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Dijon, Auditorium, 17 mars 2017, par l'Ouvreuse

Une Flûte déjantée à Dijon1

La flûte enchantée. Photographie © Photographie © Gilles Abegg - Opéra de Dijon.

Le pari est audacieux. Pour renouveler l'approche de La flûte enchantée, David Lescot nous donne la clé de sa mise en scène, originale. On le sait, Sarastro et la Reine de la nuit sont parents de Pamina, et se la disputent. Le metteur en scène imagine, vingt ans avant le lever du rideau, alors qu'ils s'aimaient et avaient déjà ce premier enfant, le couple s'est désuni puis affronté, après une autre naissance, celle d'un garçon appelé Papageno.  Désamour, tromperie, on ne sait. Mais Pamina et Papageno sont ainsi, sans le savoir, frère et sœur, ou frère et demi-sœur (au cas où…). C'est bien vu et cela éclaire leur relation durant tout le premier acte. Tout ça nous est expliqué devant le rideau de scène, durant l'ouverture, par la projection de la narration, mimée par les deux personnages.  Bigre ! Le juge aux affaires matrimoniales a-t-il eu raison de confier la garde de Pamina à sa mère ?  Le metteur en scène  a clairement pris parti pour la Reine de la Nuit. Sarastro n'est-il pas « sectaire, démagogue, leader d'une secte » ? Et d'ajouter « Il y a aussi des choses inquiétantes et un potentiel sectaire et fanatique, comme dans toute communauté », puis plus loin « le salut ne peut pas se trouver à l'intérieur du temple ». S'il ne peut refuser au Grand prêtre le magistère que lui confère le livret et l'union de Tamino à Pamina, il le réduit à un rôle quasi politique, avec les dérives que ce qualificatif implique. On s'interroge sur les éléments qui fondent ce jugement sans appel. Ni le livret ni la musique n'accréditent cette lecture à rebours, idéologique et réductrice.

La flûte enchantée. Photographie © Gilles Abegg - Opéra de Dijon.

Les lignes de force qui gouvernent cette mise en scène sont les relations familiales et amoureuses, ainsi que la construction d'un monde renouvelé à partir d'un couple originel. La fantaisie et la dimension spirituelle sont balayées, ringardes. Souvenez-vous, la conception, comme la réception de l'ouvrage furent à la fois ludique et politique, porteuse des valeurs des Lumières2. Qu'à cela ne tienne ! « Je ne veux pas fonctionner par références ou par allusions, ni aux autres mises en scène, ni à l'œuvre elle-même » (sic.) ose déclarer le metteur en scène. Il n'est manifestement pas là pour servir un chef-d'œuvre, mais pour réaliser le sien. Sarastro est un manipulateur, Papageno un contestataire… et David Lescot un imposteur ? Son expérience dramatique lui permet de faire fonctionner le tout, mais cela ressemble à un fake aux relents conspirationnistes.

Dans ces heures incertaines, imaginer qu'une catastrophe écologique a détruit l'humanité participe de l'air du temps. Un groupe de survivants a élu domicile sous terre, squattant les ruines d'un supermarché3. Dans un paysage aride, craquelé, ils s'en échappent par des trappes. Du reste un grand nombre d'entre eux, groupés autour de leur gourou charismatique, Sarastro, évoquent étrangement des moines (« trappistes », me souffle mon amie la Comtesse) encagoulés, à moins que ce ne soient des jeunes manifestants encapuchonnés. La question se pose. C'est délibérément grisâtre, trash et laid, un monde en guenilles, en haillons4, ou simplement  banal.

La flûte enchantée. Photographie © Gilles Abegg - Opéra de Dijon.

Heureusement, la réussite musicale est incontestable, intelligente, servante humble et efficace du texte musical. L'approche de Christophe Rousset, résolument novatrice, décapante, permet de retrouver, débarrassée de sa gangue, La flûte enchantée au plus près de l'esprit et du texte de Mozart. Il conduit par ailleurs une poignée de jeunes chanteurs talentueux, déjà confirmés, animés de l'esprit de troupe, avec de nombreuses prises de rôle. Malgré le parti pris de la mise en scène, les personnages sont caractérisés comme jamais, à l'exception d'un Sarastro moins sympathique que son ex, et d'un Papageno trop souvent plombé par le sérieux.  Jodie Devos campe une très grande Reine de la Nuit, pathétique dans son premier air et déchaînée dans le second. L'aisance vocale est stupéfiante, au service d'une expression dramatique juste. Les trois dames ne sont pas en reste, des chipies sexy qui pourraient être Filles du Rhin. La Pamina de Siobhan Stagg est touchante, d'une grande pureté d'émission, voix longue et fraîche. Son « Ach, ich fühl's » est certainement l'un des plus beaux que j'aie entendus. Camille Poul chante une tonique Papagena, après l'avoir incarnée à merveille, vieillie et affublée de sacs poubelle.

Les hommes sont séduisants. Mon amie a un faible pour Sarastro (Dashon Burton), de belle carrure, au bel organe, ou, à défaut,  pour Monostatos (Mark Omvlee), voix puissante, claire, excellent acteur. Elle me laisserait ainsi le merveilleux Tamino de Julian Prégardien si Pamina ne l'avait séduit, et le Papageno de Klemens Sander, aussi attachant. Christian Immler est un splendide orateur, vivant de la souplesse de sa déclamation, de ses récitatifs et d'une direction d'acteur efficace. Aucune faiblesse des rôles secondaires. Il faut souligner la performance des enfants, à chacune de leurs interventions. Les Talens lyriques confirment toutes leurs qualités : c'est un bonheur constant, des  lignes claires, des couleurs séduisantes. Les chœurs méritent autant d'éloges. Parfaitement réglé, leur chant est extrêmement nuancé, avec des modelés qui nous changent de la routine habituelle.

Un enregistrement s'impose, et viendra sans aucun doute, tant ce que nous propose Christophe Rousset est admirable et singulier5

La flûte enchantée. Photographie © Gilles Abegg - Opéra de Dijon.

Cette production de l'Opéra de Dijon, coproduction Opéra de Limoges, Théâtre de Caen, sera donnée en version de concert le 3 avril à Paris, Philharmonie. Si les Parisiens sont comblés, les autres ne doivent rater cette production sous aucun prétexte, tant la qualité dramatique et musicale en est rare. Christophe Rousset et ses interprètes au top !

L'Ouvreuse
20 mars 2017
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1. Le premier titre était « Secrets de famille, ou  Vingt ans avant » ;

2. Comment ne pas voir Marie-Thérèse d'Autriche sous les traits de la Reine de la Nuit ? Comment refuser la dimension symbolique omniprésente ?

3. Pamina nous confirme que, chez Schikaneder et Mozart, c'est la Reine de la Nuit qui hante les souterrains du temple. Avec cette mise en scène de « tous aux abris », personne n'échappe au monde inférieur,  infernal.

4. Seules les trois Dames, appétissantes, échappent à cette règle. Elles avaient mis leur garde-robe à l'abri avant le cataclysme, sans doute. La mode du sac poubelle (qui figurait le bois que ramassaient Wozzeck et Andres dans la mise en scène de Sandrine Anglade) est convoquée de nouveau : la vieille Papagena en est heureusement affublée. Les matériaux de récupération habillent les animaux. Dénoncer la société de consommation …

5. À l'image de l'immense nœud papillon qu'il arbore et que l'on découvre lors des saluts !


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