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Le charme désuet de l'opérette finissante : Monsieur Beaucaire d'André Messager

Monsieur Beaucaire en répétition à Radio-France. Photographie © Radio France - Christophe Abramowitz.

Radio France, Studio 104, 16 octobre 2016, par Frédéric Norac ——

André Messager (1853-1929) appartient aux figures tutélaires de la musique française du tournant du xixe siècle. On lui doit en tant que chef d'orchestre la création de Louise de Gustave Charpentier en 1900 et surtout celle de Pelléas en 1902, deux parangons de la modernité du drame lyrique. Du compositeur, nous est resté ce fameux Souvenir de Bayreuth, fantaisie pour piano à 4 mains sur des thèmes de la Tétralogie, composé au retour de la Colline Verte avec son ami Gabriel Fauré et qui témoigne de sa fascination amusée pour Wagner. Mais c'est surtout une bonne trentaine d'opérettes et de ballets qu'il a légués à la postérité dont les titres, La Béarnaise, Les p'tites Michu, La Basoche, disent assez qu'elles appartiennent à un monde oublié pour ne pas dire tout à fait révolu.

Seuls Fortunio et, dans une moindre mesure, Véronique ont quelque peu survécu aux bouleversements musicaux et sociétaux qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Le premier a même eu les honneurs de deux résurrections de haut niveau, celle de Gardiner avec l'Opéra de Lyon en 1987 et celle de l'Opéra-Comique en 2009. Véronique a récemment reparu aussi sur la scène du Châtelet, et Marseille s'est même risqué la saison dernière dans une version concertante de Madame Chrysanthème (d'après Pierre Loti).

Monsieur Beaucaire (1919) est resté célèbre pour sa romance de la rose, cheval de bataille des barytons d'école française de l'entre-deux-guerres jusqu'au début des années cinquante. Pour le reste, on n'en connaissait quasiment rien, sinon qu'il fut créé en anglais à Birmingham et qu'il en est même resté un enregistrement en langue originale datant de la création avec la fameuse Maggie Teyte (la créatrice de Mélisande) dans le rôle de Lady Carlisle.

C'est l'adaptation française créée à Paris au Théâtre Marigny en 1925 que proposait en version concert Radio-France en collaboration avec l'Opéra-Comique. Destinée à devenir une dramatique radiophonique, d'où la présence sur le plateau de deux bruiteurs et de cinq comédiens pour assurer les rôles parlés.

La musique de Messager est certes de bonne tenue . C'est celle d'un compositeur raffiné, baigné dans le grand répertoire.  À l'inverse de celle de ses contemporains et collègues dans le genre léger comme Christiné ou Maurice Yvain, elle regarde du côté de l'opéra comique du xixe plus que de la comédie musicale et du fox-trot. Mais paradoxalement, c'est sûrement son raffinement, les réminiscences de Massenet et d'Offenbach qu'on y entend en permanence, qui la desservent et la condamnent à rester sur le versant anecdotique de l'histoire de la musique. Trop savante pour devenir « populaire », mais pas assez pour intéresser les amateurs de « grande musique ». Si l'on y ajoute un livret sans substance — un marivaudage racontant les aventures amoureuses imaginaires du Régent Philippe d'Orléans dans l'Angleterre des années 1710 — et des dialogues compassés d'une redoutable fadeur, on comprendra qu'elle ne suscite qu'un intérêt limité et de pure curiosité, car si quelques numéros  accrochent l'auditeur et suscitent une certaine attente, ils sont plutôt fugaces et ne captivent que par intermittence.

Monsieur Beaucaire en répétition à Radio-France. Photographie © Radio France - Christophe Abramowitz.

C'est dommage pour la distribution de haut vol réunie pour cette « résurrection » où l'on distingue la belle Lady Carlisle d'Anne-Catherine Gilet dont la voix semble avoir gagné en ampleur depuis ses dernières Mélisande et le Beaucaire de Jean-François Lapointe à qui les nombreuses montées à l'aigu de son personnage ne font pas peur. Dans le rôle du Lady Lucy, le timbre fruité de Jodie Devos (transfuge de l'ex-Académie de l'Opéra-Comique) fait merveille. Julien Behr, Jean Teitgen et Franck Leguérinel dans le rôle comique du Captain Badger qui lui va comme un gant, complètent ce plateau parfaitement francophone et presque toujours compréhensible. Cette brochette d'excellents solistes  ferait un cast de premier ordre pour une Manon de Massenet à qui  la partition ne cesse de faire penser dans ses aspects pittoresques — l'ouverture, notamment, véritable  pastiche xviiie  ou la jolie marche militaire qui introduit l'arrivée du capitaine Badger — comme sur le versant lyrique. On regrette de le dire, mais malgré de nombreuses qualités chez les interprètes, un orchestre rondement mené par Sébastien Roulland et d'excellents chœurs, on s'ennuie souvent dans cette opérette un rien franchouillarde dans son idéologie et qui promet souvent sans vraiment tenir, faute des développements qui en feraient une œuvre de premier plan, mais qui sans doute aurait fait fuir le public aristocratico-bourgeois pour lequel elle a été écrite.

Diffusion sur France-Culture le 1er janvier 2017 à 21h.

Frédéric Norac
16 octobre 2016

 

Frédéric Norac : norac@musicologie.org. Ses derniers articles : Ambronay 2016 : le meilleur pour la fin De la suite dans les idées : la saison 2017 de l'Opéra-Comique — Sur les sommets de la musique du XXe siècle : Messiaen au Pays de la MeijeLes extrapolations d'un historien mal informé : Rossini sous Napoléon de Jean TulardLa Méditerranée s'invite à Versailles : « Il diluvio universale » de FalvettiTous les articles de Frédéric Norac.

 

 

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