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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte : La musique instrumentale de Wolfgang Amadeus Mozart

Introduction ; musique pour clavier ; musique de chambre ; musique symphonique ; musique concertante.

Les œuvres concertantes pour instruments à vent de Mozart

 

Concertos pour flûte

On en connaît l'histoire : début 1778, lors de son séjour à Mannheim, Mozart se vit commander par un riche dilettante hollandais dénommé Dejean « trois petits concertos faciles et courts ainsi que deux quatuors pour la flûte ». Commande qu'il n'exécuta qu'en partie et, dit-on, en se faisant violence : il livra en effet trois quatuors et n'écrivit qu'un seul concerto — celui en sol majeur K 313 —, plutôt long et difficile d'ailleurs, s'arrangeant pour en livrer un second — celui en ré majeur K 314 — obtenu par transcription d'un concerto pour hautbois qu'il avait écrit peu de temps auparavant. On invoque à qui mieux mieux la fameuse phrase qu'il écrivit dans une lettre à son père (« Il faut que j'écrive incessamment pour cette flûte que je ne puis souffrir ») pour expliquer ses réticences. Peut-être, bien que la musique semble le démentir, n'était-il que peu attiré par l'instrument, mais peut-être faut-il chercher ailleurs le pourquoi de ce soudain blocage : le jeune homme venait de tomber follement amoureux de la belle Aloysia, ce qui devait mobiliser en priorité et son temps et son esprit…

Quoi qu'il en soit, il nous a laissé là deux petits chefs-d'œuvre de la littérature pour l'instrument. Ils en exploitent remarquablement les qualités de timbre et, s'ils s'inscrivent à plein dans l'esthétique galante et dénotent une nette influence française, ils dégagent une séduction à laquelle on échappe difficilement, d'autant que celle-ci dépasse souvent la simple grâce mélodique. On pense ici en particulier à l'atmosphère de tendresse nostalgique de l'Adagio non troppo du K 313 en sol majeur, mais aussi à la fraîcheur et à la verve spirituelle du Finale du K 314 en re majeur, dont le thème principal reviendra plus tard dans un air célèbre de l'Enlèvement au sérail.

Concerto en sol majeur K 313 (II. Adagio non troppo), par Emmanuel Pahud et le Berliner Philharmoniker, sous la direction de Claudio Abbado.

En marge de ces deux concertos, on se doit de ne pas oublier deux belles pièces isolées pour flûte et orchestre. L'une, le Rondo en re majeur K 373, n'est autre que la transcription du Rondo K 373 pour violon et orchestre évoqué plus haut. L'autre, l'Andante en ut majeur K 315, qui date comme les concertos de 1778, passe pour avoir été écrite par Mozart à la demande du sieur Dejean pour remplacer l'Adagio non troppo du concerto K 313 que ce dernier aurait trouvé trop difficile. D'une grande économie de moyens, cette page gracieuse émeut presque autant que ledit Adagio par son intensité poétique.

Concerto pour flûte et harpe

Il est de bon ton de porter un regard condescendant sur ce concerto en ut majeur K 299 que Mozart écrivit en 1778, peu après son arrivée à Paris, pour le comte de Guines, qui était un bon flûtiste amateur, et sa fille, excellente harpiste à laquelle Wolfgang donna des cours de composition. Certes, Mozart n'y a guère eu d'autre ambition que le plaisir immédiat des auditeurs, et, dans ce but, s'est plié aux goûts d'un pays (la France) et d'un certain milieu (la société aristocratique). Mais son génie de l'invention mélodique et des couleurs instrumentales fait merveille, donnant à l'œuvre ce charme incomparable qui lui a valu une immense popularité. Et n'a-t-on pas tort de réduire ce concerto à un exercice mondain et frivole ? « Il faut avoir l'esprit bien obtus pour ne pas sentir ce que cette musique recèle de mélancolie. On a dit de l'Andantino central qu'il était charmant et idyllique ; mais écoutons bien le thème, au rythme si pénétrant, n'est-il pas empreint de tristesse ? Toutes ces fêtes, cet apparat, ces réjouissances mondaines, c'est très beau ! Mais quelle vanité ! Et ce n'est pas le Finale — une gavotte bien française — qui remet vraiment le cœur en joie : c'est capiteux comme du champagne, mais la mousse a tôt fait de s'évaporer, laissant vide la coupe de cristal… »129

Concerto pour flûte et harpe en ut majeur K 299 (II. Andantino) par Emmanuel Pahud, Marie-Pierre Langlamet, et le Berliner Philharmoniker sous la direction de Claudio Abbado.

