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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte : La musique instrumentale de Wolfgang Amadeus Mozart

Diverses œuvres de musique de chambre avec vents de Wolfgang Amadeus Mozart

Mozart

Pour cordes seules, Avec piano, Œuvres diverses.

À côté de sa production pour cordes seules et de ses oeuvres de chambre avec piano, et sans même parler des partitions relevant plus de l'Harmoniemusik ou du pur divertissement que de la musique de chambre, Mozart nous a laissé diverses compositions conçues pour des combinaisons allant de deux à cinq instruments et comportant au moins un instrument à vent. Un corpus qui, une fois de plus, illustre la variété de sa palette et, surtout, inclut quelques superbes réussites.

Quatuors avec flûte, K 285/285a/285b/298

« Qu'y a-t-il de pire qu'une flûte ? » Réponse : « Deux flûtes ! » Que ce bon mot soit de Mozart lui-même ou (plutôt) de Cherubini, il dit bien les limites de l'instrument de l'époque, qui exposaient les flûtistes (même les plus qualifiés) à de redoutables problèmes de justesse. Bien plus qu'une prétendue aversion fondamentale à l'égard de la flûte, c'est probablement cela qui explique que Mozart ne lui ait consacré qu'un tout petit nombre d'œuvres, toutes ou presque écrites sur commande et, parfois, à contre-cœur. Mais à l'écoute, on a l'impression qu'il lui a accordé une amicale et chaude complicité.

C'est en tout cas ce qui apparaît dans ces quatre quatuors avec flûte dont les deux premiers sont le fruit d'une commande d'un gentilhomme hollandais reçue par Mozart fin 1777 alors qu'il était à Mannheim. Et si le tout premier — K 285 en majeur — réunit tous les suffrages, ce n'est que justice, car c'est un pur joyau de l'art galant, rehaussé par un moment d'exception, son bref adagio avec pizzicato des cordes dans lequel Alfred Einstein voit « une page de la plus exquise mélancolie, peut-être le plus beau solo avec accompagnement jamais écrit pour la flûte… » Les deux suivants — K 285a en sol majeur et K 285b en ut majeur — qui se limitent à deux mouvements, ne s'élèvent guère au-dessus du divertissement de bonne compagnie, mais celui en sol ne manque pas de séduction mélodique, et celui en ut, nettement plus tardif (il semble dater de la première année de Mozart à Vienne), suscite au moins l'attention par son finale qui constitue un premier état du thème varié de la fameuse sérénade (Gran Partita) pour treize instruments à vent K 361.

Quant au dernier de ces quatre quatuors, le K 298 en la majeur, on se gardera de le prendre trop au sérieux car, lorsque Mozart écrivit cette œuvre en trois brefs mouvements (certainement vers 1786-1787), il ne fait guère de doute que c'était pour pimenter un peu plus les soirées amicales passées chez les Jacquin. En empruntant des thèmes (aussi conventionnels que possible) à deux de ses contemporains (son ami Hoffmeister et Paisiello), il se livre à une parodie de certaines musiques à succès de son temps, en en soulignant le caractère insipide et négligé. Sans doute pour être sûr d'être bien compris, il intitule le finale « Rondieaux » et se fait étrangement directif dans ses indications d'interprétation, précisant « gracieusement animé, mais pas trop vite, pas trop lent non plus, du reste, comme ci… comme ça… avec beaucoup de feu et d'expression ». « On pense aux bonnes plaisanteries dont Mozart parsemait les manuscrits des œuvres qu'il destinait au corniste-fromager Leitgeb. Réservons donc notre admiration pour les véritables chefs-d'œuvre — et le Quatuor en K 285 en est un ! — mais, lorsque Mozart s'amuse, ne boudons pas notre plaisir et amusons-nous avec lui ! »93

Wolfgang Amadeus Mozart, Quatuor en majeur K 285, II. Adagio ; III. Rondo) par Emmanuel Pahud (flûte), Guy Braunstein (violon), Ori Kam (alto), Olaf Maninger (violoncelle), Schubertiades 2007.


