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Une étrange cérémonie : « Luzifers Abschied » de Karlheinz Stockhausen

Luzifers Abschied.Photographie © Festival de Saint-Denis.

Festival de Saint-Denis, 17 juin 2016, par Frédéric Norac ——

Licht (Lumière) est le grand œuvre de Stockhausen. Un opéra en 7 journées composé entre 1977 et 2003 dans lequel il a intégré pratiquement la totalité de ses compositions, mais dont chaque partie peut être donnée indépendamment des autres. Heureusement, car on imagine mal quel théâtre pourrait avoir les moyens de monter le cycle entier encore que quelques-uns des différents volets aient été effectivement créés et que l'opéra de Bâle s'apprête à redonner les 25 et 26 juin prochains une nouvelle production de Donnerstag (Jeudi).

« Luzifers Abschied » (« Les adieux de Lucifer »), originellement composé pour la célébration des 800 ans de la naissance de Saint-François d'Assise en 1982, constitue le tableau final de Samstag (Samedi), créé à la Scala en 1984. L'opéra comprend une révolte de l'orchestre placé sur scène sur un dispositif vertical, suivie d'une grève et d'une négociation avec le directeur de l'opéra qui, n'aboutissant pas, contraint de suspendre la représentation. Il s'achève, du coup, hors les murs, dans une église, par l'étrange cérémonie que proposait en la Basilique le Festival de Saint-Denis .

Luzifers Abschied.Photographie © Festival de Saint-Denis.

33 « moines » dont 26 basses armées de crécelles et chaussées de sabots de bois entrent en procession dans la nef, conduits par un géant porteur d'une cage où est enfermé un choucas noir tandis que 7 autres, en aube blanche, installés sur le proscénium, tous ténors, jouant le rôle d'officiants, vont tour à tour venir proférer les Lodi delle Virtù (Laudes des Vertus) de Saint-François que le chœur installé tout autour du public, va reprendre, chanter, vocaliser, psalmodier, hurler. Commencée dans un climat de mystère — une rumeur monte des bas côtés soutenue par l'orgue en sourdine tandis que les piliers s'habillent de lumière rouge — la cérémonie va vite tourner au délire, comme si les moines se retrouvaient possédés par l'esprit de Lucifer et que nous assistions à un exorcisme destiné à expulser le mal de leur corps. Cette grande folie organisée est soutenue par les interventions du grand orgue et les clusters de 7 trombones placés dans le buffet d'orgue  qui semblent sonner les appels d'une petite apocalypse. Le climat remarquablement prenant créé par la spatialisation, les symboles, les manifestations hystériques de quelques choristes traversant en délire la nef, tout cela hésite entre mysticisme et dérision. La cérémonie s'achève sur le parvis même de la Basilique où les moines, une fois le choucas libéré sous les applaudissements de la foule, vont venir trois par trois briser des noix de coco sorties d'un grand sac descendu du grand orgue pendant la cérémonie. Une référence disent les commentateurs à une cérémonie tibétaine à laquelle aurait assisté le compositeur, à sa façon grand mystique devant l'Éternel. L'ensemble est évidemment extrêmement jubilatoire, même si les spectateurs s'interrogent un peu sur le sens de cette liturgie.

Luzifers Abschied. Photographie © Festival de Saint-Denis.

Après l'expérience mitigée des fausses funérailles de Louis XIV  en 2015, le Festival de Saint-Denis semble vouloir persévérer dans la voie d'un nouveau répertoire et de nouvelles formes mêlant musique et théâtre. Il faut le remercier d'avoir pris le risque de monter cette œuvre complexe et totalement atypique car, sous ses airs déjantés, il s'agit d'une mécanique de précision où tout d'un bout à l'autre a été prévu par le compositeur et a été parfaitement respecté. Bravo aux orchestrateurs de cet étonnant happening — Maxime Pascal et Alphonse Cemin de l'Ensemble Le Balcon — pour cette remarquable réussite. Sans doute une des soirées les plus excitantes du festival.

Un petit regret toutefois, si dans la pénombre de la Basilique les costumes des moines font illusion, leur facture assez cheap ne supporte guère la confrontation avec la sublime façade restaurée de la Basilique et les splendeurs de son style harmonique, unique en son genre, mais ce n'est qu'un détail car, pour finir en beauté le ciel s'était mis de la partie offrant au cadre monumental  quelques grondements de tonnerre très fort à propos.

Frédéric Norac
Saint-Denis, 17 juin 2016

 

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Vendredi 24 Juin, 2016 2:47