musicologie
Théâtre des Champs-Élysées, 12 mars 2017, par Frédéric Norac ——

Simon Boccanegra : de Monte-Carlo à Paris

Pinchas Steinberg. Photographie © D. R.

Nombreux sont aujourd'hui les amateurs d'opéra à préférer les versions de concert à la représentation. La faute bien sûr aux metteurs en scène qu'ils accusent de déformer et de trahir les œuvres. Sans entrer dans cette polémique, au-delà des problèmes de littéralité qui ont certes leur importance,  la version de concert nous semble avoir un intérêt majeur, c'est celui de remettre l'orchestre au centre. Elle permet aussi de se concentrer sur la musique en elle-même, sans en être détourné par l'aspect visuel et, grâce aux surtitres, de ne rien perdre du sens du livret et, finalement, de libérer l'imagination de l'auditeur.

C'est particulièrement frappant avec ce Simon Boccanegra venu de l'Opéra de Monte-Carlo dont notre collègue Jean-Claude Vannier a déjà fait l'éloge ici.

L'orchestre chez le Verdi de la maturité possède un rôle moteur, il est réellement celui qui porte la dramaturgie. La baguette de Pinchas Steinberg qui n'a pas besoin de se préoccuper des chanteurs, avec un plateau où chacun est déjà rompu à son rôle, peut se consacrer entièrement au discours orchestral et en révéler toute la richesse et tous les raffinements. Sa direction sans excès en exalte le pouvoir d'évocation notamment à chaque récurrence de l'idée de la mer par exemple, ainsi que la puissance dramatique des scènes de foule qui évoquent déjà celle d'Othello. Le chef sait déchainer les masses orchestrales et chorales, rendre le sentiment d'urgence, sans écraser le plateau et surtout il intègre dans une parfaite synthèse ce qui dans cette partition hybride - l'opéra créé en 1857 a été révisé en 1881 - regarde encore vers la trilogie populaire — notamment le Trouvère — et ce qui est résolument tourné vers l'avenir.

Ludovic Tezier. Photographie © E. Ruderman.

Le Boccanegra de Ludovic Tezier impressionne par la puissance et la beauté de la voix, la précision et l'exigence du chant. L'autorité est ce qui le caractérise le mieux. Il y a sûrement peu de barytons dans le monde dont le chant atteint à un tel degré de perfection, mais on souhaiterait parfois un peu plus de tendresse chez le personnage, notamment dans la scène des retrouvailles avec Amelia (où le chanteur ne consent pas même à se tourner vers sa partenaire). Il trouve toutefois des accents plus intériorisés et plus touchants dans la seconde partie de l'opéra.  À n'en pas douter, la scène devrait lui apporter ce supplément d'humanité qui fait encore défaut à son incarnation assez monolithique. Face à lui le grand spinto de Sondra Radvanovsky a certes une appréciable étendue vocale, mais au-delà de la profondeur du timbre, de la beauté des pianissimi et des sons flottés, dans le passage au suraigu la voix se durcit singulièrement et elle paraît un peu disproportionnée pour véhiculer la fragilité de l'héroïne.  Belle ampleur chez le Fiesco de Vitaly Kowaljow et noirceur tout à fait estimable  chez le Paolo d'André Heyboer. La meilleure surprise de cette soirée reste toutefois la performance de Ramon Vargas, dans une forme éblouissante, dont la musicalité et le timbre charnu et brillant donnent un beau relief à Gabriele Adorno souvent perçu comme anecdotique dans la hiérarchie des personnages. L'autre acteur majeur de cette version de grand luxe est le chœur de l'Opéra de Monte-Carlo, impeccable de cohésion et d'engagement.

La soirée déchaîne l'enthousiasme du public parisien comme apparemment elle avait soulevé celui du public monégasque. Il est vrai que Paris n'avait pas entendu Simon Boccanegra depuis la dernière production assez calamiteuse de Johan Simons à l'Opéra Bastille en 2006. Espérons que notre scène nationale ne ratera pas le coche lorsque notre meilleur baryton actuel y abordera le rôle-titre pour la saison 2018-2019.

Frédéric Norac
12 mars 2017
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