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Marseille, 14 octobre 2017, par Jean-Luc Vannier ——

Les voix de La Favorite charment l'Opéra de Marseille

La favoritePaolo Fanale (Fernand). Photographie © Christian Dresse.

Marseille n'avait pas entendu cette œuvre depuis 1968. Étonnamment, il n'y avait pas foule pour découvrir, vendredi 13 octobre, la première de La Favorite spécialement créée en décembre 1840 par Donizetti afin de satisfaire le goût du public français. Certes, le livret d'Alphonse Royer et de Gustave Vaëz, d'après le drame de François-Thomas-Marie De Baculard d'Arnaud Les Amants malheureux ou le comte de Comminges ne brille pas par l'épaisseur de son intrigue. La partition n'est pas, non plus, une des plus inoubliables du compositeur.

Mais c'était sans compter sur la magie des voix, débarrassées pour cette version concertante des lourdes exigences d'une mise en scène : un vrai bonheur car ces dernières, trop souvent à notre avis, écrasent plus qu'elles ne rehaussent les trésors d'une œuvre lyrique. Et ce, au détriment de la concentration des artistes. Lorsque ceux-ci, comme hier soir derrière leur pupitre, sont tout à leur chant, il n'est pas rare d'observer de leur part les manifestations expressives d'une énergie libre, d'une énergie délestée de toute coercition. Soucieux même de se convaincre de leur rôle comme de leur talent, ces chanteurs ont à cœur de transmettre par leur seule voix et dans un rapport qu'ils savent direct, de confrontation sans artifice et sans filet avec la salle, les émotions qui les étreignent. Cela donne une soirée particulièrement réussie et nourrie d'applaudissements adressés aux uns et aux autres pendant la représentation puis d'ovations à l'issue de la performance. Et nous devinons bien qu'il ne s'agit pas là de bravi polis et convenus mais, au contraire, d'un quantum d'affects dont chacun s'efforce, par ces acclamations, de s'affranchir.

lafavoriteJean François Lapointe (Alphonse XI), et Clémentine Margaine (Léonor). Photographie © Christian-Dresse.

Respectueux, comme il le déclare dans un entretien réalisé pour l'opéra de Marseille, de cette « impulsion rythmique, de la veine mélodique et de l'instrumentation magistrale de cette œuvre » dont il convient de « trouver le juste équilibre » afin d'éviter « une masse sonore excessive mais sans avilir le rôle de l'orchestre », Paolo Arrivabeni, au fait de cette œuvre pour l'avoir déjà dirigée au TCE en 2013, mène admirablement le trafic orchestral et les chœurs de l'établissement lyrique phocéen. Cela ne nous surprend guère si nous nous souvenons des directions irréprochables du maestro dans un Moïse et Pharaon en 2014 sur la Cannebière, puis dans un Don Giovanni à Monte-Carlo l'année suivante. Son nom sur l'affiche est un gage de réussite.

Dans le rôle de Léonor, la mezzo-soprano Clémentine Margaine, que nous avions entendue au Deutsche Oper de Berlin en mai 2013 dans un audacieux Rigoletto, fait résonner sa très belle voix, à la tessiture étendue et cohérente mais dont le timbre cuivré peut susciter quelques aigus légèrement âpres. Tout comme notre collègue qui l'avait décrite dans son interprétation récente de Carmen au TCE, nous regretterons sa prononciation parfois exotique du français ainsi que les nombreuses syllabes littéralement englouties dans sa diction. Habituée des seconds rôles à l'opéra de Marseille, la soprano nîmoise Jennifer Michel assure avec élégance les interventions du personnage d'Inès.

La favoritePaolo Fanale (Fernand), et Nicolas Courjal (Balthazar). Photographie © Christian Dresse.

Les voix masculines remportent un légitime succès. Nous attendions la prestation de Paolo Fanale avec u voix masculin intérêt non feint après la relative déception de sa présence dans Romeo et Juliette à l'opéra de Monte-Carlo en novembre 2014, qu'il avait certes compensée par un investissement plus marqué dans son interprétation de Nemorino un mois plus tard à Marseille. Nous rendons les armes dès son premier air « Un ange, une femme inconnue » qu'il termine par un superbe « plaisir et effroi » à l'aigu quasi orgasmique. Timbre flamboyant, aigus solides mais doux comme du velours, intonations de couleurs vives ou riches en pastels, il ne quittera plus ce niveau d'excellence lyrique de la soirée, enchaînant applaudissements et ovations, tant par son déchirant « la douleur tue » qu'avec son ultime « ange si pur » à l'acte IV. Enjoué, guilleret et sûr de lui derrière son pupitre, décochant des sourires complices au maestro ou au premier violon, autant dire que le ténor italien au teint légèrement hâlé (« il se remet d'un coup de froid » nous affirmait-on avec témérité !) tenait une très grande forme. Auprès de lui, Jean-François Lapointe, autre assurance de sérieux et de succès dans une distribution (rappelons-nous son majestueux Hamlet ou  sa remarquable prise de rôle du Wolfram dans Tannhaüser version de Paris à Monaco, nous offre un personnage d'Alphonse  XI d'envergure, en particulier dans un émouvant « Pour toujours, tu m'appartiens » ponctué de très émouvantes intonations. Le baryton québécois nous donne une intelligente leçon de chant par la justesse de ses nuances qui équilibrent subtilement puissance et densité. Un travail rigoureux qui le conduira, dans un mois à Genève, à chanter pour la première fois le rôle de Benvenuto Cellini dans Ascanio de Camille Saint-Saëns.

la favoriteLa Favorite, Opéra de Marseille. Photographie © Christian Dresse.

Alors que nous étions resté sur notre faim avec sa prestation dans son Don Carlo en fin de saison marseillaise, la basse Nicolas Courjal incarne le moine Balthazar avec une ampleur rarement égalée : graves impeccables et d'une profondeur abyssale, redoutables imprécations d'une puissance céleste et ce, sans aucune défaillance du début jusqu'à la fin. Du grand art lyrique. Le ténor Loïc Félix tient parfaitement le rôle de Gaspard sans faire courir de risque à cette exceptionnelle cordée vocale masculine. Des voix, juste des voix, rien que des voix mais quelles voix !

Marseille, 14 octobre 2017
Jean-Luc Vannier
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