou plutôt la mettant totalement au service du drame.

Excellents bien sûr les chœurs de l’Opéra de Bordeaux et les Musiciens du Louvre sous sa direction diligente et engagée. On pourrait certes faire la fine bouche sur certains détails de la mise en scène, parfois un peu appuyée ou complaisante, mais on doit reconnaître qu’elle rend pleinement justice a la puissance et à la richesse d’une œuvre dont elle révèle l’incroyable modernité ou plutôt l’intemporalité et réalise pleinement une vision actuelle du chef-d’œuvre de Massenet, la plus convaincante qu'on ait vue à Paris depuis une vingtaine d’années. 

Prochaines représentations les 16, 19 et 21 mai.

Manon, Opéra-Comique de Paris, Manon (Patricia Petibon), Le chevalier des Grieux (Frédéric Antoun). Photographie © Stefan Brion.

 

Frédéric Norac
13 mai 2019

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