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Opéra-Comique, 8 mai 2018 —— Frédéric Norac.

Gounod dans les affres du surnaturel : La nonne sanglante

La Nonne sanglante, Opéra-Comique. De gauche à droite : Jean Teitgen (Pierre l’Ermite), Luc Bertin-Hugault (le Baron de Moldaw), Vannina Santoni (Agnès), chœur accentus.

Deux œuvres ont particulièrement marqué le jeune Gounod  dans son approche de l'opéra, le Don Giovanni de Mozart, créé à l'Opéra de Paris en 1834, et Robert le Diable de Meyerbeer, choc esthétique de l'année 1831 qui devait influencer toute une génération de compositeurs de Berlioz à Wagner. Dans les deux opéras, l'élément fantastique et l'idée de culpabilité — dans le premier la statue du commandeur, dans le second la présence du diable et le ballet spectral des nonnes — occupent une large place que l'on retrouve dans cette Nonne sanglante, second opéra du compositeur, créé à l'Opéra de Paris en 1854.

Le livret de Scribe et Casimir Delavigne s'inspire d'un épisode du fameux Moine de Lewis et met en scène une sombre histoire de nonne assassinée par son amant, le comte de Luddorf, alors qu'elle venait réclamer ses droits à son mariage. Son spectre vient s'emparer  du fils du comte, Rodolphe, la veille de ses noces, l'entraîne dans son univers fantomatique et le lie à elle par un serment usurpé, l'empêchant d'épouser la femme qu'il aime. L'intrigue — sur fond de lutte de deux familles ennemies — est si compliquée qu'elle paraît impossible à résumer et laisse comprendre pourquoi le livret avait été refusé par de nombreux compositeurs contemporains.

La Nonne sanglante, Opéra-Comique. Michael Spyres (Rodolphe), Marion Lebègue (la Nonne), chœur accentus.

Sur ce scénario impossible, surchargé et maladroit, Gounod compose une partition quelque peu bâtarde où se retrouvent tous les éléments qui ont fait le succès des opéras de  Meyerbeer : de grands ensembles où la tension et la violence s'expriment dans une surcharge sonore, des moments caractéristiques comme la scène du château fantastique où la nonne entraîne le héros,  entrecoupés de moments plus légers comme le tableau de la noce paysanne au troisième acte — prétexte à insérer le ballet obligé — ou les quelques scènes du page Arthur, où l'on croit reconnaitre Urbain des Huguenots et s'annoncer Stephano de Roméo et Juliette. Le résultat est un mélange de conventions et de prémonitions des futurs opéras d'un compositeur qui se cherche encore, telle la valse des paysans au deuxième acte.

Donner une vision scénique crédible d'un univers aussi invraisemblable constituait  une gageure. David Bobée y réussit remarquablement en prenant le parti d'une lecture au premier degré qui transpose l'œuvre dans un univers mixte, proche de la bande dessinée et de l'héroic fantasy. Son décor unique est animé avec poésie par la vidéo de José Gherak lui permettant de varier à peu de frais les ambiances et les lieux, sans rompre jamais la tonalité sombre qui domine. Particulièrement réussi est le tableau du château hanté avec l'apparition des spectres dans leur suaire.

La Nonne sanglante, Opéra-Comique. Vannina Santoni (Agnès), Michael Spyres (Rodolphe), Marion Lebègue (la Nonne), chœur accentus.

La résistance et la bravoure de Michael Spyres dans le rôle principal de Rodolphe, omniprésent d'un bout à l'autre de l'opéra, impressionnent. Sa diction d'une parfaite clarté, sa vaillance qui n'hypothèque jamais la musicalité ni la profondeur de son incarnation sont un éblouissement. L'Agnès passionnée de Vannina Santoni, à qui le compositeur n'a pas concédé d'air en propre se fait remarquer  dans les duos exaltés et les grands ensembles où elle donne le meilleur de son soprano lyrique ; le page plein de charme de Jodie Devos est comme un rayon de soleil au milieu de tant de noirceur et la Nonne imposante de Marion Lebègue force un peu le trait et son grave solide, ce que l'on ne saurait lui reprocher dans un tel contexte. Jérôme Boutillier doit attendre le dernier acte pour donner la mesure de son  baryton stylé qui manque un rien de noirceur pour son personnage. Une mention pour l'imposant Pierre l'Ermite de Jean Teitgen et l'excellent couple de paysans incarné par Enguerrand de Hys et Olivia Doray.

Maître d'œuvre de l'ensemble, Laurence Equilbey à la tête de son orchestre Insula et du chœur Accentus, tous deux impeccables, donne la mesure de ses capacités de chef lyrique et s'investit dans une lecture puissante et équilibrée, offrant  à cette partition improbable et à son impossible livret un relief et une crédibilité qui soulèvent au final une salle enthousiaste.

Prochaines représentations les 10, 12 et 14 juin. Spectacle diffusé en direct sur Culturebox le 12 juin à 20h.

La Nonne sanglante. Michael Spyres (Rodolphe), Vannina Santoni (Agnès), chœur accentus.

Frédéric Norac
8 mai 2018

 

Frédéric Norac : norac@musicologie.org. Ses derniers articles : Les enfants de la République chez le Roi SoleilNoir, c'est noir : Orfeo ed Euridice de GluckMichael Spyres : un ténor-phénomèneMélisande et (l'orchestre) Pelléas : Pelléas et Mélisande au Théâtre des Champs- ÉlyséesLes sortilèges d'Olivier Dhénin : L'enfant et les sortilèges de RavelSoirée des Mille et une nuits : Mârouf, savetier du CaireLes régents de la musique française : Musique pour la duchesse du Maine Le retour d'Auber : Le Domino noir à l'Opéra-ComiqueTous les articles de Frédéric Norac.

 

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