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L'œuvre de Hugues Panassié et sa réception selon Laurent Cugny

Cugny Laurent, Hugues Panassié : l'œuvre panassiéenne et sa réception. « Jazz en France », Outre mesure, Paris 2017 [166 p. ; ISBN 978-2-907891-92-9 ; 17 €]

31 janvier 2018, Par Jean-Marce Warszawski ——

Paradoxalement dans une vie pleine de paradoxes, ce français bon teint de bonne famille, qui n'a jamais mis les pieds aux États-Unis, fonde la littérature sur ce genre musical. Il commence en 1930 à publier un nombre prodigieux d'articles, des livres, lance en 1933, le légendaire Hot club de France lequel, rue Chaptal à Paris, fit les beaux jours de Django Reinhardt et de Stéphane Grappelli, fonde en 1935, avec Charles Delaunay, la célèbre revue Jazz Hot. Il se rend tout de même plusieurs fois aux États-Unis, fréquente les milieux du jazz, se lie d'amitié avec des musiciens (Count Basie lui dédie un Panassié Stomp et Lionel Hampton, le Blues Panassié). Mais l'évolution du jazz ne lui plaît pas, ni le be-bop de Charlie Parker ou Dizzy Gillespie, ni le cool, ni le symphonique, qui sont pour lui autant de trahisons du vrai jazz, le hot. À partir de la Libération, son enthousiasme s'enquille dans des polémiques sans fin, parfois violentes. C'est peut-être dans ce cadre que la malveillance a quelque peu amplifié ses idées politiques jusqu'à analyser ses écrits pour en démontrer le fascisme, et prouver sa collaboration avec l'occupant nazi. N'a-t-il pas continué à publier en toute légalité pendant l'Occupation, une bonne vingtaine d'articles et un livre en 1943 (il n'est plus question de zone libre depuis fin 1942), sur un genre de musique condamné comme étant dégénéré par les autorités allemandes ? Estocades d'autant plus cuisantes, que le jazz était plutôt apprécié par l'intelligentsia éprise d'émancipation, que cette musique rebelle symbolisait.

Cherchant l'objectivité historique, l'auteur propose de sortir des procès au profit de la solidité documentaire. Il a raison, l'histoire consiste à raconter ce qui fut, on ne peut la juger et elle ne juge pas. Il organise alors son livre en une accumulation de citations commentées. En plus de la pénibilité de lecture, c'est un retour au vieux positivisme, pensant à tort donner sens en organisant judicieusement l'exposition des documents, épistémè rejetée depuis plus d'un lustre par l'historiographie française, plutôt avide d'expliquer que montrer, ne confondants pas histoire et muséographie, étant donné qu'historiographier, opération idéologique, ne peut être objectif : l'histoire ne reconstitue pas le passé.

En réalité, Laurent Cugny, est en plein procès. Se faisant avocat contre les allégations de fascisme ou de collaboration, ce qui aurait pu se régler en une phrase : « rien ne les documente sérieusement », en donnant en bas de page les quelques rares et peu probants témoignages sur cette question (mais sans aucun fait).

Cela soulève aussi des problématiques plus complexes qu'il aurait été intéressant de fouiller et conceptualiser. Ce n'est pas là le fort de l'auteur, prisonnier des choses à en être empêché de les articuler en idées.  Dommage, car voici peu, il a activement participé à la diffamation publique d'un collègue ayant dévoilé, document en mains, la liste des élèves juifs du Conservatoire national de Paris, que Jacques Chailley a établie avant même que les lois anti-juives n'aient été décrétées.

Lorsqu'on parle de racisme, de fascisme, de collaboration on ne parle ni de choses identiques qui s'identifieraient mutuellement, ni d'un emboîtement de poupées russes, ni de consubstantialité. Il y a un fascisme français, formé dans le colonialisme, celui qui s'est manifesté lors de l'affaire Dreyfus, qui pouvait porter à la collaboration, mais aussi à être importuné par la présence allemande. Il ne faut pas confondre racisme et haine raciale. On peut penser qu'il y a des races humaines, que chacune d'entre elles a des caractères particuliers au-delà du physique, sans pour autant vouloir du mal à qui que ce soit, et même sans porter de jugement négatif.  C'est le cas de Hugues Panassié assignant le jazz à la négritude, même s'il n'ignore pas les conditions sociales de son émergence.

Par ailleurs, Laurent Cugny se trompe en pensant que l'enthousiasme de Panassié pour le naturel, la spontanéité, la vérité humaine élémentaire du jazz hot est rousseauiste.  La nature première selon Panassié est une particularité liée à la race (dans des conditions sociales), celle de Rousseau est universelle. Il ne s'agit pas là du retour à la nature de l'herboriste, mais de nature humaine. On est plutôt du côté des maurassiens, voire de l'enracinement selon Heidegger, de l'opposition à une République universaliste et égalitaire, contre laquelle on met en avant la vérité des particularismes provinciaux (par exemple le compositeur Déodat de Séverac) et les écarts à l'académisme parisien centraliste. D'ailleurs après avoir rapproché Panassié de Rousseau, Laurent Cugny évoque l'opposition de Panassié à l'universalisme des Encyclopédistes qui évoque exactement cela : l'enseignement académique créé par les encyclopédistes, depuis Diderot jusqu'à Condorcet a tué l'art populaire en une génération […] Instruire au lieu de former à l'atelier, faire apprendre au lieu de faire faire, expliquer au lieu de montrer et corriger. Voilà en quoi consiste la réforme conçue par les philosophes, achevée par la Révolution [p 94] (on croirait presque lire le rapport Lockwood sur la musique).

Le plus étonnant, est que d'avocat, l'auteur devient accusateur, jugeant déraisonnable l'opposition de Panassié à toute autre forme de jazz que le hot. Puisqu'on ne peut expliquer cette dérive par l'appartenance politique, sa cause en serait donc un trouble psychologique, la paranoïa y est même diagnostiquée. Pourtant, Hugues Panassié exprime clairement son opposition à l'académisme tuant l'art populaire, il lui semble que le Be bop, le cool (le sirupeux), le symphonique sont des trahisons en ce qu'ils introduisent de l'académisme blanc, ou des corps étrangers, anéantissent la spontanéité. C'est de cela qu'il aurait aussi fallu, peut-être surtout, discuter, en se décollant des citations.

Il aurait aussi été intéressant, dans la difficile particularisation par les mots de ce qu'est le hot, thèmes, swing, rythme, improvisation, notions qui reviennent tout au long du livre, de relever le peu de spécificité de ces termes qui sont, dans le fond, valables pour toutes les musiques populaires de la terre.

Cette psychologisation étonnante qui prend aujourd'hui la place des arguments dans l'aire politique dans notre société n'a pourtant pas sa place dans la discussion rationnelle.

Cela dit, sans paranoïa, nous ressentons bien cette notion de hot (vérité, spontanéité, invention intempestive, humanité en direct, punch) de Panassié, qui s'est d'ailleurs ramifié dans le progressif ou le free, mais ne partage pas l'idée de trahison pour l'un, de trouble mental pour l'autre. Il n'y a pas de vérité en art.

Ce livre est décevant, malgré son énergie documentaire, il est loin d'atteindre l'annonce de son titre (mais aborde d'autres questions), sans compter une écriture quelque peu relâchée.

 

Jean-Marc Warszawski
31 janvier 2018

 

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