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Nantes, Théâtre Graslin, le 21 janvier 2017, par Strapontin au Paradis ——

Création mondiale de l'opéra Little Nemo

Nantes, Théâtre Graslin. Nemo affronte Flip au Slumberland. Photographie © Jef Rabillon pour Angers-Nantes Opéra.

Angers-Nantes Opéra, en coproduction avec l'Opéra de Dijon et l'ensemble instrumental Ars Nova, crée Little Nemo, un opéra pour tout public dès 7 ans, d'après la bande dessinée Little Nemo in Slumberland (1905) de Winsor McCay (1869-1934). La musique est composée par David Chaillou (né en 1971) sur le livret d'Olivier Balazuc (également metteur en scène) et Arnaud Delalande, et interprétée sous la direction de Philippe Nahon.

Modèle d'actions culturelles auprès des écoliers

Outre les représentations pour tout public (5 représentations à Nantes et Angers, ainsi que 4 à Dijon), les enfants peuvent assister à l'une des 12 séances présentées sur le temps scolaire et des 2 séances en audiodescription à Nantes et à Angers. En effet, Angers-Nantes Opéra a déployé des moyens considérables afin de sensibiliser le public scolaire à la création de l'œuvre, à travers des jeux et des médiations. Et ce en mobilisant tous les acteurs de l'Éducation nationale et de la Région (DRAC, Rectorat, Opéra…) et en proposant aux médiateurs, aux maîtres et professeurs des écoles le « kit Little Nemo ». Ce kit comprend entre autres des extraits sonores et la partition pour répéter « Le Carnaval des nations » — chanté avec le public lors de représentations —, des jeux d'expression (création de rêve, tableau de son propre scénario…), des planches modifiées (jeu de mise en ordre à une histoire, à partir des images dans le désordre, sans décors, avec des paroles à inventer dans les bulles vides…), mais aussi des planches et films d'animation par l'auteur de la bande dessinée, les maquettes de costumes de Bruno de Lavenère…

Grâce à ces outils, 5 208 enfants de 167 classes d'établissements scolaires et 764 personnes des zones prioritaires ont pu participer à cette vaste opération. À la représentation pour tout public à laquelle nous avons assisté, le 21 janvier à 20 heures, presque la moitié de la salle, pleine, était occupée par les enfants, qui suivaient très « sagement » et ravis, ce qui se déroulait sur scène.

Nemo speculateur immobilier. Photographie © Jef Rabillon pour Angers-Nantes Opéra.

Enchantement scénique

En effet, sur la scène se succèdent des tableaux enchantés, des costumes très colorés, et des décors intégrant efficacement des vidéos et des lumières, qui semblent tout droit sortis des planches de Winsor McCay. Les dessins et les histoires de ce dernier, à la fois réalistes et fantaisistes, sont une source inépuisable d'inspiration pour des générations de créateurs : auteurs, cinéastes, dessinateurs, décorateurs… Pas étonnant donc que l'équipe de notre opéra explore au maximum cet aspect, d'autant que la grande partie de l'histoire, se passant dans un rêve, fait appel à une grande imagination.

Nemo est aujourd'hui un spéculateur immobilier. Il rachète à bas prix un quartier populaire tout entier qu'il rase pour y construire des immeubles modernes dédiés aux bureaux et aux boutiques de luxe. Toujours occupé par ses affaires lucratives, il n'a guère le temps de dormir, ni de rêver. Mais la mort brutale de sa mère le ramène à sa maison d'enfance dans l'un de ces quartiers qu'il a rachetés. Dans son ancienne chambre, arrive le Môme Bonbon, messager du roi Morphée, qui l'invite à revenir à Slumberland. Il faut absolument s'y rendre en toute urgence : le pays des songes est en danger, car les hommes ne croient plus en leurs rêves, et la princesse, faute de revoir Némo depuis une quarantaine d'années, se meurt. Arrivé à Slumberland, il doit surmonter des obstacles pour retrouver la Clé des songes qui a le pouvoir de réenchanter le monde, tout en affrontant Flip, avide de tout posséder, qui n'est autre que le double de Nemo. Il doit également lutter contre le réveil, qui fera disparaître le rêve ! Finalement, après tant d'aventures, il se réveille avec l'âme d'enfant, et décide de construire un quartier où les enfants vivront enchantés.