Concertos pour basson et pour hautbois

De juin 1774, l'unique concerto pour basson, K 191 en si♭majeur, que nous possédions de Mozart (car il en aurait écrit trois autres l‘année suivante) est une œuvre modeste qui s'inscrit en plein dans l'esthétique galante de son temps. « La mélodie s'épanouit à plaisir et, dans ce concerto, le soliste-roi a tout loisir de mettre en valeur l'instrument qui, au cours du XVIIIe siècle, venait de se perfectionner mais n'avait pas encore reçu sa forme définitive. »130 Il faut lui reconnaître de belles qualités de fraîcheur et d'insouciance, mais il n'y a là rien de palpitant ni d'immortel, et certains n'hésitent pas à dire que, dans le genre, Vivaldi a été plus inspiré.

De trois ans postérieur, le concerto en ut majeur K 314 pour hautbois, dont la transposition en re donnera le second concerto pour flûte, est mieux qu'une œuvre ravissante. Au-delà du charme mélodique, on y voit Mozart transcender le pur style galant « par le dialogue qui s'institue entre soliste et orchestre, par l'approfondissement méditatif qui s'instaure entre eux dans l'Andante ma non troppo et la joie de vivre du peu orthodoxe rondo final. »131  En résulte un parfait petit chef-d'œuvre dont on comprend que les hautboïstes en aient fait un joyau de leur répertoire.

Concerto pour hautbois en ut majeur K 314 (III. Rondo), par Lothar Koch et le Berliner Philharmoniker, sous la direction d'Herbert von Karajan.

Concertos pour cor

Point commun de ces concertos (ou pièces isolées) pour cor et orchestre, qui les distingue des autres œuvres concertantes évoquées précédemment : ces œuvres, toutes écrites au cours des années 1781 à 1787, datent des années viennoises du compositeur. On y trouve notamment une série de quatre concertos qu'on a pris l'habitude de numéroter de 1 à 4, sans d'ailleurs trop se soucier de la chronologie, et qui appellent un minimum de précisions. On a en effet trois concertos (nos 2, 3 et 4, respectivement K 417, K 447 et K 495, tous trois en mi♭majeur) qui ont dûment été conçus comme tels, et par ailleurs un « concerto », le no 1 en re majeur K 412 (ou K 412 + 514), constitué de la réunion de deux pièces isolées écrites à six années d'intervalle et, qui plus est, laissées inachevées par Mozart. S'y ajoutent au moins deux pièces isolées : le Rondo en mi♭majeur K 371, une pièce assez originale et brillante pour laquelle la gent corniste éprouve une légitime affection, et laissé inachevé mais heureusement complété par une main experte, le premier mouvement (Allegro, K 494a) d'un concerto en mi majeur, qui nous fait regretter que Mozart ne soit pas allé au bout de son entreprise.

Autre point commun de ces œuvres : à une réserve près (car le Concerto no 3 K 447, le plus ambitieux des quatre, pourrait bien avoir eu un autre destinataire), Mozart les écrivit pour un vieil ami de sa famille, le corniste salzbourgeois Joseph Leutgeb qui, avec l'aide financière de Leopold, s'était établi à Vienne comme marchand de fromage depuis 1777. « Grâce à lui, Mozart se replongea dans l'esprit du terroir, en fréquentant de petites gens dans la compagnie desquels il se complaisait ; les réunions avaient lieu au café, où l'on buvait force punchs, et où Mozart se livrait envers le pauvre Leutgeb à des plaisanteries qui n'étaient pas toujours du meilleur goût. Mais il avait de l'affection pour le brave homme et beaucoup d'estime pour le corniste. Il truffa les partitions à lui destinées de rubriques burlesques et multicolores […]. »132 On connaît à ce titre la pseudo-dédicace figurant dans l'autographe du concerto K 417, où Mozart dit avoir « pris pitié de Leutgeb, âne, bœuf et fou »… On connaît moins, et pourtant cela vaut le détour, les paroles, aussi théâtrales que désopilantes, qu'il a greffées en italien sur le rondo final de K 412 /514 pour en accompagner l'exécution. Décidément, après avoir subi tant d'avanies de la part de Mozart, le brave homme méritait bien de voir son nom passer à la postérité.

Vu ce qui précède, on ne pouvait attendre de ces œuvres pour cor qu'elles atteignent des abîmes de profondeur métaphysique. D'ailleurs, « c'est sans doute ce goût avoué pour la plaisanterie (qui n'affecte du reste en rien la musique) et le caractère rustique de certains rondos qui sont la cause de la [relative] désaffection dans laquelle sont généralement tenus ces concertos. C'est, dit-on, de la musique mineure, en comparaison des grands concertos contemporains pour le piano. Mais c'est là un jugement hâtif, qui risque de nous faire passer à côté de moments authentiquement inspirés. »133   Surtout, il y a cette science avec laquelle Mozart joue des qualités de l'instrument, le cor « naturel » de l'époque, capable « d'éclats sonores, mais aussi d'un moelleux et d'une délicatesse incomparables. Ces contrastes de couleur jouent dans les concertos conçus pour le cor avec beaucoup plus de richesse et de variété que pour tout autre instrument, la clarinette exceptée. Cela permet l'expression d'un contraste, typiquement mozartien, entre la verve populaire la plus truculente et la tendresse, tout embrumée d'harmoniques, qui mène à la nostalgie la plus intériorisée. Ce contraste joue entre la cocasserie balourde des trilles, les fanfares joyeuses d'une chasse et le doux cantabile qui, dans les nuances les plus raffinées du coloris, fait naître de véritables miracles de mélodie. »134

