Théâtre de l'Athénée-Louis Jouvet, 26 septembre 2018 –– Frédéric Norac.
Didon et Énée, Théâtre de l'Athénée. Photographie © Anne-Sophie soudoplatoff.
« Les grandes âmes conspirent contre elles-mêmes et fuient le remède si ardemment désiré » fait dire au chœur Nahum Tate avant que Didon ne prenne la décision de mourir, incapable de surmonter la trahison d’Enée et sa propre faute de lui avoir cédé. Cette sentence pourrait servir d’épigraphe à la mise en scène de Benoit Bénichou qui choisit de transformer les forces occultes du livret en pulsions intérieures des personnages et de les dédoubler musicalement.
C'est ainsi que chaque personnage incarne également en quelque sorte son opposé : Didon la Magicienne qui ourdit sa perte ; sa confidente Belinda, la première sorcière ; et Énée l’Esprit, envoyé des Dieux, qui lui enjoint de quitter la Reine de Carthage pour aller fonder la nouvelle Troie. Il n’est pas jusqu’au chœur qui ne soit suspect de duplicité, tour à tour courtisans flattant la Reine dans ses penchants et encourageant sa faiblesse et créatures malignes complotant contre elle et lui jetant des sorts.
À l’intrigue originale resserrée sur à peine plus d‘une heure (exposition, péripétie, catastrophe), la production a trouvé bon de rajouter un prologue que Purcell n'a jamais mis en musique si tant est même qu'il ait jamais souhaité le faire. Chantournée et redondante, cette scène complémentaire compile des extraits de divers « masks » du compositeur et met en scène Diane et Phébus, comme les avatars des héros de l’opéra dans une allégorie qui n’éclaire pas particulièrement le propos. Le résultat aurait du reste plutôt tendance à réduire inutilement la redoutable efficacité de l’opéra de Purcell dont le schématisme même fait la force. Mais c'est un péché véniel au regard de la réussite de la production dans son ensemble.
La scénographie vaporeuse de Mathieu Lorry-Dupuis joue d’un ensemble de tulles pour évoquer subtilement les lieux de l’action, de chambre de la reine au bateau prêt à appareiller, en passant par la grotte, refuge des amants pendant l’orage et antre des esprits malins qui y mènent leur sabbat, le tout dans une ambiance quelque peu irréelle et rêvée.
Didon et Énée, Théâtre de l'Athénée. Photographie © Anne-Sophie soudoplatoff.
La chorégraphie d’Ana Yepes tient plutôt de la pantomime mais elle gère avec efficacité les interventions du Jeune Chœur de Paris, excellent au plan vocal et d'une belle présence scénique. La distribution de bon niveau est dominée par la majestueuse Didon de Chantal Santon Jeffery. On y distinguera aussi la Belinda élégante de Daphné Touchais et le solide baryton de Yoann Dubruque plus convaincant en Énée que dans le prologue où la tessiture semble moins bien lui convenir. Menées depuis son violon par Johannes Pramsohler, les cordes de l'Ensemble Diderot apportent tout le relief voulu à cette vision intime et chambriste du chef-d'œuvre miniature de Purcell. Une belle introduction à la trilogie que l'Athénée va présenter jusqu'au 13 octobre et dont les volets suivants seront King Arthur et Queen Mary.
Prochaines représentations les 28, 29 et 30 septembre.
Spectacle en tournée en France du 20 mars au 12 avril 2019 (dates sur le site de l'ARCAL)
Frédéric Norac
26 septembre 2018
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Vendredi 28 Septembre, 2018 2:42