Le livret est composé de nombreuses phrases rimées, parfois répétées à maintes reprises, tournées en drôlerie, attirant immédiatement l'attention de petits (et grands) spectateurs.

La vidéo et la lumière participent remarquablement à la restitution d'atmosphères réalistes ou oniriques : au lever du rideau, les tableaux de spéculation immobilière montrent les flèches constamment ascendantes, des gratte-ciel surgissent en nombre ; le passage à Slumberland puis au monde réel est exprimé avec les éclats et bulles de lumières se déplacent verticalement, telle une fusée spatiale. Pour les décors, les voilages blancs servent, éclairés à différentes couleurs selon les tableaux, comme écran de la lanterne magique, frontières entre le rêve et le réveil ou entre l'intérieur et l'extérieur ; un seul escalier indique le château luxueux de Morphée, aux côtés des lettres « Slumberland » en plastique gonflable, loufoques comme les costumes, les maquillages et les coiffures qui rappellent le film de Tim Burton Alice au pays des merveilles. Parmi les habitants du pays de rêve, les champignons-monstres sont couverts de ballons noirs, et certains de ces ballons, restés sur la scène, sont lancés à la fin de l'opéra vers la salle au grand plaisir des enfants (et des adultes).

Nemo adulte se transforme en Nemo enfant avec le Môme Bonbon. Photographie © Jef Rabillon pour Angers-Nantes Opéra.

La musique, symbole d'un monde irréel ?

Ce ravissement des yeux permettent, de manière naturelle, de « faire passer » la musique assez dissonante et disparate, sans véritables mélodies qui pourraient se fredonner aisément que l'on attendait. L'adéquation texte-musique-voix n'est pas toujours facile à trouver, la partition semble parfois dépasser la tessiture de certains chanteurs… ou est-ce l'écriture qui donne cette impression ? La partie parlée et le jeu d'acteur ont une telle importance qu'on peut considérer cette œuvre, dans une certaine mesure, comme un opéra-comique. L'ensemble de 13 musiciens — dirigés avec énergie par Philippe Nahon — où les cordes sont sous-représentées par rapport à un orchestre habituel, crée une sonorité originale à chaque situation. Tout cela pourrait symboliser le monde irréel dans lequel s'aventurent Nemo et les personnages insolites autour de lui.

Sur le plateau, c'est Chloé Briot qui attire le plus nos oreilles avec sa musicalité incontestable et la construction réussie de son rôle : Nemo enfant. Le double rôle de Nemo adulte et Flip est assuré par Richard Rittelmann qui est nettement meilleur dans le méchant que dans l'homme d'affaires. Hadhoum Tunc, alias la Princesse, forme un duo avec Bertrand Bontoux en Morphée, produisant un effet quelque peu bancal par la différence de timbre et de couleur de leurs voix, mais encore une fois, un effet voulu par la partition. Florian Cafiero, en Greffier, Docteur Pilule et le Chambellan, fait entrevoir surtout en ce dernier une personnalité vocale attachante, et nous aurions voulu l'entendre plus longuement. Les deux rôles, parlé (Môme Bonbon, qui chante aussi quelques notes) et muet (Imp le sauvage), sont confiés à l'acteur-mime Cyril Rabbath et le danseur Vincent Clavaguera, dont la performance renforce assurément le caractère féérique de l'œuvre .

Qu'on ne s'y trompe pas : si la réussite d'un tel spectacle auprès du jeune public permet de faire tomber des clichés sur l'opéra, les adultes sont tout autant sensibles et conquis.

Il reste encore d'autres représentations à destination du tout public où vous serez sûrs d'être émerveillés par cette superbe histoire : Opéra de Dijon, les 2, 3, 4 février et Le Grand-Théâtre d'Angers, les 22 et 24 mars.

Les costumes. Photographie © D. R.

 

Strapontin au Paradis
21 janvier 2017
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