musicologie
11 octobre 2017, par Frédéric Norac ——

Ambronay 2017 : vitalité et renouvellement

AmbronayRequiem Imaginaire, Jean-François Zygel, ensemble Spirito, sous la direction de Nicole Corti. Photographie © Bertrand Pichène.

Depuis la première édition du festival Eeemerging en 2014, le dernier week-end du festival d’Ambronay est devenu le rendez-vous obligé des amateurs de découvertes et des chasseurs de nouveaux talents. Cette année, l’inédit et la curiosité n’étaient pas le seul apanage de ce tremplin de jeunes ensembles qui depuis son lancement a porté de nombreux  fruits : les concerts de l’abbatiale offraient aussi leur lot d’inédits et d'expériences en tous genres.

Narcissisme funéraire

Le premier de la série était une sorte de pasticcio « religieux » imaginé par Jean-Francois Zygel (comme le fantasme de son propre enterrement), avec la complicité de la chef de chœur Nicole Corti. Avouons-le, ce « Requiem imaginaire » qui, au demeurant, ne respecte aucune forme de liturgie précise, aura surtout mis en relief les qualités de l'ensemble Spirito, d’une parfaite homogénéité, aussi à l’aise dans les subtilités aériennes du Lux Aeterna de Ligeti que dans la puissance extravertie des prières orthodoxes de Rachmaninov. Le choeur lyonnais se coule dans tous les styles de ce programme composite qui fait se côtoyer tous les tubes du répertoire sacré de Mozart à Poulenc et  auquel les improvisations au piano (amplifié) du maître de la didactique musicale tentent de donner un semblant d’unité sans vraiment y parvenir. Ses liaisons restent à un niveau très fonctionnel et ne dépassent guère celui d’une bonne paraphrase. À l’épicentre du concert on trouve un Kaddish de sa composition qui dénote un authentique métier mais reste d’une originalité limitée. Une soirée agréable mais sans grande portée.

Stupeur et tremblements

Eva ZaïcikEva Zaïcik. Photographie © D.R.

Antonio Draghi (1634-1700) appartient à la génération des successeurs de Monteverdi. Exact contemporain de Cavalli, il a importé le style et le langage de l'opéra vénitien dans les chapelles impériales des Habsbourg. Auteur de plus de 140 opéras, il est aussi parmi les promoteurs du « sepolcro », genre très en vogue à Vienne à la fin du xviie siècle. Quelque part entre opéra sacré et oratorio, ces pièces, pure expression de la piété de la « contre-réforme »,  étaient destiné à être exécutées pendant la Semaine sainte, le jeudi ou le vendredi, devant un simulacre de sépulcre (d'où leurs noms),  avec une visée édificatrice. À partir d'un épisode de l'évangile, elles mettent en scène des personnages  « sacrés » dans des scènes imaginaires autour de la Passion. Vincent Dumestre a exhumé de la poussière des bibliothèques autrichiennes ce « Terremoto » de 1682, basé sur l’évocation du tremblement de terre et des ténèbres qui suivent, dans la version de Matthieu, la mort du Christ. Le ton doloriste et sentimental du livret conditionne une musique certes expressive mais assez uniforme de tonalité où l’intégration du récitatif et de l’arioso est tout à fait remarquable. Des ensembles de toute beauté, des airs d’une grande originalité comme ce duo orné de trémolos de la Vierge et de Marie Madeleine ne suffisent pas toujours à renouveler l'intérêt. Reprise d'une version semi-scénique donnée dans le cadre des Misteria Paschalia de Cracovie en mars dernier, cette version de concert en utilise les mouvements des solistes et du chœur parfois un peu envahissants. On retiendra de l'excellent plateau vocal, la Vierge au phrasé subtil mais à la projection limitée de Léa Trommenschlager et la belle prestation de la soprano Eva Zaïcik en Marie Madeleine. Le petit chœur essentiellement composé de chanteurs polonais et les rôles secondaires sont également d'un excellent niveau. La direction souple et précise de Vincent Dumestre met en valeur l'orchestration raffinée de Draghi qui bien qu'essentiellement basée sur les cordes donne régulièrement l’occasion d’entendre le cornet à bouquin somptueux d'Adrien Mobire. Une découverte qui donne envie d'en savoir plus de ce compositeur injustement méconnu. Les amateurs pourront retrouver cette œuvre très originale à la Chapelle du Château de Versailles le 28 mars prochain.

Vivaldi à la russe

Dmitri SinkovskyDmitry Sinkovsky et La Voce Strumentale. © Bertrand Pichène.

