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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte : La musique instrumentale de Wolfgang Amadeus Mozart

Les duos avec piano de Wolfgang Amadeus Mozart

Mozart

Pour cordes seules, Avec piano, Œuvres diverses.

Avec une quarantaine d'œuvres, ce sont de loin les plus nombreuses. Pour l'essentiel, il s'agit de sonates pour violon et piano, un genre que, peu à peu, Mozart a fait évoluer au point d'établir les normes de la sonate pour violon et piano moderne. Il a été le premier à établir un véritable dialogue entre les deux instrumentistes. De plus, il a été l'un des rares compositeurs à résoudre les délicats problèmes sonores posés par l'association d'un violon et d'un instrument à clavier. « La longue série des Sonates pour violon et piano ayant vu le jour depuis l'époque de Mozart et comprenant maints chefs-d'œuvre de Beethoven, Brahms, Franck, Fauré, Debussy, Bloch, Prokofiev, Bartók, pour ne citer que les plus connus, ne contient que peu d'exemples de totale réussite sonore, et certains compositeurs comme Ravel ont choisi de tourner la difficulté en opposant délibérément les deux instruments, accusant ainsi leur inévitable divorce. Cependant, dans ses plus belles sonates, Mozart avait donné la preuve depuis longtemps de ce que les contrastes de timbres pouvaient être harmonisés par la grâce du lyrisme et de la mélodie. »69 Enfin, quitte à bousculer les idées reçues qui nous font accorder plus de poids aux « grandes » sonates des deux siècles suivants, au motif qu'elles s'étalent beaucoup plus dans le discours et la rhétorique, reconnaissons que celles de Mozart, du moins les plus belles du lot, n'ont jamais été surpassées au plan de la poésie et de la pureté musicale. « On ne retrouvera jamais plus après lui ce qu'il a su conférer à ses sonates : l'intensité de l'expression dans la concentration, la litote et la brièveté. »70

Sonates de l'enfance

Conçues comme « Sonates pour clavier avec accompagnement de violon », conformément aux usages de l'époque, ces seize premières sonates se répartissent en trois groupes : d'abord les K 6 à 9, écrites à Paris en janvier 1764 et publiées peu après en tant qu'opus 1 et 2 ;  puis les six londoniennes K 10 à 15, terminées à la fin de la même année, publiées avec une dédicace à la reine Charlotte et indiquées avec accompagnement de violon ou flûte, et violoncelle ad libitum ; et enfin les six hollandaises K 26 à 31, écrites en réponse à une commande et achevées à La Haye en février 1766.

Bien sûr, ces œuvres laissent la première place au clavier et le second instrument n'y acquiert un début d'indépendance que très lentement, sans que l'on puisse encore parler d'un véritable dialogue entre les deux partenaires. Malgré ces limites, on ne peut qu'être impressionné par le savoir-faire d'un gamin de huit à dix ans qui, en un temps record, a assimilé diverses influences dont deux le marqueront pour le reste de sa vie créatrice : d'abord celle de Johann Schobert, qu'il connut à Paris et dont la musique, par la place accordée à l'émotion et au sentiment poétique, marqua profondément Wolfgang ; puis celle, mieux connue, de Jean-Chrétien Bach, qu'il fréquenta beaucoup pendant son séjour à Londres. C'est ce dernier dont on retrouve surtout la marque dans les sonates hollandaises, qui sont techniquement les plus avancées. On peut cependant leur préférer les deux séries précédentes qui, dans l'ensemble, ont plus de fraîcheur et de spontanéité, voire d'originalité et de poésie. On pense en particulier à l'Adagio de K 7, dont Leopold disait à juste titre qu'il était « d'un goût tout à fait particulier », à l'Andante (en fa mineur) de K 13, page hautement poétique et étrangement envoûtante par son caractère répétitif, ou plus encore à l'étonnant Andante maestoso (1er mouvement) de K 15, qui offre pour la première fois un dialogue entre les deux instruments et se signale par une sorte de grandeur ainsi que par l'expressivité de ses changements de climat. A vrai dire, c'est dans les six londoniennes, surtout jouées dans la combinaison flûte et pianoforte, que l'amateur curieux trouvera le plus son bonheur, d'autant qu'elles sont comme un merveilleux portrait en musique de l'enfant Mozart tel qu'on nous le décrit souvent, tout à la fois charmant (et charmeur), sensible et affectueux, gai, vif et facétieux.

W. A. Mozart, Sonate en majeur K 7.
W. A. Mozart,, Sonate en ut majeur K 14 par Jean-Pierre Rampal et Robert Veyron (?).
W. A. Mozart, Sonate en si ♭majeur K 15 par Olivier Baumont, Jean-Christophe Frisch, Antoine Ladrette.

Sonates de l'année 1778 : K 296 et K 301 à 306

Puisque leur authenticité est sérieusement mise en doute, nous passons ici, non sans regret, sur les six sonates « milanaises » K 55 à 60 qui, comme les quatuors du même nom, avaient été attribuées à un Mozart de dix-sept ans, pour nous concentrer sur les sept sonates composées au cours du premier semestre 1778, à Mannheim puis à Paris. Il s'agit des six sonates « palatines » K 301 à 306 et de la K 296 en ut majeur. De par l'indépendance acquise par le violon, ce sont les premières « vraies » sonates pour violon et piano du compositeur. Parmi les sept, cinq se contentent de deux mouvements, selon le modèle de Jean-Chrétien Bach ;  leur structure n'en reste pas moins solide et équilibrée.

Composées à Mannheim, les quatre premières « palatines » (K 301 en sol majeur, K 302 en mi♭ majeur, K 303 en ut majeur et K 305 en la majeur) et la K 296 en ut majeur (celle-ci en trois mouvements) révèlent de la part du musicien une sûreté de main et une liberté créatrice tout à fait remarquables. On y sent même une certaine ivresse qu'on peut rapprocher — une fois n'est pas coutume — d'une circonstance précise. Leur composition coïncide en effet « avec la naissance de l'amour violemment passionné de Mozart pour Aloysia Weber. Cet amour n'était pas encore repoussé à l'époque, et les Sonates expriment des sentiments où le bonheur prédomine. Leur langage est intensément mélodique et le violon exploite pleinement son indépendance nouvellement conquise, planant en grandes courbes cantabile. »71 On y relève de nombreux traits qui font penser à l'opéra, et en même temps une palette de sentiments où l'insouciance et l'allégresse font place à la tendresse ou à la mélancolie, comme dans le rondo final (marqué andante grazioso) de K 302 ou plus encore dans le mouvement central (andante sostenuto) de K 296, un vrai chant d'amour, tendre et nostalgique, adressé par Wolfgang à Aloysia juste avant de quitter Mannheim pour Paris. Et cette diversité de climats se double d'une appréciable variété dans la facture, que ce soit dans les procédés utilisés pour donner corps au dialogue entre les deux partenaires ou dans l'architecture même des sonates. Une architecture parfois bien peu conventionnelle, à l'exemple du premier mouvement de K 303 qui s'autorise un plan adagio-molto allegro-adagio-molto allegro.