Quatuor avec hautbois, K 370

Ce merveilleux quatuor pour hautbois et cordes en fa majeur K 370 vit le jour à Munich au moment de la création d'Idoménée. « Destiné et dédié au fameux hautboïste munichois Friedrich Ramm, il fut achevé fin janvier ou début février 1781. Ramm était plus qu'un simple virtuose : un compte-rendu de l'époque nous dit qu'il jouait avec une profondeur de sentiment et une variété de ton exceptionnelles. Mozart en a pleinement tenu compte et, s'il donne naturellement la prépondérance au hautbois, il réussit à rendre les parties de cordes nettement plus denses et expressives que dans ses quatuors avec flûte. »94  Malgré ses dimensions restreintes, ce quatuor compte parmi les œuvres de chambre les plus précieuses de Mozart. Il le doit en particulier à son adagio, d'une poignante intensité émotionnelle, mais presque autant aux facéties de son joyeux rondo final.

Wolfgang Amadeus Mozart, Quatuor en fa majeur K 370, II. Adagio.
Wolfgang Amadeus Mozart, Quatuor en fa majeur K 370, III. Rondo.

Quintette avec cor, K 407

Comme ses concertos pour cor, Mozart écrivit ce quintette en mi♭majeur K 407 à l'intention du malheureux corniste fromager Leitgeb (ou Leutgeb) qui, malgré ses talents de virtuose, fut la cible favorite de ses plaisanteries (et on sait que, lorsque Mozart « se lâchait », il faisait rarement dans la dentelle !). Le présent quintette, qui tient plus du concerto de chambre que du dialogue chambriste, en est à sa manière un témoignage en forme de plaisanterie musicale, puisque, dans le premier mouvement, Mozart se livre à quelques moqueries à l'endroit du corniste. Mais, avec sa distribution originale (deux altos pour un seul violon), l'intérêt de l'œuvre ne se limite pas à ces jeux ironiques. L'andante est « un petit joyau d'expression tendre et intime, au cours duquel le cor et le violon poursuivent un dialogue amoureux. »95 Et le rondo final est lui-même une page attrayante, pleine d'esprit, et non dénuée de profondeur dans son épisode central en ut mineur.

Quintette en mi♭bémol majeur, K 407, par Bruno Schneider (cor).

Quintette avec clarinette, K 581

On sait la fascination de Mozart pour la clarinette, un instrument qu'il avait découvert dès son enfance, lors de son séjour à Londres, dont il appréciait au plus haut point les vertus (tessiture étendue, richesse des couleurs et chaleur expressive), et qui, à partir de 1784, allait acquérir chez lui une signification extramusicale, devenant par excellence l'instrument de la fraternité maçonnique. Et le hasard fit bien les choses, puisqu'il eut comme frère en maçonnerie et ami intime le plus grand des clarinettistes de son temps, Anton Stadler. C'est à l'intention de celui-ci qu'il composa ses quelques grands chefs-d'œuvre pour la clarinette, dont ce légendaire quintette en la majeur K 581 de septembre 1789. « Le quintette « à Stadler », première œuvre de l'histoire de la musique à associer la clarinette au quatuor à cordes, a connu une magnifique descendance dans ce domaine : Weber, Brahms et Max Reger. Cependant la perfection de l'œuvre mozartienne reste insurpassée car, de même que le Concerto terminé en septembre 1791, elle exploite à fond toutes les possibilités de timbre et d'expression de l'instrument, particulièrement son registre grave que Stadler cultivait avec prédilection. »96 Bien qu'écrite au cours d'une des périodes les plus noires du compositeur, c'est une œuvre plutôt heureuse, d'une prodigieuse spontanéité créatrice, qui balance entre allégresse et repli méditatif et irradie une incomparable chaleur humaine. Elle « concentre à un point incroyable, d'une façon si dense qu'elle en est presque difficile à supporter, la charge poétique dont une œuvre musicale est capable… C'est une de ces pièces dont on serait tenté de dire : « C'est trop beau !… » Jamais l'art mozartien (exception faite pour l'Et incarnatus de la Grande Messe) n'a atteint cette puissance de fascination, de giration sur place. Ce n'est plus la sensualité sonore qui nous envoûte, mais, grâce à un dépouillement extrême, à une raréfaction de la matière sonore, c'est un tissu musical d'une égalité parfaite qui favorise le vide mental et l'immobile contemplation… »97

Wolfgang Amadeus Mozart, Quintette en la majeur K 581 I. Allegro, par Richard Stoltzman et The Tokyo String Quartet.
Wolfgang Amadeus Mozart, Quintette en la majeur K 581 II. Larghetto, St Martin's chamber ensemble.