Le week-end s’achève en véritable feu d’artifice avec le concert du violoniste et contreténor Dmitry Sinkovsky et de son ensemble si bien nommé La Voce Strumentale. Non seulement le violoniste russe est un virtuose éblouissant à la sonorité brillante, moelleuse et transparente, au coup d’archet plein de fougue, aux phrases subtils et inattendus mais il se révèle aussi un authentique interprète qui ne lâche jamais son auditoire et porte son ensemble avec lequel il est sans arrêt en dialogue jusqu’à des sommets d’expressivité. Sa science de l’ornement ne tombe jamais dans l’exhibitionnisme, et il donne de ces Quatre Saisons (si souvent rabâchées) une vision saisissante de vitalité.  Si ses prétentions dans le domaine vocal n’atteignent pas tout à fait au même niveau, il faut tout de même admettre que ses talents de contreténor sont plus que respectables malgré un petit déficit dans le bas du regsitre et un contrôle du souffle assez inégal. Son interprétation de la Cantate Cessate, omai cessate relève un peu de la coquetterie de star mais on lui pardonne volontiers cette petite faiblesse d'autant qu’elle vient apporter un peu de variété au programme. La température du concert retombe un peu en deuxième partie avec le concerto pour luth où Luca Planca jusque là remarquable dans le continuo, manque un peu de relief. Fort heureusement, le violoniste reprend la main avec le concerto en re majeur RV 242 dédié à Pisendel où il déploie la même énergie et la même subtilité que dans le célèbre cycle  et conclut la soirée avec deux superbes bis dont de rares variations sur la Follia di Spagna de Francesco Geminiani et une trop courte reprise d'un mouvement des Quatre saisons qui donne envie de réentendre tout le cycle. Un concert époustouflant qui justifie à lui seul le titre de cette édition du festival « Vibrations : souffle »1.

Eemerging, 4e édition : deux coups de coeur

Une fois de plus, à travers ce mini festival de six petits concerts, le monde de la musique ancienne et baroque aura prouvé sa vitalité. Il serait vain et fastidieux de faire l'analyse par le menu des six jeunes ensembles en lice pour obtenir le soutien des sept partenaires de cette initiative de l'Union européenne qui vise à révéler les nouveaux ensembles émergents. Nous renverrons plutôt aux quelques extraits mis en ligne sur Culturebox pour se faire une idée et nous nous  concentrerons sur nos deux coups de cœur dont l'originalité et du programme et de l'approche musicale est ce qui nous a le plus séduit. Le premier est le Concerto di Margherita. Inspiré de la pratique des concerts intimes d'amateurs éclairés, du genre de celui des Dames de Ferrare, il offre un programme centré sur la première moitié du xviie (Kapsberger, Frescobaldi, Gabrieli, Luzzaschi, Giaches de Wert et bien sûr Monteverdi) où les cinq membres de l'ensemble mené par la harpe de la soprano Tania Vagrin donnent de la voix dans des pièces de style madrigalesques qu'ils accompagnent avec une très grande liberté dans le choix de l'instrumentation (théorbe, viole de gambe, guitare et luth Renaissance).  Le titre du programme de l'Ensemble Continuu-M,  « Sur les ailes de Zéphyr », n'est pas usurpé car c'est bien à un véritable envol  que nous invitent ces quatre musiciens, portés par leur élan et  la voix suave et aérienne de la soprano Marie-Luise Werneburg. Sans solution de continuité, ils enchainent une alternance de pièces rares et d'airs peu connus de Bach et de ses contemporains (Pisendel, Stölzel, Purcell, von Westhoff), intégrant avec beaucoup d'audace deux pièces contemporaines (Sciarrino et James Dillon) où la violoniste Elfa Run Kristindottir à la sonorité pleine et incisive laisse entendre qu'elle est apte à tous les répertoires. Le violoncelliste Daniel Rosin et l'énergique clavecin de Elina Albach qui mène la danse de ce programme aérien, méritent également une mention.  Le choix du public — en attendant celui du jury de spécialiste non encore connu — s'est porté sur l'ensemble La Vaghezza, un quintette d'un remarquable niveau instrumental dont la formation 2 violons, violoncelle, luth et clavecin ou orgue selon les pièces, nous ramène à sa façon « détournée »  au quatuor classique et dont le répertoire (Biber, Vivaldi, Bach) reste pour le moins attendu.  

Le concert est disponible intégralement en replay sur Culturebox. Attention il faut passer 18 minutes pour avoir le véritable début.

Frédéric Norac
11 octobre 2017
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