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Schubert toujours… avec Melnikov et Staier

Alexander Melnikov et Andreas Staier. Photographie © Molina Josep.

Dijon, Auditorium, 17 janvier 2016, par Eusebius ——

Une semaine après Essen, où ils donnaient le même programme à la Philharmonie, Andreas Staier et Alexander Melnikov nous offrent un extraordinaire programme consacré au piano à quatre mains de Schubert. Tout semble les opposer : la carrure, sinon le domaine de prédilection, du moins ce qui leur vaut la reconnaissance de la critique, la grâce, la légèreté du toucher, l'élégance, la curiosité, l'intelligence musicale du premier, dont le nom est attaché aux pianos anciens, le jeu prodigieusement virtuose, parfois athlétique, toujours inspiré, sur piano moderne du second, sans rival dans Chostakovitch1. Ils jouent un magnifique instrument d'Edwin Beunk d'après Conrad Graf 1825. Des basses claires, rondes, jamais métalliques, des registres équilibrés, une extraordinaire richesse de timbre, le choix d'Andreas Staier se justifie parfaitement dans ce répertoire. 

La production de Schubert dont « l'engagement est le même qu'il écrive une marche, une valse ou une sonate »2 se signale par son abondance.  Entre la fantaisie en sol majeur D.1 de 1810 – et le rondo D.921 de juin 1828, ce sont plus de soixante pièces originales pour le piano à quatre mains qu'il nous laisse.  Les années 1824 à 1828 seront les plus riches, les plus fécondes, les plus épanouies aussi. Le programme est centré sur cette période.

La Grande marche en si mineur, opus 40 no 3, D. 819 (1824) ouvre le récital. Ample composition, particulièrement soignée, avec ses jeux d'échos, de fanfares, de réponses, empreinte de bonne humeur, toujours très animée, un trio lyrique de veine populaire, c'est l'occasion pour nos deux complices de se déboutonner. La délicatesse, la force, les contrastes accusés nous ravissent. Avec les quatre brefs Ländler, D. 8143 nous découvrons deux petits bijoux dont les nos 2 et 4 constituent les trios. L'élan, la fraîcheur, l'insouciance de la première des six polonaises, en re mineur, D. 824 s'opposent à son vigoureux trio en si♭majeur. Suit la première des deux marches caractéristiques  en ut majeur D. 886 (968 B), presqu'aussi  connue que les marches militaires. Bien que le tempo adopté soit très rapide, la légèreté, l'élan, les contrastes vigoureux confèrent une jubilation particulière à cette marche…ternaire. Malgré sa petite imposture commerciale (« divertissement à la française »), on ne saurait reprocher à l'éditeur (Thaddäus Weigl) d'avoir publié séparément les trois pièces D. 823 : l'andantino central qui nous est offert est un chef-d'œuvre.  Son thème de marche lente, très calme, conjoint, est le prétexte à quatre amples variations, dont la quatrième est d'une richesse d'invention extraordinaire. La suspension qui précède le retour du thème est particulièrement bienvenue. Écrit pour Diabelli, le Grand rondo en la majeur D. 951, surprend par sa sérénité. Le refrain, un lied sans paroles, séduit d'emblée et on le retrouve avec plaisir dans cette page sur laquelle plane un bonheur paisible, à peine voilé dans la cadence finale.

Durant la première partie, Andreas Staier jouait le grave (secundo). À l'entracte, les pianistes permutent. L'équilibre, la plénitude et l'harmonie sont renforcés : c'est la disposition idéale, leur meilleur emploi pour les sommets de ce récital, qui restera dans les mémoires.

Alexander Melnikov, Stephen Sazio, Andreas Staier (après-concert). Photographie © Eusebius.

Nulle œuvre illustre mieux l'art de varier chez Schubert que les huit variations sur un thème original, en la bémol D. 813. Sur un thème de marche, proche de celui de l'entracte de Rosamunde, la richesse d'invention est stupéfiante. Les qualités mélodiques et la virtuosité y font bon ménage, avec des climats riches et variés. Admirable interprétation, toujours viennoise, juste de ton, d'un romantisme sincère, pur.

Enfin, la fantaisie en fa mineur D. 940, dédiée à Karoline Esterhazy, partenaire adorée de Schubert, à laquelle nous sommes redevables de tant de chefs-d'œuvre pour le quatre mains.  Andreas Staier nous le rappelle opportunément : « L'intimité est toujours présente chez Schubert, le quatre mains favorise ce rapprochement, sensible, intellectuel et même physique ». Balayées toutes nos lectures, toutes nos certitudes…  La version frémissante, émouvante que nous écoutons nous tient en haleine, nous bouleverse plus que jamais. A-t-on déjà osé telle fièvre ? Après une progression paroxystique, a-t-on jamais suspendu telle cadence avec tant d'à-propos ? La double fugue peut-elle être plus construite, plus vivante et plus claire, plus romantique au meilleur sens du terme ? Quelle qu'ait pu être la qualité de ce que nous avions écouté récemment, dans le même répertoire, force est de l'oublier. Nous avons affaire à deux interprètes proprement inspirés, d'une communion parfaite, servant admirablement un Schubert idéal.

Eusebius
18 janvier 2016

  1. Melnikov a grandi avec Schubert et son bonheur à le partager avec Andreas Staier est manifeste, malgré les lombalgies et la sciatique qui le font manifestement souffrir.
  2. Andreas Staier précise en outre : « à la différence de Beethoven, Schubert ne distingue jamais musique sérieuse et musique légère ».
  3. Brahms en posséda le manuscrit.

 

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