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Lille, 9-11 juin 2017, par Strapontin au Paradis ——

Lille Piano(s) Festival : Récitals solo et duo

Teo Gheorghiu. Photographie © Ugo Ponte - Orchestre National de Lille.

Parmi les nombreux récitals, un coup de cœur va d'abord à Teo Gheorghiu, dimanche 11 juin, au conservatoire. Ce pianiste natif de Zurich, d'origine roumaine et canadienne, est trop rare en France, hormis quelques apparitions épisodiques, notamment au festival Piano aux Jacobins de Toulouse. Il est encore adolescent (né en 1992) lorsqu'il obtient le premier prix aux concours internationaux de San Marino (2004) et de Franz Liszt à Weimar (2005), il est lauréat du Beethovenring à  la Beethovenfest de Bonn (2010).

À chaque fois, il séduit d'emblée par la qualité sonore et son sens analytique naturel. Ainsi, dans Les Scènes d'enfants, de Schumann, il propose une lecture totalement débarrassée du concept de programme ou des aspects descriptifs liés au titre de chaque morceau. Dans « Fast zu ernst », il laisse par moments la pédale forte longuement maintenue pour créer un effet sonore embrumé et inattendu. Ses Valses nobles et sentimentales, de Ravel, sont saisissantes d'équilibre entre le caractère de chaque pièce et son tempo, ainsi que dans la succession de chaque pièce, si bien que son interprétation ne donne aucune suspension musicale, ce qui est rare. Pour terminer, il n'oublie pas l'exercice de virtuosité éclatante dans les Études tableaux, opus 33, de Rachmaninov, qui laisse cette fois aux auditeurs une grande palette d'imagination picturale.

Pour l'anecdote, les cinéphiles se souviendront que le musicien a joué, à l'âge de 11 ans, son propre rôle d'enfant pianiste surdoué, dans le film Vitus de Fredi Murer.

Vikingur Olafsson. Photographie © Ugo Ponte - Orchestre National de Lille.

Vendredi 9 juin (22 heures), à l'auditorium du Nouveau Siècle, Vikingur Olafsson, pianiste islandais en pleine ascension internationale, donne un récital atypique avec la 6e partita de J.-S. Bach et des œuvres de Philippe Glass, pour rendre hommage au compositeur américain à l'occasion de son 80e anniversaire. La partita qui à une pulsation presque « techno », des couleurs chatoyantes et nerveuses, surprend par sa perfection technique ahurissante. Les nuances colorées adoptées par le pianiste dans l'Opening et les études 9, 5 6 de Glass donne à ces musiques répétitives un aspect extrêmement romantique. C'est incontestablement un talent à suivre de près.

Samedi 10 juin (11 heures), au Conservatoire, le programme entièrement consacré à Schumann (Papillons, Carnaval et Chants de l'Aube) par Philippe Bianconi, se distingue par l'élégance et la chaleur du son. L'enchaînement des Papillons au Carnaval, que curieusement peu d'interprètes osent programmer, impose les liens évidents entre ces deux ensembles de miniatures. À ce propos, Bianconi livre quelques clés ou « secrets », au cours de la rencontre-récital qui a lieu plus tard dans la journée, au Furet du Nord, en expliquant comment il aborde les liens, relatifs aux écrits de Jean-Paul et d'E.T.A. Hoffmann avec la musique de Schumann. Il s'agit d'une passionnante analyse « littéraire » d'un pianiste qui vit concrètement ces rapports au clavier. Le concert se termine avec Les Chants de l'Aube, œuvre méconnue, sorte de crépuscule paisible d'une vie, malgré le titre, et en bis, « Aufschwung » extrait des Fantasiestücke et la pièce finale de la Davidsbündlertänze, pleine d'expressions emportées, contrôlées avec intelligence par le pianiste.

Lucas Debargue, entré dans la cour des grands en peu de temps, depuis son prix au dernier concours Tchaïkovski, était à la hauteur de sa réputation le 11 juin, à l'auditorium du Nouveau Siècle. S'il insiste naturellement sur le caractère tragique de l'une des dernières grandes sonates de Schubert, la 16e en la mineur (opus posthume), en mettant l'accent sur le fameux mineur-majeur schubertien, la 2e sonate de Szymanowski est magistrale. Sans se laisser intimider par les difficultés techniques à l'extrême qui frôlent l'extravagance, il maîtrise avec acuité le caractère mystique de l'œuvre, tout en étant totalement absorbé par la musique. Espérons que ses doigts réhabiliteront cette sonate délaissée jusqu'à maintenant.

Le vainqueur de la dernière édition du concours international de piano d'Orléans consacré aux œuvres du xxe et du xxie siècle, Takuya Otaki interprète les pièces d'Hector Parra, né en 1976 (Caricies cap al blanc et Una pregunta), de Takemitsu (Rain Tree), de Liszt (Mephisto Valse no 2) et de Bartók (Rhapsodie). Son jeu, dominé par les touches percussives vigoureuses, dont il profite admirablement dans Bartók, risque de faire oublier aux auditeurs les passages tendres, même s'il les joue avec justesse. La sensibilité précieuse dont il fait preuve dans Takemitsu sera davantage bienvenue pour Liszt. Également dans Mephisto Valse, quelques détails inaccomplis laissent une bonne marge de progression qui sera, espérons-le, comblée avec bonheur.

Thomas Enhco et Ismaël Margain. Photographie © Stéphane Delavoye.

Pour ce chapitre, le concert à deux pianos avec Thomas Enhco, pianiste de jazz affectionnant la musique classique et Ismaël Margain, musicien classique sachant parfaitement jouer du jazz, est marqué par une grande liberté, samedi 10 juin (20 h 30), au Conservatoire. Au programme annoncé, deuxième mouvement de la sonate pour deux pianos en majeur K. 448 de Mozart et des valses opus 39 de Brahms, ainsi que des extraits des derniers albums d'Enhco et la composition de Margain, C Train. Entre ces pièces sont insérés des improvisations et des standards de jazz, reprenant parfois des motifs de la pièce précédemment jouée, sous forme plus ou moins transformée, jusqu'à devenir à peine reconnaissable. Cela rend le concert vivant et convivial, proposant une autre façon d'aborder le classique. En bis, Ismaël apparaît avec son saxophone, puis Thomas avec son violon, et s'amusent à insérer très brièvement des thèmes de Happy Birthday et de Star Wars — ou sont-ce des réminiscences fortuiites ? — partageant avant tout le plaisir de jouer de la musique entre amis.

Voir : Lille Piano(s) Festival 2017 : encore plus d'éclectisme joyeux

La 15e édition aura lieu du 6 au 8 juin 2018.

 Strapontin au Paradis
1er juillet 2017
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