Œuvres diverses

Parmi les autres œuvres de chambre à thésauriser, il faut citer en bonne place l'Adagio et Rondo en ut mineur K 617 que Mozart écrivit en mai 1791 (alors qu'il travaillait à la composition de la Flûte enchantée) pour Glasharmonica, flûte, hautbois, alto et violoncelle. Ce « quintette » à la distribution peu ordinaire est « une œuvre d'une beauté céleste, immatérielle, le double profane et instrumental du motet Ave verum écrit trois semaines plus tard. »98 L'écriture est translucide, les sonorités sont magiques, et de plus, on plonge une fois de plus au cœur de l'intimité mozartienne.

Wolfgang Amadeus Mozart, Adagio et Rondo en ut mineur, K 617, par Thomas Bloch (glasharmonica), Philippe Bernold (flûte), Maurice Bourgue (hautbois), Jean Sulem (alto), Xavier Gagnepain (violocelle).

Autre œuvre insolite : la sonate (ou duo) en si♭majeur K 292, pour basson et violoncelle, que Mozart écrivit à Munich en 1775, peut-être d'ailleurs pour deux bassons. Telle qu'elle nous est parvenue, c'est une œuvre d'une ambition modeste où, en joyeux drille, le basson est invité à cabrioler à son aise, alors que le violoncelle se limite à un simple accompagnement.

Assez confidentiels, mais particulièrement attachants : les douze duos K 487 de 1786 pour cors de basset. « Les cors de basset, fort prisés alors dans l'accompagnement des cérémonies maçonniques, sont là pour marquer la connivence dans l'idéal. Quant au ton et à l'inspiration, ils sont ceux de la familiarité simple et de l'amitié, leur style celui de brefs croquis dressés d'une plume alerte, volubile et charmeuse. »99 Ce qui n'empêche pas les interprètes les plus inspirés d'y dénicher des moments de réelle gravité et d'une belle profondeur de sentiment.

Dans ce même registre des œuvres faisant appel aux cors de basset, on s'en voudrait de ne pas citer encore quelques menus trésors relevant de la Hausmusik amicale que Mozart pratiquait dans ses cinq dernières années, notamment dans ses soirées chez les Jacquin : le bref adagio en fa majeur K 410 (ou K 484d) pour deux cors de basset et basson ; le beaucoup plus substantiel adagio en si♭majeur K 411 (ou K 484a) pour deux clarinettes et trois cors de basset ; et — tout aussi substantiel, bien que laissé à l'état de fragment — l'adagio en fa majeur K 580a pour clarinette et trois cors de basset. Ce sont là des morceaux de profonde intimité que tout mozartien fervent ne laisserait échapper sous aucun prétexte. De plus, à travers le dernier cité, on peut voir qu'en entrant en maçonnerie, Mozart n'eut pas le sentiment de trahir sa foi catholique. Soulignant ce point, Jean-Victor Hocquard cite un commentaire évoquant cet adagio : « La sérénité qui s'en élève est identique à celle perçue à la fois dans les œuvres rituelles maçonniques et dans certains passages des messes de sa jeunesse. Cela est si vrai que le thème mélodique de cet adagio est celui que Mozart reprend, l'année de sa mort, pour composer l'Ave verum. Ce cantique […] est en réalité un cantique maçonnique composé à d'autres fins, mais dans un même esprit, quelques années auparavant. Cela n'a rien de surprenant. Pour Wolfgang, foi maçonnique et foi religieuse n'ont fini par faire qu'un, à la fin de sa vie. C'est par le même chant qu'il exprime l'une et l'autre foi… »100

Wolfgang Amadeus Mozart, Adagio en si♭majeur, K 411, par Karl Leister et Silvio Maggioni (clarinette), Luigi Magistrelli, Laura Magistrelli, Carlo dell'Acqua (cor de basset).
Wolfgang Amadeus Mozart, Adagio en fa majeur, K 580a, par Karl Leister (clarinette), Luigi Magistrelli, Laura Magistrelli, Carlo dell'Acqua (cor de basset).

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Vendredi 17 Novembre, 2023

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