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Pour un gobelet d'or contenant 100 pièces d'or…1 : Les Variations Goldberg, par Martin Stadtfeld

\Martin Stadtfeld Variations Goldberg

Bach, Variations Goldberg. Martin Stadtfeld (piano). Sony (SK 93101).

Enregistré du 8 au 10 octobre 2003 dans les studios de la SWR de Kaiserslautern

Par Eusebius ——

Bien qu'imprimée du vivant de Bach, puis rééditée régulièrement au XIXe siècle2, l'œuvre n'intéressait guère que les spécialistes jusqu'au jour où Wanda Landowska s'en empara. Glenn Gould fit le reste. On refuse maintenant des auditeurs chaque fois que ces variations sont programmées, les versions enregistrées se comptent par dizaines… Si ce n'était pas la première à soulager un insomniaque3, c'est sans aucun doute l'absolu chef-d'œuvre, dont l'architecture surpasse celles de L'Offrande musicale et L'Art de la fugue4. L'aria initiale, sorte de sarabande de deux fois seize mesures, chacune sur une seule base harmonique, va servir de fil conducteur à ce travail de titan, suivant le principe de la chaconne ou de la passacaille, donc.

Plus que toute autre œuvre, ces variations résument tout l'art de Bach par la variété des expressions, des couleurs, des touchers, des mètres et des rythmes. De multiples lectures sont possibles, extrêmement diverses. Pour certaines, l'enchainement des variations contrapuntiques et des canons de plus en plus virtuoses, tant par leur écriture que par la maîtrise technique qu'ils sollicitent, s'apparente à celle des contrepoints de L'Art de la fugue ou de L'Offrande musicale. Pages purement idéalisées, une sorte de plénitude intemporelle, immatérielle, où seul importe le jeu subtil des lignes combinées. Ici, rien de tel. Chaque variation constitue à elle seule une œuvre véritable, avec son caractère singulier, s'insérant dans une splendide architecture. Veränderungen, écrit Bach, et non pas Inventionen, c'est-à-dire transformations. Plus proche d'une succession de portraits, une galerie de famille d'Ancien régime, que d'un exercice abstrait, austère.

L'Aria nous surprend par les changements d'octave, auxquels on s'y habituera fort bien, ceux-ci compensant l'absence d'un second clavier et de jeux propres au clavecin. Et le voyage commence. Dès la première variation, jubilatoire, la vie est là, intense. L'élégance légère de la seconde renouvelle l'intérêt. La clarté, la lisibilité du premier canon, à l'unisson augure bien de la suite. La 5e est stupéfiante de virtuosité et de naturel. Il en va ainsi tout au long de l'écoute, profondément renouvelée. Jusqu'à la  25e, sarabande tendre et douloureuse, le paysage défile, magique. Les ultimes sont magistrales : toujours naturelles malgré la virtuosité extraordinaire que sollicite une lecture claire, dans un tempo enlevé. Le quodlibet, relativement énigmatique (« des malotrus braillant deux rengaines démodées » écrivait un confrère…) s'éclaire singulièrement à la lecture des pages les plus pénétrantes et des plus pertinentes que nous laisse Gilles Cantagrel dans Le moulin et la rivière, Fayard, 1998 (p.480-490). D'une plénitude sereine et humble, la reprise finale de l'aria nous invite moins à clore ce moment de grâce  qu'à reprendre son écoute, dont on ne se lasse pas.

Martin Stadtfeld, encore trop peu connu en France, nous offre une interprétation d'une dynamique, d'un élan rares sans jamais tomber dans les pièges du motorisme. La clarté, la lisibilité sont constants pour une lecture sensible qui parle autant à notre émotion qu'à notre intellect. Définitivement aux oubliettes, le semi staccato : tous les procédés, tous les styles, tous les modes de jeu sont illustrés avec une maîtrise exceptionnelle du toucher et de l'articulation.

Pourquoi avoir tant tardé pour révéler cette merveilleuse lecture, radicalement nouvelle et achevée ? Après Glenn Gould, puis Charles Rosen, et enfin Evgeni Koroliov, une nouvelle étape vient d'être franchie dans l'interprétation pianistique de ce chef-d'œuvre absolu.

Eusebius
18 février 2016

1. Commande la plus chère payée à Bach, la plus longue écrite pour le clavier, œuvre gigantesque.

2. ETA Hoffmann, dans « Les souffrances du Kapellmeister Kreisler » (Kreisleriana, 1814) le décrit jouant les trente « variations de Bach ». [… Aber nicht für mich allein, sondern für alle, die sich hier zuweiklen an meinem Exemplar der Johann Sebastian Bachschen Variationen für das Klavier, erschienen bei  Nägeli in Zürich, ergötzen und erbauen, bei dem Schluss der 30. Variation meine Ziffern finden…]

3. Après avoir été l'objet de controverses, l'histoire rapportée par Forkel semble maintenant fondée (« Vermutlich hatte er seine Informationen von Wilhelm Friedemann und Carl Philipp Emanuel erhalten, die beide mit von Keyserlingk verkehrt, um 1740 aber längst das Elternhaus verlassen hatten », Siegbert Rampe, Bachs Klavier un Orgelwerke, Laaber, 2008)… L'oncle Johann Christoph avait composé des variations sur un sujet d'Eberlin « pro dormiente Camillo ».

4. 2 volets de 5 groupes de trois, presque toutes à 3 voix, les premières de chaque groupe sont le plus souvent des variations libres ou de caractère, les deuxièmes sont de virtuosité croissante, les troisièmes sont des canons, partant de l'unisson pour arriver à la 9ème. Bach a choisi un quodlibet pour la 30e, se substituant à un canon à la 10e, équivalent d'un canon à la tierce, déjà énoncé.

 

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