musicologie
Théâtre des Champs-Élysées, 12 mai 2017, par Frédéric Norac ——

Des Pêcheurs de perles inégaux

Les Pêcheurs de perles. Photographie © Ugo Ponte - ONL.

Salle archicomble et ambiance surchauffée (dans tous les sens du terme) pour cette version de concert des Pêcheurs de perles où les « Grandes Voix » avaient réuni quatre parmi les éléments les plus prometteurs de la jeune génération du chant français. À l'instar d'un public gagné d'avance, nous étions venu  confiant et plein d'attente pour un plateau qui suscitait d'emblée notre sympathie et dont nous suivons depuis quelques années les carrières. Nous sommes repartis un peu songeur et sur notre faim.

Prenons les par ordre d'apparition : Florian Sempey qui approche désormais la trentaine semble avoir perdu de sa capacité à colorer et à nuancer son chant. Son Zurga, au timbre rugueux, uniformément autoritaire semble uniquement soucieux de faire valoir sa puissance. Même dans son unique air du 3e acte « La tempête s'est calmée », il ne trouve que de justesse quelques accents de douceur et d'introspection. Cyrille Dubois laisse perplexe à l'issue de son air le plus attendu « Je crois entendre encore » (salué disons-le tout de même par une ovation du public). Ce n'est pas seulement que la voix paraît bien étroite pour prétendre au répertoire de ténor lyrique, car son excellente technique le protège de toute défaillance, mais elle ne lui permet pas de déployer un authentique légato. Son intonation haut perchée et son phrasé probe, mais singulièrement appliqué laissent l'impression bizarre d'entendre une haute-contre d'opéra baroque égarée dans le répertoire du XIXe siècle. Heureusement, sa jolie sérénade de l'acte II rattrape amplement cette première impression et il tient très honorablement sa place dans les duos et les ensembles. D'évidence, à moins d'une évolution radicale de sa voix, Nadir marque l'extrême limite des rôles auxquels le chanteur peut prétendre. Tous les souffles se suspendent lorsqu'entre en scène Julie Fuchs qui pour être en phase avec cet opéra oriental a orné sa coiffure à bandeaux d'un bijou qui descend jusque sur son front. Le timbre moelleux et séduisant, les sons flottés de son invocation au « Dieu Brahma » lui réussissent plutôt bien et tant que la voix reste dans les régions centrales et le haut médium, la chanteuse convainc, mais dès que l'écriture exige quelques excursions au-dessus de la portée les aigus la trouvent un peu courte, voire parfois un rien approximative. On comprend dès lors aisément qu'avec une technique aussi aléatoire elle ait renoncé à aborder l'année dernière Lucia di Lammermoor qui l'aurait à coup sûr mise à bien plus rude épreuve que Leila. Enfin Luc Bertin-Hugault est un Nourabad solide et fiable dont la raideur convient parfaitement au rôle.

La grande surprise du concert vient de la direction d'Alexandre Bloch, récent successeur de Jean-Claude Casadesus à la tête de l'Orchestre national de Lille. Le chef à la baguette énergique et inspirée révèle dans une œuvre généralement considérée comme secondaire, un potentiel dramatique rarement entendu à ce niveau. Non seulement y apparait l'évidente filiation de Bizet avec les maîtres du grand opéra à la française (Meyerbeer et Halévy) dans la force théâtrale et expressive des ensembles, mais sa maîtrise de l'orchestration, notamment une incroyable utilisation des cuivres, laisse pressentir en germe le génie qui s'affirmera définitivement dans Carmen. Les Cris de Paris en formation renforcée offrent une prestation impeccable, homogène, à l'articulation française toujours intelligible, une qualité qui doit également être portée au crédit des solistes.

Frédéric Norac
12 mai 2017
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