Concerto pour cor n°4 en mi♭majeur Rondo-Allegro vivace) par Hermann Baumann (cor naturel), et le Concentus Musicus Vienne, sous la direction de Nikolaus Harnoncourt.

 

Allegro en mi♭K 494a (complété par un anonyme, seul le 1er tiers est de la mains de Mozart), par Herman Jeurissen et The Netherlands Chamber Orchestra, sous la direction de Roy Goodman.

Concerto pour clarinette

Chef-d'œuvre parmi les chefs-d'œuvre, on ne présente plus ce concerto en la majeur K 622 que Mozart dédia au clarinettiste Anton Stadler (un frère en maçonnerie) et auquel il mit une dernière main deux mois seulement avant sa mort. On sent comme un adieu au monde dans ce concerto tout enveloppé de lumière automnale qui nous apparaît en même temps, entre la Flûte enchantée et le Requiem, comme un hymne intemporel à la fraternité. « Cette page, qui nous est parvenue dans une version non entièrement authentique (l'original était pour clarinette de basset dont l'étendue dépassait la normale), est d'une sublime inspiration. La beauté fluide de la partie de clarinette est appuyée par un orchestre de flûtes, bassons, cors et cordes. Par son écriture dense mais jamais lourde, Mozart a su réaliser l'équilibre des combinaisons sonores et la distinction entre mélodie et parties concertantes, au point que les timbres acquièrent une extrême puissance suggestive. Nul compositeur n'a approché dans le genre du concerto pour instrument à vent un tel degré de qualité. »135 Jamais non plus on n'avait exploré à ce point les possibilités de la clarinette dans le domaine du timbre : « Ce bel instrument à anche libre est tantôt vibrant ou calme, volubile ou étale, sensuel ou désincarné, chaud ou éthéré, mordant ou (dans le grave) ligneux et abyssal. »136  Et dire que si Mozart était allé au bout de l'ébauche (K 621b) de l'original pour cor de basset (l'instrument de Stadler), c'eût été encore plus magique.

Concerto en la majeur K 622 (II. Adagio), par Michel Arrignon.

Symphonie concertante pour quatre vents

Cette très belle Symphonie concertante en mi♭ majeur K 297b pour hautbois, clarinette, cor et basson continue de soulever bien des interrogations. S'agit-il du réaménagement de la symphonie concertante pour flûte, hautbois, basson et cor, dont la partition a été perdue, que Mozart avait écrite en 1778 pour quatre brillants solistes de Mannheim qui l'avaient accompagné à Paris, avec l'idée de la faire exécuter au Concert spirituel ? On continue d'en soutenir l'hypothèse, mais rien ne prouve que ce soit la bonne. Et la version qui nous est parvenue, dans une copie unique du XIXe siècle, est-elle  même bien, au moins pour une large part, l'oeuvre de Mozart ? Des doutes subsistent, qui ne sauraient nous empêcher d'apprécier à sa juste valeur cette composition d'une ampleur étonnante, de surcroît très consistante, qui de toute façon ne peut qu'être le fait d'un grand maître. A vrai dire, on voit mal qui d'autre que Mozart aurait été capable d'écrire cette musique …

Symphonie concertante en mi♭majeur K 297b (III. Andantino con variazioni) par John Anderson (hautbois), Anthony Pike (clarinette), Julie Price (basson), John Thurgood (cor), et The English Chamber Orchestra, sous la direction de Ralf Gothoni

Notes

129. Hocquard Jean-Victor, de l’ombre à la lumière. Jean-Claude Lattès, Paris 1993, p. 262.

130. Parouty Michel, dans François-René Tranchefort (dir.), « Guide de la Musique symphonique », Fayard, Paris 2002, p. 561.

131. Hamon Jean, dans « Répertoire » (106), octobre 1997.

132. Hocquard Jean-Victor, op. cit., p. 262

133. —, Ibid., p. 262

134. —, Ibid., p. 263

135. Szersnovicz Patrick, dans « Le Monde de la musique » (264), avril 2002.

136. Hocquard Jean-Victor, op. cit., p. 263-264  

 

 

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