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Nous passons de la page 2017 à la page 2018, mais nous ne refermons pas le livre

3 janvier 2017, par Jean-Marc Warszawski ——

 

Comme chacune des années passées, nous avons reçu en quantité ce qu'on appelle des services de presse : des cédés, des livres, des partitions, des invitations à des concerts, à des festivals, ou conférences.

Pour les cédés, la tendance se confirme : on en produit toujours plus qui se vendent de moins en moins, mais leur le niveau musical frise la perfection tant pour l'interprétation que pour la technique de prise de son.

On va pouvoir puiser au hasard dans les bacs des disquaires en étant assuré que ce sera de toute manière du bon.

 Mais il y a peu de vraies surprises, car il faudrait enregistrer un peu moins les œuvres de Chopin, Haydn, Bach ou Mozart et un peu plus les autres sans oublier les contemporains.

Même remarque pour les concerts, y compris les grandes institutions publiques pour lesquelles la mission semble s'être exclusivement concentrée sur la billetterie. Le bilan d'une saison, d'un festival, s'exprime en résultats de billetterie, on ne parle plus de ce qui s'est passé sur scène ou de ce que le public a reçu.

Pour les livres, la tendance est nettement inversée, autant pour la qualité de l'écriture que pour la maîtrise des sujets. Ce n'est pas bon. La réforme des universités menée à marche forcée par Valérie Pécresse voici dix ans n'y est pas pour rien.

2017 a connu la mise en place d'un gouvernement radical, qui a transformé la direction de l'État en un service comptable dont la bureaucratie pourrait faire rêver les nostalgiques du soviétisme. Pour lui, la cohérence sociale, la civilisation, l'humanité, le bonheur si cher aux Lumières, toutes ces choses où l'art joue un rôle prépondérant, ne sont pas un but, ce sont des coûts. Le seul but qu'on peut lui imaginer, outre celui de s'enrichir, est d'aider les boursicoteurs à enfler encore plus la bulle spéculative, déjà prête à exploser, par un ratissage systématique des richesses, terrestres, matérielles, humaines. Il ne fait rien contre la fraude à grande échelle et l'évasion fiscale, mais il va encore plus pourrir la vie des précaires, qui sont particulièrement nombreux dans le monde des arts et du spectacle.

Les coupes budgétaires, la réduction des services rendus par l'appareil d'État, la suppression des emplois aidés pénalisent la vie associative, si importante dans les activités musicales, telle la chorale qui achète des partitions et rémunère un chef ce chœur, un pianiste, telle l'organisation de concerts et de festivals, telles les activités d'éveil musical, et où le service public fait défaut, l'organisation d'écoles de musique, le travail musical dans les hôpitaux, les prisons, avec les handicapés, etc.

L'art est un des premiers vecteurs d'identité humaine, le ferment des civilisations, l'opérateur de la cohésion sociale. Mais aucune politique culturelle digne de ce nom n'est mise en œuvre. Tout est laissé au hasard de l'activité et de l'intérêt particulier des différents acteurs — pleins de qualités —  comme les maisons d'opéra ou les philharmonies, les fondations privées ou le mécénat, comme si tout cela pouvait, par on ne sait quelle opération, sursoir à une politique cohérente et dynamique. Le gouvernement y va aussi de ses coups inarticulés, très médiatiques, mais sans continuation dans les faits, comme l'annonce d'organiser dans chaque établissement scolaire une chorale. Quelle en est la finalité ? Quel rouage est-ce dans une politique globale de la musique ? Surtout comment y croire quand dans le même temps on réduit les moyens, même ceux des conservatoires de musique, et le nombre de professeurs de musique dans les établissements scolaires, des gens formés entre autres et justement à la direction de chœur.

On voit ressurgir le « Rapport Lockwood » prétendant que les musiciens se forment sur le tas, pas dans les conservatoires, alors que les jeunes musiciens, cultivés, qui sortent de ces institutions ont un extraordinaire niveau, au moins équivalent à celui de leurs maîtres, et commencent leur carrière avec des œuvres que seuls les artistes blanchis sous le harnais osaient mettre à leur répertoire il y a quelques années.

Le document confidentiel du ministère de la Culture, du 3 novembre dernier, « Contribution aux travaux du Cap 2022 », qui a fuité dans la presse, et le projet de la maison commune de la musique sont loin d'être rassurants. Ils font état d'économies de bouts de chandelles qui vont être ruineuses en termes culturels (ce qui concerne les archives est insensé), de fusions d'orchestres, c'est-à-dire des suppressions, et la maison commune des musiques, prestataire de services, ne palliera pas au manque d'une politique volontaire, cela ajoutera à la bureaucratie, confirmant la dérive soviétique : le règlement autoritaire de toutes les questions par des employés coupés de la réalité des dynamiques de terrain. Ce qui se passe déjà en grand avec les fonctionnaires bruxellois.

Au cours de l'année qui se termine, musicologie.org a été l'objet d'une pression particulièrement forte de la part des attachés de presse ou des artistes eux-mêmes, à juste titre soucieux de leur promotion. C'est que sans le souffle d'une politique culturelle, pas même spécialement ambitieuse, la machine, les réseaux, sont cassés, ne portent rien, les médias traditionnels plombés de star-système non plus. Les grands médias ne sont plus des fenêtres sur le monde, mais des culs-de-sac opaques nous demandant de jouir de leurs propres écrans enfumés souvent délétères de vulgarité. Ils réduisent l'art à un refuge, une évasion individuelle, alors qu'il s'agit fondamentalement d'une ouverture au monde et aux autres, d'un intrigant collectif.

L'art matérialise ce qui est beau en nous, ce que nous espérons être beau, ou comme le pensait Plotin, dont la contemplation nous mène à l'unité en nous-mêmes et de nous-mêmes au monde et à l'univers, il est un enjeu essentiel de civilisation.

Au monde radicalement pessimiste de l'équipe qui nous gouverne, qui réduit le beau au prix d'un costume ou d'une Porsche Cayenne, nous pouvons répondre par l'optimisme de la résistance : aller au concert, au cinéma, au théâtre, écouter des cédés, ouvrir des livres, fréquenter les conférences, les expositions, les musées, pourquoi pas, devenir acteur et organisateur, mais aussi réfléchir à ce que pourrait être une politique cohérente de la musique, du local au national. Quand on veut réformer, ce n'est pas au livre comptable qu'on s'adresse comme à un livre de recettes, mais d'abord aux personnes concernées. C'est avec elles, pas contre elles qu'on doit gouverner.

Je nous souhaite donc une année 2018 optimiste, plus résistante que soumise, en espérant que musicologie.org tiendra dignement sa place au cours de sa 19e année d'existence.

 

 

Jean-Marc Warszawski
3 janvier 2018

 

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bouquetin

Mercredi 3 Janvier, 2018 2:35